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Pourquoi le magistrature bashing demeure-t-il un sport national ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 27/09/2020

Le magistrature bashing est le sport national qui convient à une France déplorant, à la fois, que tout se délite, que l'insécurité augmente mais refusant sa confiance et son soutien à ceux qui, à une place capitale, sont des acteurs essentiels pour la paix et la tranquillité publiques.

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Pour répondre à mon titre, on pourrait me dire que les magistrats y ont mis du leur et qu'à force de négliger les attentes du citoyen, celui-ci les a pris en grippe.

Ce n'est pas quelqu'un qui a dénoncé le Mur des cons et, plus généralement, une forme de corporatisme judiciaire qui ne comprendra pas cette appréciation négative !

Mais il n'empêche.

La société, les politiques, les intellectuels et les médias cultivent avec trop de jouissance le magistrature bashing pour que je ne tente pas de relever le défi d'expliquer pourquoi il y a tant d'injustice contre la Justice.

Pourquoi, alors même que l'institution judiciaire est souvent victime d'un opprobre immérité, sent-on pourtant à son égard comme une sorte de perverse et sadique satisfaction à la voir ainsi déconsidérée ?

Parce que, depuis trop longtemps, et encore plus avec ce président de la République, la Justice, au-delà des hommages formels, n'est pas soutenue avec assez de vigueur et de conviction par ceux qui nous gouvernent. Emmanuel Macron est, selon l'article 64 de la Constitution de 1958, le "garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire". Si on donne à cette exigence une interprétation large, le président de la République, à l'évidence, ne s'investit guère dans cette mission. D'une certaine manière, sans tomber dans un paradoxe, Nicolas Sarkozy était certes trop près de la Justice mais il s'y intéressait. Emmanuel Macron très peu et il laisse d'ailleurs tout faire dans ce domaine.

Parce que les ministres de la Justice, en règle générale, au mieux n'ont pas embrassé avec enthousiasme, énergie et conviction la mission qui leur était confiée ou au pire, comme le garde des Sceaux actuel, n'hésitent pas à dénigrer la cause de ceux qui relèvent de son administration.

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Parce que, malheureusement, il n'existe pas une incontestable grande voix judiciaire en exercice qui, irréprochable sur le plan de l'intégrité et de la compétence, estimerait aussi de son devoir de représenter une opposition courageuse à chaque fois que par un biais ou par un autre la Justice serait pourfendue. On attend qu'une telle personnalité se révèle et, en ces temps, elle aurait beaucoup à dire ! Aux côtés d'un pouvoir trop indifférent, d'un ministre trop critique, d'un syndicalisme trop partisan, elle représenterait une chance, bien au-delà du champ professionnel, pour la démocratie et la confiance des citoyens.

Parce que les avocats, en matière pénale, ont le vent en poupe et que même dorénavant aux antipodes de la veuve et de l'orphelin, on continue à les croire sur parole quand ils s'affichent critiques à l'égard des magistrats.

Parce que rien n'est plus voluptueux, dans une sorte de mélancolie et d'âcreté républicaines, que de s'en prendre à une institution d'autorité qui n'est pas irréprochable, qui vous donne tort une fois sur deux et qui est mal voire jamais défendue.

Parce que tristement il y a le cumul, contre la Justice d'aujourd'hui, d'un "populisme" de base excusable mais d'un insupportable "populisme" de l'élite au sein de laquelle je suis contraint de placer Eric Zemmour, Alain Finkielkraut et le si regretté Denis Tillinac.

Parce que les médias, de droite ou de de gauche, offrent sans cesse à l'opinion publique une vision partiale, fragmentaire et orientée soit par idéologie soit par une forme d'ignorance qui les rend trop sensibles au spectaculaire, aux approximations sulfureuses plus qu'à une normalité qui n'est pas médiocre mais laisse peu de place aux dénonciations.

Parce que l'inculture judiciaire de notre pays est considérable et qu'elle affecte même ceux qui sont chargés, sénateurs et députés, de voter la loi de sorte que trop souvent, au lieu d'améliorer l'efficacité de notre état de droit, on le dégrade ; au lieu de répondre au peuple, on préfère rester entre soi.

Parce que les magistrats eux-mêmes gangrenés par les attaques qui les accablent ou dénués de la fierté d'exercer ce beau métier courbent le dos, tendent les deux joues et participent de cette effroyable morosité en l'accompagnant par leur propre pessimisme institutionnel et concret.

Parce que le magistrature bashing est le sport national qui convient à une France déplorant, à la fois, que tout se délite, que l'insécurité augmente mais refusant sa confiance et son soutien à ceux qui, à une place capitale, sont des acteurs essentiels pour la paix et la tranquillité publiques.

Parce que nous sommes trop peu, dans ou hors de l'institution, à admettre que, parce que les citoyens ont une créance sur elle, elle se doit de donner le meilleur d'elle-même pour le bénéfice de la société mais pour refuser, en même temps, le magistrature bashing.

Et pour inviter la communauté nationale à se choisir d'autres sports.


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