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2007 à 2012 : un chemin de Moi

Justice au singulier - philippe.bilger, 6/04/2012

Au regard de cette perception et à cause de cette désaffection, je devrais pourtant adopter le rôle d'un blogueur faussement serein et vraiment hypocrite. Me résoudre à ne pas emprunter, à son issue, ce chemin du Moi qui nous a conduits, les uns et les autres, de 2007 à 2012. Et pourquoi donc ?

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Aucune raison d'hésiter.

Je ne vois pas au nom de quoi je n'aurais pas le droit de donner mon opinion sur la campagne présidentielle et sur Nicolas Sarkozy en particulier. A lire certains de mes commentateurs, il me serait interdit de prendre parti et je devrais m'en tenir à une prudente et ennuyeuse réserve. Comme si entre l'eau tiède et l'eau partisane, il ne pouvait pas exister une eau roborative, sans doute discutable mais que la singularité de ce blog justifie.

Parce que mon enthousiasme pour le candidat de 2007 a été suivi d'une repentance incontestable bien que nuancée sur certains points (durant le quinquennat je n'ai cessé d'expliquer, en toute transparence, les raisons multiples de mon désenchantement, qu'elles aient tenu à l'homme, à sa politique, à sa pratique de l'Etat), il conviendrait que je m'abstienne de continuer à pourfendre ou à féliciter. Cet effacement serait d'autant plus absurde que l'esprit et les yeux dessillés sont les plus aptes, peut-être avec une vigueur d'autant plus intense qu'elle n'oublie pas la déconvenue primitive, à éclairer et à analyser. Et les contradictions sur ce blog sont les bienvenues, même les plus hostiles, pour peu qu'elles ne se dégradent pas en digressions délirantes, en dérapages incontrôlés ou en aigreurs personnelles.

J'ai déjà écrit à quel point le regard amoureux de Carla Sarkozy manquait de pertinence intellectuelle quand elle a qualifié son époux "d'homme d'Etat et non pas d'homme politique", ce qui était une manière de le flatter mais, plutôt, sans le savoir, de l'accabler, tant le gouffre est immense entre ce dont elle le crédite et ce qu'il nous a montré.

Je n'irais pas me servir des avancées de l'instruction bordelaise du juge Gentil qui, dans la discrétion, ne fait plus seulement trembler l'entourage amical ou non du président-candidat mais celui-ci en personne. Le rendez-vous qui aurait été prévu au mois de février 2007 entre notre futur président et André Bettencourt relèverait des "boules puantes" inhérentes à une campagne. Par ailleurs, ses comptes pour la victoire de 2007 auraient été approuvés au centime près, notamment par le Conseil constitutionnel (Le Monde).

Les dénégations de l'intéressé sur son absence d'implication dans le financement de la campagne Balladur - scandaleusement validé par le Conseil constitutionnel de Roland Dumas -, étaient déjà rien moins que convaincantes mais l'information continue et elle se trouve entre les mains expertes et, n'en déplaise à certains, objectives de Renaud Van Ruymbeke. Pour ses protestations d'innocence et son indignation relatives à sa propre cause, je les trouve jouées. Le "puant" n'est qu'une façon habile de nous dire de nous écarter de ce qui sent trop mauvais pour être vérifié et le sempiternel recours au Conseil constitutionnel comme preuve absolue suscite plus d'ironie que d'adhésion.

Au-delà de ces séquences fleurant un possible nauséabond, j'ai attaché beaucoup d'importance, parce qu'il est lourd de sens, à un très long entretien accordé par le candidat à Paris Match. En couverture, une photographie très "présidentielle", comme pour nous persuader d'emblée de la validité et de la grandeur du fond à venir pour l'expression duquel il n'a pas fallu moins de quatre journalistes. L'interview n'est pas déshonorante mais elle ne décape pas non plus.

Deux extraits ont tout particulièrement retenu mon attention parce qu'ils me semblaient révélateurs d'un discours qui s'octroie tous les privilèges parce que personne jamais ne le questionne véritablement.

Pour être équitable, on a fait un sort à une énormité proférée comme si elle constituait une garantie pour l'avenir alors qu'au contraire, elle signe indubitablement l'inaptitude présidentielle. Quand Nicolas Sarkozy affirme qu'il sera "différent" lors du prochain quinquennat, on aurait pu à la rigueur admettre une telle métamorphose si elle avait concerné des attitudes subtiles, une pensée plus approfondie, un infléchissement dans la vision démocratique et le souci de la communauté nationale. Rien de cela, en réalité. Ce dont le candidat actuel se priverait se rapporterait à "l'agitation ministérielle" exhibée durant cinq ans, ce qu'il offrirait serait de la majesté, de l'allure, de la dignité, du retrait, de la décence. Redoutable réquisitoire contre lui-même que cette illumination sur ce dont il prétend ne jamais avoir compris la nécessité alors que ces qualités, ce comportement étaient évidemment consubstantiels à toute présidence de la République de bon sens ! Comment ne pas s'étonner devant une telle prise de conscience : président de la République durant cinq ans, il aurait seulement saisi cinq ans trop tard, et pour les cinq ans à venir, comment il se devait de l'être ! Pour avoir mis au jour ces évidences, il veut nous persuader de son chemin de l'Elysée comme d'une stupéfiante découverte !

Seconde fulgurance qui n'a suscité aucune réplique tant elle est conforme à nos sentencieuses banalités républicaines ! Nicolas Sarkozy souligne "qu'on ne gagne pas à droite, on ne gagne pas à gauche, on gagne au peuple".

C'est un décret politique totalement vide de sens. Il représente une pâle imitation d'un certain gaullisme qui se voulait au-dessus des partis et qui de fait prenait le peuple pour le seul partenaire qui soit à sa hauteur. Ce qui était acceptable chez de Gaulle - qu'on n'imaginait pas tenir des réunions partisanes à l'Elysée - devient franchement ridicule appliqué à ce quinquennat qui s'est contenté de faire sortir le peuple de sa boîte comme un gadget quand il a perçu son utilité tactique à partir du 1er janvier 2012.

Par ailleurs, il y a une définition idéologique du peuple. Pour Alain, quelqu'un se disant ni de droite ni de gauche était forcément à droite. Comment admettre cette formulation d'une prétendue transcendance présidentielle par rapport aux factions quand sans vergogne il n'a considéré que l'une d'elles, allant même jusqu'à décourager les plus fidèles de ses soutiens en caricaturant les principes et les valeurs à la base de sa belle victoire de 2007 ? Comment avaliser une tromperie laissant accroire que Nicolas Sarkozy serait, avec le peuple rassemblé, contre les élites, alors que ce quinquennat a peu ou prou représenté la complicité du pouvoir présidentiel avec les élites vulgaires de l'argent, de l'inégalité, des privilèges, de l'indécence et, pire que tout, avec les usurpations de place contre le mérite ?

Si le peuple peut avoir une définition cohérente aux assises parce que dans cet espace elle ne dépend pas d'une appréhension sectaire, pour Nicolas Sarkozy ce qu'il nomme "peuple" est une commodité intellectuelle, une facilité de langage. Le peuple, en l'occurrence, est clivé, partagé entre citoyens de gauche, d'extrême gauche, citoyens de droite, d'extrême droite, entre déçus du sarkozysme et centristes convaincus, entre abstentionnistes et protestataires. Nicolas Sarkozy nourrit de plus en plus "son" peuple avec une pitance qui, trop calculée, devient indigeste. Il y a plus qu'une nuance entre servir le peuple - la noblesse de la politique, mais où est-elle, cette exigeante morale publique ? - et s'en servir. Le peuple est une passion, il ne peut pas être un objet, une chose.

Au regard de cette perception et à cause de cette désaffection, je devrais pourtant adopter le rôle d'un blogueur faussement serein et vraiment hypocrite.

Me résoudre à ne pas appréhender, à son issue, ce chemin du Moi qui nous a conduits, les uns et les autres, de 2007 à 2012.

Et pourquoi donc puisque ma parole et ses contradicteurs ont évidemment quartier libre ?


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