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Le tamis bien calibré de la jurisprudence administrative pour distinguer sous-traitance et fourniture

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Laurent-Xavier Simonel, Quentin Julia, 26/11/2014

La cour administrative de Nancy (CAA Nancy, 12 juin 2014, n° 13NC01087) illustre la méthode claire retenue par le juge administratif pour distinguer un sous-traité d’un simple contrat de fourniture.
1. Pour l’exécution d’un marché public de travaux, le titulaire commande des pré-murs et des pré-dalles à un opérateur spécialisé dans la production de ces éléments de gros œuvre qui arrivent sur le chantier avec un usinage déjà très accompli. À la suite du redressement judiciaire de ce titulaire, un litige naît sur le paiement des commandes. L’opérateur spécialisé fait valoir devant le tribunal administratif de Besançon sa qualité de sous-traitant pour prétendre à recevoir un paiement direct de l’entité adjudicatrice, en dépit de l’absence de tout sous-traité. Malgré l’omission du titulaire de le déclarer, cet opérateur fait valoir qu’il s’était clairement manifesté auprès du maître de l’ouvrage en tant que sous-traitant, était intervenu sur le chantier au vu et au su de l’entité adjudicatrice qui aurait dû l’accepter en cette qualité et avait livré des composants de construction spécifiques produits sur mesure.

2. Selon l’article 1er de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, celle-ci est : « l’opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l'exécution de tout ou partie du contrat d'entreprise ou d'une partie du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage ».

Le contrat de sous-traitance permet au sous-traitant, en vertu de l’article 6 de cette même loi, d’être « payé directement par [le maître de l’ouvrage] pour la part du marché dont il assure l’exécution ». Il en va tout différemment des simples fournisseurs qui sont, sauf cas exceptionnels,
« au titre d’un contrat de vente, chargés seulement de la livraison, après fabrication éventuelle, de matériaux, produits ou composants de construction ne comportant pas de spécifications exceptionnelles fournies par l’acquéreur » (instruction n° 77-35-B1-M0 du 9 mars 1977, relative à la réforme du régime de la sous-traitance dans les marchés publics).


La cour administrative d’appel de Nancy confirme le jugement de première instance en regardant l’opérateur tiers comme un simple fournisseur
3. Elle applique le filtre, maintenant bien tissé par la jurisprudence administrative, qui retient la sous-traitance lorsque l’opérateur tiers a effectivement été chargé de l’exécution d’une partie des prestations du marché, comme le suppose en particulier la livraison d’éléments spécifiquement conçus pour réaliser l’objet du marché. Celle-ci ne devrait pas être suffisante en soi. Elle doit être accompagnée par la matérialisation de cette spécificité, traduite par l’intervention du tiers dans la mise en œuvre de ces éléments sur le chantier aux côtés du titulaire et sa participation à des réunions techniques de chantier en présence ou au su du maître d’ouvrage (cette seule participation n’étant pas suffisante pour autant : est sans incidence sur la qualification du contrat de fourniture, le fait que le fournisseur ait participé à des réunions de chantier ; CAA Bordeaux, 31 juillet 2003, SA Charles et Mouysset, n° 99BX00765).

4. Renforcée par l’absence de tout sous-traité formalisé, cette conclusion exonère l’entité adjudicatrice des obligations résultant des dispositions de l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, selon lesquelles : « le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 3 ou à l'article 6, ainsi que celles définies à l'article 5, mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter de ces obligations ».

5. Cette solution s’inscrit dans la ligne claire de la jurisprudence du Conseil d’Etat (par ex. : CE, 26 septembre 2007, Département du Gard, n° 255993 appliquée par les cours administratives d’appel (par ex. : CAA Lyon, 3 juillet 2003, Sté d’exploitation des grès de Molières, n° 97LY02986).

6. Au plan économique, l’on peut s’interroger sur la justification du maintien d’une telle différence de traitement entre le sous-traitant qui exécute directement une part des prestations du marché public et le fournisseur sans lequel ce même marché ne peut pas être exécuté. Pour les deux, « sous-contractants » selon la catégorie englobante retenue pour les marchés de défense, l’accès économique aux ressources issues de la commande publique est identiquement critique. Le soutien à l’activité passe, très certainement, par un même degré de fluidité dans l’appréhension des deniers publics injectés dans l’économie par les marchés publics.



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