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Le coronavirus est pour l'égalité : il touche tout le monde...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 10/03/2020

Je ne suis pas tout seul à avoir peur. Même les solidarités les plus misérables font du bien.

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On me pardonnera ce titre qui est plus amer qu'ironique.

J'ai peur, nous avons peur d'être menacés et menaçants, d'être infectés.

Nous avons appris que le ministre Franck Riester l'était parce que sa fonction l'avait évidemment conduit à beaucoup se rendre à l'Assemblée nationale. Des députés ont été atteints et peut-être d'autres ministres le seront-ils ! L'empathie que chacun éprouve pour ces victimes qui souvent nous rassurent sur leur état est naturellement limitée par l'inquiétude qui peut nous saisir au sujet de notre sort personnel. Que l'on soit âgé ou non. Il y a les autres mais peut-être bientôt nous-mêmes ?

La protection autour du président va être comme il se doit renforcée (BFM TV).

Cette démocratie perverse et dangereuse du virus crée un étrange climat qui fait oublier apparemment les joutes politiciennes, le projet de loi sur la retraite, la quotidienneté partisane qui nous dresse, depuis 2018, quasiment systématiquement contre le pouvoir présidentiel.

Soit directement soit par une procuration qui nous incite honteusement ou subtilement à endosser toutes les révoltes, atypiques ou non, qui ont constitué notre pays tel un chaudron républicain où l'ébullition, la violence sont devenues la règle. Et la contradiction courtoise, singulière ou collective, l'exception.

Je l'avoue : j'ai peur mais je fais comme si j'étais invulnérable. Là où je travaille, nous respectons non seulement les consignes du remarquable ministre de la Santé Olivier Véran - cet ambitieux décrié mais compétent fait oublier Agnès Buzyn qui se voit reprocher, comme candidate imposée à Paris par le président de la République, son maigre bilan de ministre - mais nous allons même au-delà.

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On a fait déserter Agnès Buzyn quand on aurait eu plus que jamais besoin d'elle. Singulier processus qui révèle une fois de plus qu'Emmanuel Macron a beaucoup de qualités sauf celle de savoir choisir la bonne personne pour la bonne fonction et au bon moment.

Je me lave fréquemment les mains, je ne me touche pas le visage, je parviens à résister au serrage de main et encore plus aisément aux embrassades. Je n'éprouve aucune difficulté à créer une distance entre autrui et moi mais je ne peux pas m'empêcher de craindre, dans le métro ou dans l'autobus, que le mal rôde et me touche.

Mais il faut vivre.

N'ayant aucune légitimité ni savoir scientifiques, je fais confiance aux médecins et au ministre. Il me paraît fondamental, en ces circonstances éprouvantes qui vont durer, de s'obliger à dominer méfiance et suspicion, encore plus un absurde complotisme, pour se tenir modestement aux côtés des autorités qui apparemment ont préféré, pour lutter, une méthode empirique, pragmatique, ciblée et évolutive plutôt qu'immédiatement radicale même si je ne méconnais pas le succès de cette dernière, notamment en Corée du Sud.

J'ai peur mais j'irai voter au premier tour des municipales à Paris. Par civisme et parce que la démocratie s'use si l'on ne s'en sert pas.

Loin de moi l'envie de traiter de haut les 30 % de citoyens qui n'oseront pas accomplir ce qui ne devrait pas être un devoir mais une chance. Pas assez donnée dans notre République qui croit nous satisfaire avec des rendez-vous réguliers mais qui dans les intervalles nous laissent frustrés.

La France ne se mettra jamais en quarantaine comme l'Italie. Si le gouvernement réussit avec du temps, de la compétence et de la maîtrise, à réduire ce fléau puis à le dominer, il n'en tirera aucun gain politique. Au meilleur, on ne le créditera pas d'avoir bien accompli sa mission de sauvegarde. Au pire, on l'accablera encore davantage.

J'ai peur, nous avons peur mais nous résistons rien qu'en vivant, en respirant, en marchant et en côtoyant. Surtout, que des bons apôtres ne viennent pas nous sermonner en invoquant la raison et la science. Il y a des angoisses légitimes contre lesquelles l'objectif ne peut rien.

Le fait de savoir que le coronavirus est pour l'égalité puisqu'il touche tout le monde, pour une fois, nous laisse désarmés, oscillant entre espoir diffus et certitude triste.

Je ne suis pas tout seul à avoir peur. Même les solidarités les plus misérables font du bien.


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