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Tweeter est-il si grave ?

Justice au singulier - philippe.bilger, 28/05/2013

Le tweet devrait être perçu comme la suprême liberté d'un monde trop sérieux qui n'en a plus beaucoup, comme l'ultime élégance d'une société qui se perd à prendre tout, toujours, au premier degré. A force d'être pris pour plus qu'il n'est, le tweet va se moquer de nous.

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A côté de la tenue d'un blog, je pensais que Twitter serait un havre de paix qui, grâce aux 140 signes imposés, susciterait une effervescence tranquille et acceptée.

Quelle erreur !

Je ne sais plus où donner de l'écrit et du message. Je crois me consoler de certains commentaires en me réfugiant dans les tweets. Je fuis la paradoxale dureté de quelques-uns en me consacrant à la rédaction de billets qui, au moins durant le temps de leur écriture, me laissent dans le seul dialogue avec moi-même. Je vais finir par me résigner à l'idée que c'est probablement la démarche la plus commode. Communiquer mais pour rien, mais avec personne !

J'entends déjà l'objection qui me suggère d'avoir du bon sens et d'abandonner tout désir de blog et de tweets, toute envie de transmettre. Je sais depuis longtemps ce qu'il y a d'orgueil, voire de narcissisme dans ce sentiment qui vous pousse à exprimer comme si vous étiez nécessaire. Il faut au moins considérer que vous n'êtes pas plus déplacé que tant d'autres en venant vous mêler à l'ébullition intellectuelle, légère, superficielle ou dense, qui donne du prix aux jours et vous met souvent dans un compagnonnage de qualité. Demeurer dans le silence ne représenterait pas une perte pour l'humanité mais pour vous-même. Vous avez besoin de vous croire, non pas irremplaçable évidemment, mais un peu utile. Sinon, à quoi bon vivre ?

Pourtant, quelle ascèse, parfois, quand vous constatez que les posts ne sont pas vraiment lus et qu'une triste tendance contemporaine, qui va en s'aggravant, réduit à une pauvreté de l'analyse et surtout à des alternatives de plus en plus simplistes. La condescendance est réservée à ceux qui ne se remettent pas de cette facilité paresseuse du tout ou rien et tentent de ne pas y succomber.

En matière politique, il est effrayant de devoir constater que le champ immense qui s'étend entre l'idolâtrie et la diatribe n'est plus exploité, pire, même plus connu. Dire partiellement du bien de la personnalité du président Hollande mais discuter ses actes ou douter de leurs effets, c'est déjà trop : il faudrait haïr l'une comme les autres. Tout pour la diatribe.

En revanche, soutenir que Nicolas Sarkozy a été battu, que sa défaite, à cause de sa fin de campagne, a été mortifère pour la droite et que son attitude, depuis le mois de mai 2012, par cette absence ostensible et cette présence faussement discrète, est suicidaire pour l'avenir de sa famille politique largement entendue est intolérable. Il conviendrait de continuer à porter aux nues le perdant. Tout pour l'idolâtrie.

Quel est cet étrange et paradoxal besoin qui conduit à fabriquer sans cesse une réalité de carton pâte pour se donner bonne conscience quand on vitupère ou glorifie ? Quelle déplorable évolution que celle qui nous a rendus étrangers à la nuance, à la complexité, aux ombres et aux lumières voilées ou indécises, à cette part de nuit en chacun, à cette offense au manichéisme qu'est l'intelligence !

Alors, les tweets et l'actualité me font signe. Je persiste : on ne tweete pas pour exister. On tweete parce qu'on existe.

Et qu'on a envie, par une sorte d'allégresse de tous les instants, de s'abandonner à tout ce qui est susceptible, dans n'importe quel secteur, de nourrir l'esprit, d'émouvoir le coeur, d'appeler dérision, dénonciation, indignation ou approbation. Précisément parce qu'il s'agit de tweets et que la technique nous limite, nous avons tous les droits. Celui d'être futile, décisif, péremptoire, sommaire, caustique ou rigolard. Celui d'emprunter tous les chemins. Personne ne nous demandera notre carte de savant certifié, de critique patenté ou de citoyen éclairé. Tweeter, dans l'instant, dans la seconde, offre tous les diplômes requis. Nous n'avons pas de comptes à rendre.

Un tweet n'est pas un essai ni un ouvrage de philosophie ni même une contribution politique ou un aperçu judiciaire. Encore moins un article où il est de bon ton de mettre face à face les contradicteurs. C'est un trait, une fulgurance, une ineptie qui s'accorde la licence d'en être une, une plaisanterie qui parfois vise juste, tombe à plat aussi, une réflexion pas trop bête, un raccourci fier de l'être, une partialité qui n'a pas à se justifier, une subjectivité qui n'a pas à s'enfermer. Un cri, un rire, un sarcasme, une outrance, de l'eau tiède, pure ou grise.

Le tweet devrait être perçu comme la suprême liberté d'un monde trop sérieux qui n'en a plus beaucoup, comme l'ultime élégance d'une société qui se perd à prendre tout, toujours, au premier degré. A force d'être pris pour plus qu'il n'est, le tweet va se moquer de nous.

Contrairement à ce que laissent entendre certains qui plombent le moral, on n'a pas à "se prendre la tête" pour tweeter. Tweeter n'est pas tragique. Nous ne portons pas le monde sur nos épaules, dans notre esprit quand soudain on aspire sur n'importe quoi à donner un avis, à faire part d'une saillie - à participer à une activité beaucoup plus ludique que responsable, qui devrait, parce qu'elle est naturellement épanouissante pour la personne, susciter bienveillance, cordialité, indulgence, contradiction aimable. Je me demande bien où l'humain pourrait s'octroyer la permission de traiter de tout si ce n'est sur Twitter puisque tweeter consiste à demeurer à la surface des êtres et des choses. Et c'est doux, pour une fois, de ne pas plonger dans les profondeurs glaçantes du concept à tout prix et de ne pas adopter la posture de l'ennuyeux pétri de conscience qui trop souvent gâche nos soirées et ruine le véritable esprit.

Je sais. Ce que je décris là ne tient pas compte des quelques-uns qui ne viennent tweeter que pour débiner, mordre. Qui sucent, parasitent la pensée et les affirmations des autres pour éviter d'avoir à proférer les leurs. Qui chipotent mais ne proposent rien. Qui n'ont qu'une seule obsession : chercher, cibler les fautes infimes réelles ou prétendues et se piquer d'être des justiciers du risque des autres. Ils ne tweetent pas, ils contrôlent. Ils ne s'avancent pas, ils attendent tous les tweets au coin pour leur faire la morale. Ils n'inventent pas, ils font le guet. Ce sont des surveillants. Ils nous mangent la pensée sur l'esprit et la laine sur le dos. Certains, en ce qui me concerne, semblent avoir particulièrement faim.

Comme au Tour de France, il y a les suiveurs, les suivistes, les intouchables forcément puisqu'ils ne créent pas mais se contentent d'acidités réactives. Ils sont généralement très donneurs de leçons dans le domaine judiciaire où pourtant leur invocation permanente à la présomption d'innocence est inversement proportionnelle à leur savoir sur la Justice. Dire que Christine Lagarde n'est pas encore condamnée ne leur suffit pas : il faut aussi la sanctifier. Ils sont épuisants comme des boutiquiers. Leur éthique est rabougrie parce qu'elle ne sert à rien d'autre qu'à chercher la petite bête, à diffuser le soupçon et à dégrader les grands espaces de Twitter que ses 140 signes n'ont jamais empêché d'être un moyen irremplaçable pour parler à autrui, ses frères, ses prochains, ses contradicteurs. Un incroyable outil de communication pour rire ou pleurer. Ou pour n'importe quoi d'autre qui touche le prisme humain dans sa plénitude.

Je rebrousse chemin et je retourne à mon blog.

Et ce billet est pour vous.


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