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La justice, c'est maintenant

Justice au singulier - philippe.bilger, 30/05/2013

Pour parler franchement, je n'ai pas envie de voir revenir tous ces maîtres et /ou serviteurs en 2017. Ils ne me tentent pas, plus. La Justice, c'est maintenant ?

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Dans les jours prochains, on va beaucoup parler de la présomption d'innocence.

Les idéalistes qui sont trop purs pour admettre un arbitrage aussi frauduleux avec tant de personnalités impliquées dans une chaîne qui part vraisemblablement du plus haut sommet de l'Etat jusqu'à une honteuse parodie finale. Je les entends : il n'est pas possible que tout cela soit, ce serait désespérer de l'humanité.

Les cyniques qui ont toujours su que le scandale en était un, et gravissime, le plus tristement éclatant du quinquennat de Nicolas Sarkozy, et vont s'abriter derrière des principes auxquels ils n'ont jamais cru pour défendre un camp, un clan, une faction. Je les entends : c'est la vérité mais il faut tout tenter pour qu'elle n'éclabousse pas Sarkozy et sa garde rapprochée.

La présomption d'innocence, ainsi ressassée, est une ânerie quand, depuis la révélation de ce cataclysme, à partir de l'intuition fulgurante d'un François Bayrou trop lucide et écoeuré, se sont accumulés quasiment jour après jour les preuves, les actions répréhensibles, les abstentions incompréhensibles, les connivences gênées, les mensonges utiles et les apparences d'honnêteté outragée cachant de nauséabonds secrets.

Depuis 2008, le nombre d'articles, surtout sur Mediapart, qui n'ont pas cessé, avec Laurent Mauduit et le Professeur Thomas Clay notamment, de nous inciter à regarder, à réfléchir, à bouger et à dénoncer. Ce n'était pas rien. Juste 403 millions d'euros octroyés par un tour de passe-passe. La France n'y verrait que du feu, elle est si peu républicaine au fond !

Tout de même, le quinquennat de ce "parfait" honnête homme qu'était le président Sarkozy terminé, avec sa "parole admirable", nous dit sans rire Bernadette Chirac, après des prémices où Jean-Louis Nadal a été exemplaire, le mouvement a gagné les esprits, les consciences, agité la justice, les verrous ont sauté - rendons grâce à ce pouvoir qui ne les a pas refermés -, on a dépassé les soupçons, on a constaté que le roi était nu et malgré les efforts désespérés de Bernard Tapie (20 minutes), le cercle des initiés indélicats s'est élargi, Stéphane Richard, Claude Guéant qui a perdu en si peu de temps son image de roideur impeccable, Christine Lagarde adorée comme bouclier mais envoyée par prudence au FMI. Et qui derrière Claude Guéant ? Et qui a inspiré à Jean-Louis Borloo de mettre immédiatement en branle le processus d'arbitrage quand la justice officielle allait faire gagner probablement l'Etat et que tous les honoraires d'avocats allaient peser plus lourd que les frais de justice ?

Et Pierre Estoup, maître d'oeuvre du tribunal arbitral, ayant été préfacé par Jean-Denis Bredin et ayant eu droit à une dédicace de Bernard Tapie, longtemps avant, avec son "infinie reconnaissance", Pierre Estoup ayant menti pour sa déclaration d'arbitrage et omis de révéler ses rapports avec Me Lantourne avocat de Tapie ?

Pierre Estoup, qui a été, magistrat, premier président de la cour d'appel de Versailles puis a "fait" dans l'arbitrage de manière industrielle, ayant déjà connu une alerte sérieuse, a été mis en examen du chef d'escroquerie en bande organisée, incrimination terrible (LCI). J'ai de la compassion pour cette personne âgée de 86 ans mais aucune pour le personnage et le rôle que probablement il a joué. Mais j'oublie : il est présumé innocent.

Christine Lagarde, quand on attendait sa mise en examen pour complicité de détournement de fonds publics, est sortie rayonnante de ses nombreuses heures d'audition comme si elle avait gagné parce qu'elle n'était que témoin assisté. Elle a osé nous déclarer qu'elle avait toujours agi dans l'intérêt de l'Etat et en application de la loi. Quel culot, quelle superbe !

Pour expliquer son absence de recours contre Pierre Estoup et l'irrégularité de la composition du tribunal arbitral, elle, pourtant avocate, met en cause Stéphane Richard directeur de cabinet de Borloo puis d'elle-même, les deux fois à l'instigation de Nicolas Sarkozy. Stéphane Richard questionné par la ministre se serait contenté de répondre "qu'il y avait eu un petit problème avec Estoup mais qu'il était réglé". Elle n'a pas été curieuse plus avant (JDD).

Les trois procédures qui, après tant d'immobilisme apparent, non seulement avancent vite mais s'épaulent - l'ancienne ministre, les responsabilités non ministérielles et la Cour de discipline budgétaire - vont sûrement - et je tiens compte de la présomption d'innocence !- déboucher sur la constatation d'atteintes impardonnables à l'Etat, à ses intérêts, à la morale publique et à l'intégrité. Pour une fois, un énorme scandale, vraiment.

Lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy, quand cela suintait de partout et que pas un ministre, pas un Conseiller, pas le Premier ministre évidemment, ne pouvait ignorer ce qui s'était tramé et accompli, pas un mot, même la plus légère révolte, pas la plus petite dénonciation, pas même l'ombre d'une critique. La droite promise irréprochable en 2007 a tout accepté de son chef et de ses tout proches durant cinq ans. Elle s'est tue et a avalé beaucoup de couleuvres parce qu'absurdement elle avait intériorisé le diktat de la gauche se prétendant seule propriétaire de la morale.

Déconvenue hallucinante. Pierre Moscovici, deux jours avant que Christine Lagarde soit entendue, s'autorise à déclarer que dans tous les cas elle a la confiance de la France. Ce propos inopportun a influencé, paraît-il, la commission d'instruction de la Cour de justice qui a choisi le statut de témoin assisté pour ne pas déstabiliser la France et le FMI. La raison d'Etat pour sauver un Etat qui avait failli ! Le président de la République lui-même s'était engagé dans la même voie à la fois naïve et choquante : comme si les scandales n'avaient pas d'incidence sur les postes à pourvoir ou à conserver.

L'Etat, maintenant, va se constituer partie civile. Quelle cohérence. La confiance hier, la lucidité aujourd'hui !

Pour parler franchement, je n'ai pas envie de voir revenir tous ces maîtres et /ou serviteurs en 2017. Ils ne me tentent pas, plus.

La Justice, c'est maintenant.


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