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Pourquoi le son français est-il si mauvais ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 14/04/2020

Quitte à emprunter les chemins du réel, que les séries et les films français s'engagent sur ceux qui, dans notre quotidien, nous offrent, nous permettent une communication de qualité. Je ne vois aucune raison d'autoriser Vincent Lindon, qui est dans ses entretiens on ne peut plus audible, à ne pas l'être dans ses films. Une fois corrigée cette imperfection grave du son, je sens qu'il conviendra que je me méfie de ne pas tomber sous l'addiction des séries. Même après le 11 mai.

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Les modalités du déconfinement à venir en principe le 11 mai sont encore trop imprécises pour qu'il ne soit pas aventureux de les questionner immédiatement. Le pouvoir explicitera sûrement par la suite les orientations définies le 13 avril par le président de la République.

On m'excusera donc de me tourner vers un autre sujet, aussi dérisoire qu'il pourra apparaître à certains persuadés qu'il y a des thèmes nobles et d'autres qui ne le seraient pas. Marcel Proust nous a pourtant enseigné - et je me suis toujours inscrit sur ce point précis dans son illustre et clairvoyant parrainage - que l'objet ne compte pas mais seul le regard qu'on porte sur lui.

Profitant du confinement et du temps qu'il me laisse entre les activités obligatoires et bienvenues que j'ai à accomplir chaque jour, moi qui n'en raffolais pas parce que je craignais leur caractère répétitif et chronophage, je me suis abreuvé de séries étrangères et françaises.

Pour les premières, The English Game, Self Made, Unorthodox, puis The Crown en ce moment.

Pour les secondes, Dix pour cent et actuellement la deuxième saison du Bureau des légendes.

Cela fait longtemps que j'ai envie de m'interroger sur la grande faiblesse technique du son français, que ce soit pour les films et l'audiovisuel. Il y a une dérive que je déplore depuis plusieurs années, qui rend parfois littéralement inaudibles certains dialogues ou certains acteurs. Dysfonctionnement qui me frappe d'autant plus qu'il n'affecte pas les oeuvres étrangères et surtout pas les films américains qui ont une incomparable qualité de son.

Je n'exclus pas que l'âge puisse amoindrir les facultés d'écoute mais par chance ce n'est pas encore mon cas et la difficulté est de toutes façons tellement chronique qu'elle relève forcément d'autre chose.

Je ne nie pas par ailleurs qu'il y a des comédiens qui savent nous faire échapper à ce risque car ils ont compris qu'on peut parler bas ou fort mais que l'essentiel est d'articuler.

Ce que Vincent Lindon par exemple dans "Rodin" n'avait pas su faire puisque la première partie du film m'est demeurée à cause de lui indistincte. En revanche, dans Dix pour cent, une série remarquable, alors que j'ai souffert globalement d'un son défaillant, la diction claire et nette d'une Camille Cottin, éblouissante dans son rôle, m'a enchanté.

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Je crains que la médiocrité du son français provienne d'une origine plus préoccupante sur le plan structurel. Sans doute pas la compétence technique de nos ingénieurs du son - il n'y a aucune raison pour qu'ils soient moins performants que leurs confrères anglo-saxons - mais plus probablement ce que j'appellerais le syndrome catastrophique du "vérisme" dans la fiction française.

Il faut faire et parler comme dans la réalité. Et même pousser jusqu'à l'absurde, jusqu'à la caricature, cette volonté de singer le factuel en hypertrophiant le confus, l'indistinct et le flou de certains échanges parfois dégradés du quotidien. De sorte que le spectateur doit tendre l'esprit et l'oreille pour tenter de deviner, au travers du brouillard oral, la substance des dialogues.

A force de leur demander de s'exprimer dans leur barbe, les acteurs ont oublié qu'ils ne parlaient pas seulement au réalisateur mais à l'intention de leurs futurs spectateurs. Cette obsession de dénaturer l'explicite, le limpide, le compréhensible pour les constituer telle une bouillie laisse le passionné de films ou de séries sur sa faim. Parce que, pour reprendre l'exemple de Dix pour cent, alors que la plupart des épisodes sont intelligents et vifs et les dialogues souvent étincelants, une mauvaise diction de tel ou telle m'a conduit à me dédoubler : rire, admirer mais en même temps chercher le sens. Le plaisir s'en trouve infecté.

Puis-je faire une proposition ? que les séries et les films français s'engagent, quitte à emprunter le plus souvent les chemins du réel, sur ceux qui nous permettraient une écoute de qualité.

Je ne vois aucune raison d'autoriser un réalisateur à trahir Vincent Lindon. Ce dernier, qui est dans ses entretiens on ne peut plus audible, doit continuer à l'être dans ses films.

Une fois corrigée cette imperfection grave du son, il restera à me méfier de l'addiction suscitée par les séries. Même après le 11 mai.


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