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Faut-il détester Amazon ?

Justice au singulier - philippe.bilger, 13/08/2014

Je vais tout de suite m'acheter un livre sur Amazon pour pouvoir en jouir sur mon Kindle. J'en demande pardon à Aurélie Filippetti et aux 900 écrivains américains : je n'éprouve pas l'ombre d'un remords.

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Parce qu'Amazon et le Groupe français Hachette se combattent durement, faudrait-il immédiatement, par patriotisme, venir au soutien de celui-ci contre celui-là ?

Si j'ai bien compris, Hachette refusant de baisser les prix des livres numériques sur le marché américain, Amazon a réagi par des mesures de rétorsion contre la maison d'édition française (Le Monde).

Comme cela ne pouvait manquer, 900 écrivains américains, parmi lesquels de très renommés et aux succès commerciaux incontestables, ont poussé "un cri de colère" contre Amazon dans les colonnes du New York Times.

De manière encore plus prévisible, notre ministre de la Culture Aurélie Filippetti, que je n'ai pas besoin de défendre comme j'ai été conduit à le faire à la suite de son lamentable accueil à Avignon puisqu'elle attaque au contraire avec virulence Amazon en menant une croisade contre "la distribution en ligne", s'est fait un devoir de prendre parti (lepoint.fr). Au fond, pour la culture mais contre les lecteurs.

La loi du 8 juillet 2014 encadrant les conditions de la vente à distance des livres a déjà interdit le cumul de la gratuité des frais de port et de la remise de 5% autorisée par la loi Lang afin de lutter contre les pratiques des opérateurs en ligne dont Amazon (Légipresse).

On pourrait penser, au libellé de ces motifs, que ces opérateurs n'étaient rien de moins que des ennemis du genre humain et qu'ils ne proposaient que des choses inavouables. En fait, il s'agissait seulement d'entraver une démarche qui avait trop de réussite auprès de ceux qui y faisaient appel. La conséquence en est que le pouvoir a été ridiculisé par la manoeuvre d'Amazon imité par les autres d'évaluer les frais de port à un centime d'euro.

Il y aurait sans doute, de la part des adversaires fanatiques d'Amazon, des arguments techniques pertinents pour venir pourfendre ce qui immédiatement apparaît comme un bienfait pour le consommateur, le lecteur. Comment en effet oser sans vergogne mettre à mal et juger honteuse une politique visant à réduire les prix des livres numériques et donc à favoriser leur accès ? Ce que l'Etat ne validerait pas serait impur ?

Le raisonnement devra être byzantin pour tenter de démontrer que cette avancée n'en est pas une et qu'au contraire la réaction négative de la caste des écrivains est honorable et légitime.

Au-delà de l'expression de ce bon sens, j'avoue être sidéré, en tout cas, par le ton employé par la ministre en comparaison duquel l'émoi face à une guerre mondiale ferait à peine le poids. Amazon a "des pratiques inqualifiables, anticoncurrentielles...Abus de position dominante et une atteinte inacceptable contre l'accès aux livres...A porté atteinte à la diversité littéraire et éditoriale..."

De ce procès expéditif mené au bénéfice d'un Groupe pas précisément chétif, que retenir, sinon qu'il révèle cette constance française de s'en prendre systématiquement et mécaniquement aux grandes entreprises, aux grosses structures, aux univers organisés et massifs ?

Même s'il est patent que ceux-ci font en définitive du bien à ceux qui sont leurs seuls destinataires : le citoyen, le consommateur, l'usager. On aboutit à ce paradoxe de les voir vilipendés au nom de l'abstraction de la culture, celle-ci devant être formellement respectée au risque de réduire son champ d'influence développé grâce à des stratégies commerciales efficaces et point du tout indignes.

Pour justifier ce combat vain, on fait référence à la douce France, au charme des petites librairies, à cette vie d'avant où on payait plus cher mais où c'était plus près, à cette absence de modernité qui nous point le coeur précisément parce qu'on dispose de la vraie et qu'elle offre plus d'avantages qu'elle ne cause de dommages.

Ce n'est pas Amazon qui a tué notre art de vivre ni notre volonté de lire. Amazon s'est engouffré dans un espace, dans un vide que notre démobilisation civique et culturelle avait déjà créés.

Il faut que la France d'aujourd'hui cesse ce verbe guerrier dans le domaine de la culture à proportion même de sa perte de pouvoir et d'emprise dans tous les autres sujets. Amazon n'est pas responsable du fait que, faute de savoir affronter demain, nous n'avons que la ressource de cultiver la nostalgie d'hier ou d'avant-hier. Le passé est dépassé et commémorer, d'ailleurs, à profusion, c'est célébrer ce qui n'est plus.

Je vais tout de suite m'acheter un livre sur Amazon pour pouvoir en jouir sur mon Kindle. J'en demande pardon à Aurélie Filippetti et aux 900 écrivains américains : je n'éprouve pas l'ombre d'un remords.


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