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Qui est fautif, Belloubet ou le magistrat ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 22/09/2018

Je souhaiterais requérir contre un système qui rend presque miraculeux le fait que trop de djihadistes ou autres mis en examen ne soient pas libérés par erreur.

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Je ne suis pas irrespectueux à l'égard de la garde des Sceaux mais je reprends seulement le titre d'un article de la page Téléphone rouge de L'Obs : "Belloubet traque le magistrat fautif" (Mathieu Delahousse).

J'ai toujours, et obstinément, détesté le corporatisme des magistrats qui, au-delà des oppositions et tensions au sein du corps, les faisait se rassembler pour la défense de leur pré carré même quand ce dernier était légitimement mis en cause. Le barreau n'est pas en reste sur ce plan.

Le corporatisme est d'ailleurs la maladie institutionnelle la plus répandue du monde et elle touche la sphère politique comme beaucoup d'autres univers qui menacés, se replient et se protègent derrière une solidarité de façade.

L'exigence de responsabilité est fondamentale et rien ne m'apparaît plus important dans une démocratie, à quelque niveau qu'on soit placé, que d'assumer ses fautes, ses erreurs, et de les faire condamner si elles le méritent.

J'ai toujours milité en faveur de l'instauration d'une responsabilité plus stricte à l'égard des magistrats, qui aurait été la contrepartie naturelle de leur pouvoir et aurait rassuré les citoyens s'imaginant à tort la plupart du temps qu'ils bénéficient d'une impunité totale.

On ne peut donc pas me reprocher une indulgence de principe à l'égard des négligences ou carences professionnelles des professionnels de justice.

Comme beaucoup j'ai été choqué par la libération par erreur du terroriste présumé Oualid Boudissa le 3 avril dernier parce que sa fiche se serait trouvée sur le tableau des libérations du mois d'octobre alors qu'il aurait fallu renouveler sa détention provisoire six mois plus tôt.

La polémique s'est amplifiée après l'arrestation de Boudissa pour violation de son contrôle judiciaire et sa remise en liberté faute de preuves.

Indiscutables dysfonctionnements et magistrat certes fautif.

Mais quand je lis que "Belloubet le traque", je me demande immédiatement quelle légitimité elle a alors que sa politique ne brille pas par sa vigueur et sa pertinence et que surtout elle a été gravement désavouée récemment par la commission sénatoriale d'enquête. Celle-ci a tenu parfaitement sa ligne non judiciaire dans sa longue audition d'Alexandre Benalla. La garde des Sceaux s'était permis de sermonner en rappelant que "le principe de séparation des pouvoirs interdit au Parlement d'empiéter sur le domaine judiciaire. Une immixtion serait choquante" (L'Obs). Se posant en "Conseil de Monsieur Benalla", selon le président Philippe Bas !

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Belloubet alors fautive.

Si elle décide de saisir le Conseil supérieur de la Magistrature - instance que je n'ai jamais portée aux nues dans aucune de ses missions, encore moins dans sa part disciplinaire -, le magistrat incriminé pourrait être contraint de quitter l'antiterrorisme alors qu'il aurait refusé cette solution interne avant, au nom de l'inamovibilité des juges du siège prévue par la Constitution.

Je ne connais pas le nom de ce magistrat, je ne vois pas de qui il peut s'agir. Mais il faudra tout de même qu'un jour on dénonce un état de droit saturé, une procédure pénale chargée jusqu'à l'enflure, enfermant l'action judiciaire pure dans des délais et avec des garanties tellement corsetés qu'ils constituent l'instruction, comme tant d'autres services de la justice, telle une bureaucratie où la richesse du questionnement et du fond, les avancées possibles sont forcément entravés par la multitude des règles qui les régissent et les étouffent.

Cette observation s'applique évidemment aussi à l'univers policier qui passe presque plus de temps à devoir mentionner la périphérie de l'action qu'à conduire l'action elle-même.

Il y a un moment où le droit détourne de l'essentiel qui est la quête de la vérité et la plus exacte définition de celle-ci. Nous y sommes.

Autrement dit, en matière pénale, si le ressort fondamental est de complaire au barreau, il ne faudrait tout de même pas en abuser. Je préfère une justice qui a le temps de regarder les visages et d'écouter les paroles à une machine tellement impeccable dans son formalisme qu'elle ne sait plus chercher ni trouver.

J'aimerais que ce magistrat devienne un peu le porte-parole de tous ceux qui n'en peuvent plus sous le poids de fardeaux inutiles.

Toute mon existence, j'ai défendu la liberté d'expression de magistrats, souvent aux antipodes de moi.

Je souhaiterais requérir contre un système qui rend presque miraculeux le fait que trop de djihadistes ou autres mis en examen ne soient pas libérés par erreur.


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