Actions sur le document

Marions-les !

Justice au singulier - philippe.bilger, 18/11/2014

Ce qui est fondamental s'attachera, le pouvoir renouvelé, à ne pas toucher au mot "mariage" et à sa réalité pour tous. Le reste, j'en suis persuadé, pourra, dans un débat éclairé et de bonne foi, être appréhendé sans offense pour quiconque et sans faire de l'enfant un don obligatoire. Il aidera, sans haine ni mépris pour l'autre camp proche et fraternel, la France à sortir par le haut de la splendide et douloureuse diversité des situations humaines.

Lire l'article...

Les entraves à la liberté d'expression, pour ce qui me concerne, n'ont jamais été liées à une sorte de faiblesse intime, de peur ou de prudence qui m'auraient conduit à les créer moi-même.

Mais plutôt à des facteurs extérieurs qui tiennent aussi bien à la volonté de ne pas offenser un univers familier et complice qu'à celle de ne pas donner du grain à moudre à d'insupportables contradicteurs.

J'y songe à propos de la loi sur le mariage pour tous et du débat qui depuis quelques jours agite la droite classique sous le regard condescendant d'une gauche qui n'a vraiment pas de leçons à donner sur le plan de l'éthique publique et de l'exigence de rassemblement.

En effet, comment parvenir à se montrer totalement libre quand on arrête son esprit, sa conviction sur ces manifestants de la Manif pour tous qui ont été les premiers à subir l'exceptionnelle rigueur du pouvoir socialiste et de ses forces de sécurité, sur ces militants convaincus, atypiques et enthousiastes mettant au rancart la politique traditionnelle, sur ces juristes de talent et de savoir voués à une cause qui les a mobilisés, sur ces sites d'information qui, contre la pensée dominante, ont veillé, comme les Veilleurs, de manière éclatante à ne pas laisser étouffer une autre conception de la nature, de la culture, de la vie et de la société ? Comment ne pas retenir son envie de tout dire quand on a par exemple dans la tête, sur ce sujet, le pluralisme intelligent et stimulant du Figaro Vox ?

A rebours, comment résister à la tentation de l'insincérité quand l'expression de son opinion authentique va vous mettre du côté d'une caste intellectuelle, médiatique et évidemment autoproclamée progressiste, souvent célébrée par principe parce que décidément l'avancée erratique et dangereuse vaudrait mieux, sur beaucoup de sujets, que la réflexion et le scrupule si vite qualifiés de conservateurs et de passéistes ? Comment ne pas taire sa vérité quand son aveu vous fera coexister avec une Caroline Fourest qui est le comble de ce que je viens de globalement décrire ?

Pourtant on n'a pas le choix et pour une fois des politiques nous ont stimulés.

Certains, en effet, ont fait preuve de résolution et de courage dans l'affirmation de positions, aussi contradictoires qu'elles soient. Hervé Mariton et Bruno Le Maire n'ont pas démérité par rapport à ce qu'on est en droit d'espérer de la fiabilité et de la constance intellectuelles dans l'espace démocratique.

En revanche, Nicolas Sarkozy a, avec une démagogie rigolarde inadaptée à un problème aussi grave, cédé non pas à une "foule" mais à des intégristes de l'abrogation du mariage pour tous. C'est ce que Laurent Wauquiez, qui dévoie de plus en plus son intelligence et sa liberté, ose appeler de la part de son champion récent "une position mûrement réfléchie".

Faut-il crier "abrogation, abrogation" pour complaire ou mesurer le risque d'une abrogation du mariage gay pour demain ?

Ce n'est pas parce que François Hollande a d'emblée violé son engagement de rassembler la nation, en la clivant au contraire avec le mariage pour tous, qu'il conviendra de l'imiter pour le pire en la bouleversant à rebours en ce qui concerne nos concitoyens homosexuels qui se sont vu octroyer une légitimité hier et en seraient privés à la suite d'une alternance de rupture.

Ce n'est pas parce que le concept d'égalité a été invoqué de manière absurde pour justifier le mariage pour tous (comme Henri Guaino, étrangement retenu et complaisant face à Jean-Luc Mélenchon, l'a justement souligné le 17 novembre à Mots Croisés) que devra nous être imposé, pour l'avenir, un arbitrage sommaire.

Pour schématiser mon point de vue, celui-ci est dans la veine de ce qu'a exprimé Alain Juppé.

Certes il serait facile juridiquement de défaire ce que la loi dite Taubira a fait - des avis nombreux l'ont démontré - mais ce serait oublier que l'instauration du mariage pour tous n'a pas entraîné, dans l'espace républicain, le désordre au quotidien, le changement concret de civilisation que certains, comme moi, craignaient. L'unique différence, en nous concentrant sur la seule réalité du mariage, est que des homosexuels visibles pour tous hier savent que, depuis la loi et pour eux-mêmes d'abord, ils sont unis par un lien officiel. Ils n'ont pas changé pour nous mais pour eux.

Ayant refusé de participer aux manifestations avant le vote de la loi, tout en récusant le principe du mariage pour tous mécaniquement fondé sur une exigence d'égalité inappropriée à des situations humaines radicalement différentes, parce que je ne désirais pas m'opposer dans la rue, avec une hostilité ostensible, à une part respectable et singulière de la communauté nationale, je n'en suis que plus à l'aise pour mettre en garde contre une approche qui ne serait faite que de "juridisme". C'est de l'humain dont il est question, de la coexistence entre une majorité de couples hétérosexuels et une minorité d'homosexuels rêvant sinon du mariage du moins de sa possibilité.

Il est clair qu'on ne pourra pas revenir sur ce droit qui institutionnalise le droit au bonheur pour des gays dont il faut constater qu'ils ne nous ont rien pris par l'avancée que la loi leur a offerte.

Symboliquement il sera impossible de remplacer le mot "mariage" par une autre qualification même belle, même noble. Evidemment pas "union civile" ou communauté de vie. Ne pourrait-on pas envisager de conserver le terme "mariage" en distinguant dans la loi modifiée les deux types de mariage, hétérosexuel et entre personnes du même sexe, pour clairement justifier leurs inévitables différences par la suite ?

Faute de cette précision, je crains que nous ayons forcément une forte poussée apparemment logique en faveur de l'obtention des effets associés au mariage, procréation, naissance et filiation, et que nous soyons contraints, plus par cohérence que par morale, à plus ou moins long terme, de céder à cette pression.

Alain Juppé est favorable à l'adoption et je le rejoins. Cette démarche relève du pari, même avec un couple hétérosexuel, et il me semblerait aberrant, au nom d'une politique du moindre mal, de laisser de petits enfants en déshérence parce que nous n'aurions pas la certitude absolue que la présence de deux hommes ou de deux femmes, avec leur affection et un environnement forcément bisexuel, garantirait leur futur.

Pour la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui (GPA), la seconde est interdite en France et les opposants à l'ouverture de la première craignent qu'elle ne débouche sur une future autorisation de la GPA dans notre pays.

Je ne suis pas un spécialiste de ces processus sur lesquels il convient de réfléchir avec délicatesse et d'agir avec une infinie prudence. A l'encontre de la GPA, l'hostilité de beaucoup à droite et à gauche, répétée par le président de la République et le Premier ministre, tient essentiellement au refus de marchandisation du corps humain. Outre que cette dernière a déjà commencé dans certains secteurs, que dirait-on si l'argent et le profit ne venaient pas donner un tour commercial à ce qui ne serait alors que l'expression d'une solidarité humaine ? Y aurait-il un glissement fatal, inéluctable de la PMA pour les couples de femmes, je ne sais ? D'aucuns nous le prédisent.

Ce qui est fondamental s'attachera, le pouvoir renouvelé, à ne pas toucher au mot "mariage" et à sa réalité pour tous.

Le reste, j'en suis persuadé, pourra, dans un débat éclairé et de bonne foi, être appréhendé sans offense pour quiconque et sans faire de l'enfant un don obligatoire. Il aidera, sans haine ni mépris pour l'autre camp proche et fraternel, la France à sortir par le haut de la splendide et douloureuse diversité des situations humaines.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...