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Quatre minutes d'honneur le 11 mars 2012

Justice au singulier - philippe.bilger, 19/01/2013

Quatre minutes d'honneur le 11 mars 2012. Quatre minutes où la barbarie s'est révélée mais, malgré les terribles et irréversibles apparences, a été vaincue.

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Il y a quelque chose de pire que la mort sans cesse annoncée du romantisme : c'est le romantisme trouble et délétère de la mort. Pourtant, il y a des morts admirables qui émeuvent bien au-delà d'elles.

Il paraît que la sagesse talmudique, si on en croit Emmanuel Lévinas et Alain Finkielkraut, est "de ne jamais qualifier autrui".

Outre que cette noble assertion me semble contestable quand tout, au contraire, dans le débat et les polémiques, manifeste que le courage consiste à ne pas se réfugier dans l'abstraction des idées et le vague des pensées mais à mettre en cause aussi qui a pris le parti de choisir les premières et d'opposer les secondes, "ne pas qualifier autrui" nous imposerait, si cette exigence était prise à la lettre, le silence, même devant les comportements les plus remarquables, les attitudes les plus exemplaires.

Quatre minutes d'honneur le 11 mars 2012 sur un parking de Toulouse.

Le parachutiste Imad Ibn Ziaten a été contacté par Mohamed Merah qui désirait lui acheter sa moto.

Il est 16 heures quand ils se rencontrent.

Immédiatement MM tombe le masque et affiche son intention meurtrière. Il ordonne à IIZ de se coucher.

"Je ne me mettrai pas à plat ventre", répond le parachutiste.

Il est 16 heures 1 minute.

"T'es à l'armée, t'es militaire", questionne MM qui veut connaître le nombre d'années qu'y a passées IIZ.

Le chien du pistolet est armé par MM.

Il est 16 heures 2 minutes.

IIB réagit : "Tu ranges ça tout de suite, je ne me mettrai pas à plat ventre, tu dégages, je ne me mettrai pas à plat ventre, je reste".

MM réitère son ordre. Le militaire continue à lui faire front.

"Tu vas tirer ? Vas-y, ben tire !".

Il est 16 heures 3 minutes.

MM tire. IIZ s'écroule.

MM réarme. Une seconde détonation.

Le tueur s'adressant à sa victime à terre, morte : "C'est ça l'islam, mon frère. Tu tues mes frères, moi je te tue".

MM quitte les lieux à toute allure en scooter.

Il est 16 heures 4 minutes.

Assassinat d'un héros. Je qualifie ce parachutiste.

Pourquoi cette tragédie, telle qu'elle a été rapportée parce que MM portait sur lui un appareil destiné à en montrer l'horreur et la froide implacabilité - pour soi, pour s'en repaître, et pour les autres - nous touche-t-elle à ce point ? Pourquoi aurions-nous tant voulu que la République, dans ces crimes et ces massacres qui se valent, fasse un sort spécial à cette fin-là (20 Minutes, Le Figaro) ?

Le frère d'IIZ veut déposer plainte à la suite de la diffusion de cet enregistrement - je comprends les élans de son coeur - mais qu'il n'oublie pas ce que ce dernier édifie pour la gloire morale du disparu.

Parce que grâce au courage et à la résistance de IIZ, à sa volonté résolue, en face même de l'inéluctable qui allait advenir, de ne pas plier, de ne pas tolérer l'humiliation et de refuser le diktat de la folie criminelle, il nous a permis, d'une certaine manière, de songer à notre existence et aux milles lâchetés qui nous guettent et dans lesquelles trop souvent nous tombons.

Ces quatre minutes d'honneur lavent notre société de ses médiocrités, de la rigolade médiatique, du clientélisme intéressé, du cynisme politique, des servilités professionnelles, nous rachètent pour les audaces qu'on n'a pas eues, la liberté qu'on s'est déniée et l'humain de qualité qu'on n'a pas su être.

Quatre minutes d'honneur le 11 mars 2012.

Quatre minutes où la barbarie s'est révélée mais, malgré les terribles et irréversibles apparences, a été vaincue.


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