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Pierre Jourde en passant par Paris

Justice au singulier - philippe.bilger, 18/09/2012

Mais peu importe. Ne manquez pas cette chance de vérité dans le maquis complexe de nos interrogations.

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Ce qui s'est passé samedi dernier 15 septembre à Paris au cours de l'après-midi avait-il quoi que ce soit à voir avec une manifestation classiquement anti-américaine ou celle-ci, devant l'Ambassade des Etats-Unis, n'était-elle qu'un prétexte pour imposer une loi qui n'était pas la nôtre, s'adonner ostensiblement à des prières de rues et défier avec des femmes intégralement voilées ? Pour montrer à quel point, malgré l'interdiction de manifester, la volonté de ce groupe composé au total de deux cents à deux cent cinquante personnes avait été prédominante et comme l'ordre public et l'autorité, pour certains, de leur Etat comptait peu.

Il y avait "des jeunes musulmans souvent issus des banlieues", des ressortissants d'origine syrienne, tunisienne et égyptienne et des "islamistes radicaux d'origine salafiste". Alertés dans la matinée par des appels sur les sites puis par tweets. Cent cinquante-deux manifestants ont été interpellés pour "participation à une manifestation non déclarée" (Le Monde) et une enquête ordonnée pour identifier ses organisateurs.

Ce mouvement faiblement collectif mais déterminé, motivé apparemment par la dénonciation du film Innocence of Muslims, n'était jamais que l'une des nombreuses réactions, ailleurs parfois infiniment plus violentes et dramatiques, mises en oeuvre par des islamistes bénéficiant d'une sorte d'impunité terrifiée comme s'ils faisaient peur au monde entier et que leur religion avait le droit, elle, contrairement au christianisme et au judaïsme, d'être défendue avec des méthodes scandaleuses et criminelles. Il y a quelque chose de profondément choquant dans cette lâcheté universelle qui semble se contenter de prendre acte de cette discrimination.

Aussi, j'avoue avoir été déçu par les propos de François Fillon d'ordinaire mieux inspiré quand il s'agit d'enjeux de société. Comment a-t-il pu aller jusqu'à questionner, même pour la façade, le président de la République "sur le fait que le préfet de police ait toléré une manifestation de salafistes", alors qu'il savait évidemment que cette dernière avait été interdite et que le langage de Manuel Valls sur cet événement de provocation avait été ferme et sans aucune ambiguïté (Le Figaro) ?

Autant j'ai souvent jugé stérile l'appel au consensus national, par exemple sur les problèmes de justice, comme s'il n'y avait pas de profondes différences entre les philosophies de droite ou de gauche, autant je suis persuadé que beaucoup auraient apprécié réserve, retenue, soutien de la part de l'opposition car nous n'étions plus sur le terrain politique mais sur celui de l'identité de la France et de sa démocratie. Il est des combats, bien au-delà du partisan, qui appellent l'intelligence collective d'autant plus que ce ministre de l'Intérieur ne fait rien pour creuser les gouffres mais au contraire s'efforce de concilier la rigueur quand elle est nécessaire et l'apaisement quand il est possible.

J'ai fait un trop long détour par Paris alors que mon objectif initial était de rendre hommage, sur le plan intellectuel et civique, à un texte extraordinaire de Pierre Jourde, publié sur Bibliobs et ayant pour titre "Pourquoi je n'aurais pas signé le texte d'Annie Ernaux". Celle-ci avait fait paraître dans Le Monde une tribune dénonçant violemment le libelle de Richard Millet. Pierre Jourde, dans une analyse à la fois sans complaisance de l'attitude de ce dernier mais sans indulgence pour ses "épurateurs", tient avec cohérence une double ligne de raisonnement et d'explication. D'une part, "un délire paranoïaque, l'éloge de la pureté", d'autre part, "le refus d'admettre qu'il puisse y avoir le moindre problème car parler de problème, c'est déjà être raciste. Deux manières de refuser le réel".

La pire des manières pour faire lire est d'écrire pour persuader un lecteur virtuel. Je devrais seulement vous recommander cette pensée profonde, complexe, équitable renvoyant dans leur coin les racistes frénétiques et obtus d'un côté et, de l'autre, les bonnes consciences germanopratines qui, à force d'occulter le réel, empêchent évidemment "toute lutte concrète contre le racisme". On a pu, ici ou là, déjà prendre connaissance d'une telle argumentation que le bon sens simple et la lucidité pointue valident. Mais je l'ai rarement vu exposer avec une telle robuste et saine rigueur. J'ose à peine nommer délice, sur un tel thème, la sensation que j'ai éprouvée.

Si j'avais une seule réserve à formuler, ce serait non pas sur la liberté dont Pierre Jourde conclut qu'elle serait un remède à tout mais sur la manière dont il semble sous-estimer les possibles conséquences déstabilisantes pour notre société de cette valeur absolument entendue.

Mais peu importe. Ne manquez pas cette chance de vérité dans le maquis complexe de nos interrogations.


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