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Au FN : l'homo et Marion Maréchal-Le Pen

Justice au singulier - philippe.bilger, 23/12/2013

Le sénateur Placé, qui va régler ses amendes, voit juste : mieux vaut un FN à l'Assemblée que dans la rue ou dans les médias. Même si on aurait dû toujours ignorer que Steeve Briois est homosexuel et Marion Maréchal-Le Pen une future star de la politique si elle ne l'abandonne pas en 2017.

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En Ouganda, l'homosexualité pourra être condamnée par une peine pouvant aller de deux ans à la prison à vie.

On devine, dans ce pays, les affres de ceux qui, pour échapper à cette indignité législative, se terreront, se dissimuleront et tenteront de cultiver un secret absolu. La transparence, leur malédiction.

En France, faut-il considérer que depuis une décision récente de la cour d'appel de Paris, le droit à la vie privée des responsables politiques est remis en cause et qu'il y aurait, en certaines situations et à l'égard de personnalités choisies, une transparence permise, en tout cas tolérée (JDD) ?

Dans un ouvrage d'analyse politique, son auteur révèle l'homosexualité de Steeve Briois, candidat FN à la mairie d'Hénin-Beaumont, dans le Nord, et membre de la direction du parti frontiste. La cour d'appel a autorisé la vente en librairie du livre mais a interdit de publication des passages dévoilant le nom de son compagnon.

L'argumentation de la juridiction est la suivante. Comme Steeve Briois est une "personnalité politique de premier plan", l'évocation de son homosexualité "est de nature à apporter une contribution à un débat d'intérêt général et prime sur le droit au respect de ce pan de sa vie privée" tandis que la notoriété de son ami "ne dépasse pas le cadre régional".

Sans être péremptoire dans mon appréciation, je ne suis pas convaincu par cette distinction d'ordre géographique entre une réputation nationale ou régionale. Parce que le périmètre est plus étroit, on pourrait jouir d'une licence que l'espace plus vaste empêcherait ?

Il me semble que le regard à porter sur l'intimité de la vie privée à sauvegarder ou non doit tenir prioritairement à la nature de cette dernière plus qu'à l'ampleur de l'insertion de la personne dans le tissu social et politique. Il y a quelque chose d'insatisfaisant pour l'esprit avec cette focalisation sur la célébrité comme si l'orientation intime, valeur capitale à protéger, dépendait, pour son secret ou sa publication, des hasards d'une carrière ou d'un destin.

Plus sérieuse paraît être la thèse qui, pour légitimer l'information sur l'homosexualité de Briois, souligne que cette donnée personnelle aurait expliqué les "positions prudentes" de Marine Le Pen sur le mariage gay.

En même temps, il s'agit d'une interprétation qui suppose une attitude de la part de la présidente du FN, n'impliquant pas forcément Steeve Briois dans cette démarche. Il est fort possible que Marine Le Pen se soit au moins en partie déterminée à cause de ce qu'elle savait sur Briois mais nous n'en avons aucune certitude. Pas plus l'auteur que nous. Ainsi est dévoilée une homosexualité, avec un préjudice réel en résultant, au prétexte d'une incidence politique sinon virtuelle du moins seulement plausible ou même probable. Le secret est violé parce que, connu, il aurait servi à d'autres. Posture infiniment risquée susceptible d'entraîner des dérives à foison.

Steeve Briois aurait été beaucoup moins fondé à se plaindre si par lui-même, dans son existence de militant et de responsable politique, il avait fait preuve d'hostilité, voire d'ambiguïté à l'égard de l'homosexualité dans le débat public et qu'il avait en quelque sorte contraint les médias à une clarté mettant à jour ses contradictions et incriminant son double langage. Rien de tel n'a jamais pu être imputé à Steeve Briois. Cet "homo" aurait donc dû demeurer à l'abri de cette révélation indiscrète.

Le déplorable secret de l'Ouganda et la transparence française dangereuse.

Quel bonheur de sortir de cet univers où la justice et le sexe se croisent parfois sans bien se comprendre pour lire les propos de l'invitée du dimanche Marion Maréchal-Le Pen dans Le Parisien grâce aux questions pertinentes d'Olivier Beaumont et Rosalie Lucas !

Je suis tombé sous le charme intellectuel et humain de cette jeune femme même si ce n'est pas la première fois que je la découvre et qu'elle fait apparaître, par rapport à l'univers rude, peu généreux et guère empathique du FN - Henri Guaino a raison - une image chaleureuse, sincère et tranquille. Elle ne cède sur aucune de ses convictions mais d'une part, en tout cas dans leur expression dominicale, elles n'ont rien qui puisse heurter un républicain de bonne foi et d'autre part le ton, la voix qui les formulent sont acceptables et sereins. Elle n'a pas la haine entre les dents ni dans la tête.

Sur un plan mineur, elle décrit avec beaucoup d'esprit l'atmosphère qui est dénoncée comme "machiste" à l'Assemblée. Pour sa part, elle affirme n'avoir eu que "des remarques gentilles quand elle est venue quelquefois en robe" et, comble d'impudence, ajoute que "quand on m'appelle Cocotte, je trouve que c'est affectueux". Comme elle nous change des féministes qui nous obligent à considérer que l'égalité entre les hommes et les femmes n'est pas un beau combat (Nouvel Observateur) !

Ailleurs, elle avait déjà superbement pourfendu la conception "ethniciste" de la société en louant les multiples apports et influences divers et contrastés qui avaient construit, enrichi et honoré la France mais en insistant sur l'obligation, pour ceux qui étaient accueillis, de respecter les lois et les règles du pays hôte.

Cet entretien dans Le Parisien n'est pas fait que de gracieusetés : il aborde le climat d'insécurité, les élections municipales et européennes et l'éventuel changement de nom du Front national. Il serait le bienvenu : ce terme de Front est atroce !

Sans doute vais-je encourir à droite comme à gauche les foudres de ceux nombreux qui sont fiers de détester le FN par principe et de ne jamais lire ni écouter les responsables de ce parti. Pour ma part, j'aime m'opposer aux idées et aux principes en les connaissant et pas en les présumant mauvais. J'avoue aussi - ce n'est pas faute de colonne vertébrale, je l'espère - que j'éprouve une sainte horreur devant les détestations globales et que je suis heureux de m'imposer comme citoyen un pluralisme, une curiosité, un malaise aussi, parfois une estime liée aux êtres et distincte des idéologies : souvent il y a des personnalités qui me plaisent, qui me passionnent tellement qu'elles me consolent des pensées et des jugements qu'elles profèrent. Je répugne à être prisonnier de mes convictions comme à être sourd, dans tous les cas, à autrui. Rien n'est plus exaspérant, dans notre monde, que le joug de devoir se soumettre à une adhésion sans nuance ou à une réprobation entière. Penser, ressentir, dialoguer à la carte, impossible!

Je ne suis pas plus attiré par le FN parce que Marion Maréchal-Le Pen apporte de la douceur dans un monde de brutes et qu'à l'évidence elle respire l'air démocratique que je n'incline vers le Font de gauche parce que Jean-Luc Mélenchon est un grand orateur même si son caractère difficile est surprenant.

Si n'importe qui lisait cet entretien que je promeus, sans savoir que les réponses sont de Marion Maréchal-Le Pen, il susciterait une approbation générale à droite et au Centre et une contradiction courtoise à gauche sans que même elle soit unanime. Mais l'étiquette FN sur la tête de cette jeune femme fera qu'il ne sera pas lu ou alors préjugé avant d'être lu. Les excommunications par décret et par bêtise m'ont toujours révulsé.

Marion Maréchal-Le Pen, elle-même, a conscience de cette absurdité qui ne se préoccupe pas du fond ni même de la forme - mais de l'étiquette apposée une fois pour toutes. Avec ironie elle déclare : "On pourrait s'appeler Fleurs roses et paillettes, nos adversaires continueraient à dire que nous sommes d'extrême droite".

Le sénateur Placé, qui va régler ses amendes, voit juste : mieux vaut un FN à l'Assemblée que dans la rue ou dans les médias.

Même si on aurait dû toujours ignorer que Briois est homosexuel et Marion Maréchal-Le Pen une future star de la politique si elle ne l'abandonne pas en 2017.


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