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La France ses gares

Justice au singulier - philippe.bilger, 3/11/2012

Mais qu'on y prenne garde, au risque de me répéter : on n'aura pas toujours une association et un président de cette sorte pour maintenir la lutte dans un registre convaincant et légitime. Un jour, dans notre République, la rançon de l'indifférence, de l'incompétence et de la faiblesse de quelques-uns sera à verser par tous. Et elle sera lourde.

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J'avais l'intention d'évoquer le destin tragique de Marcellin Horneich, ancien condamné à mort, gracié en 1977. Placé en libération conditionnelle au mois de mars 2012, il est réincarcéré pour avoir arraché son bracelet électronique. Il s'est suicidé en se pendant, à Fresnes, à l'âge de 64 ans. Il y a quelque chose de vertigineux à apprendre ainsi médiatiquement, en quelques jours d'intervalle, alors que je ne connaissais rien de lui, son histoire, son interpellation et sa mort. Que s'est-il passé dans sa tête durant ce court intervalle entre son arrestation et sa décision d'en finir ? Trop d'émotions pour un seul homme, même lui ?

La volte est brutale mais nous allons demeurer dans le domaine de la sécurité : la dégradation du tissu urbain et l'implacable avancée de la dureté de vivre pour beaucoup.

Mais si cet autre sujet a pris le dessus, c'est que depuis longtemps les gares du Nord et de l'Est à Paris me sont apparues, avec leur environnement sale, dangereux et délétère, comme la démonstration au quotidien de l'éloignement de l'Etat, de l'échec municipal, de l'impuissance de la police et, par suite, de la résignation citoyenne. Les grandes gares européennes ne brillent pas toujours par leur apparence et leurs abords mais les nôtres sont indépassables pour le pire.

La grande nouvelle est qu'une association Vivre Gares du Nord et Est a décidé de mettre fin à cette passivité, à cette fatalité d'une modernité dévoyée et de dérives si familières qu'elles en deviennent faussement irrésistibles. Elle a dénoncé au préfet de police Bernard Boucault l'insécurité grandissante qui pourrit littéralement la vie de ces quartiers : toxicomanes avec leurs chiens, marginaux ivres, agressions, récemment d'une femme âgée de 86 ans dans son hall d'immeuble. Le boulevard de Denain détient le triste record de ces malfaisances et transgressions au point qu'une agence bancaire qui y est installée aurait enregistré, à cause de ce climat, une baisse de 40% de l'utilisation de son distributeur de billets. Pour une riveraine de ce boulevard, "depuis quatre ans c'est devenu une zone de non-droit" (Le Parisien).

Le président de l'association Pierre Coulogner s'indigne à juste titre de l'image détestable donnée de Paris et de notre pays aux nombreux étrangers qui arrivent ou transitent par ces gares.

Je suis d'autant plus sensible à cette colère que le 19 octobre 2010 j'avais écrit un billet, "La France vue de la gare du Nord", où je racontais mon saisissement en débarquant un soir gare du Nord, de retour d'Anvers. Il avait été approuvé par de nombreux commentateurs même si quelques-uns m'imputaient d'être raciste alors que je m'étais contenté de décrire un réel qui m'avait crevé les yeux et un contraste qui ne faisait pas honneur à Paris.

Je ne nourris aucune illusion. Pour défendre et soutenir Vivre Gares du Nord et Est qui manifestera le 1er décembre - pour une fois, un défilé, une protestation auront vraiment du sens -, je me doute que des humanistes patentés assumant aisément les difficultés quotidiennes des autres viendront me contredire et m'opposer qu'il ne faut pas généraliser, que je vais favoriser je ne sais quoi et porter atteinte à je ne sais qui. Je maintiens que le plus urgent est de célébrer cette démarche collective qui n'est mise en oeuvre qu'à cause d'une inertie coupable des responsables de tous niveaux.

J'exagère à peine puisque le maire socialiste du dixième arrondissement n'a rien trouvé de mieux, pour combattre la drogue et faciliter la répression de l'usage et des trafics, l'un induisant les autres même modestes, que de se déclarer partisan de la création d'une salle de consommation dans le quartier. Tout cela serait ridicule si l'existence d'un certain nombre de nos concitoyens n'était pas sérieusement affectée par cette bonne conscience théorisant la faillite en politique et prétendant gérer le mal plutôt que de le réduire et de le sanctionner.

Restons cependant sur ce sentiment fort d'une victoire démocratique, d'un sursaut populaire. Des citoyens ont pris en main leur destin, en charge leur présent et leur avenir. Pour l'instant, ils alertent. Ils secouent les inactifs ou les négligents. Ils attendent.

Mais qu'on y prenne garde, au risque de me répéter : on n'aura pas toujours une association et un président de cette sorte pour maintenir la lutte dans un registre convaincant et légitime.

Un jour, dans notre République, la rançon de l'indifférence, de l'incompétence et de la faiblesse de quelques-uns sera à verser par tous.

Et elle sera lourde.


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