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La proposition de loi du 8 janvier 2014 visant à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale.

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Stéphane Bloch et Gratiane Kressmann, 3/02/2014

Comme elle l’avait annoncé, la France complète sa législation en matière de lutte contre le travail illégal sans attendre la traduction concrète de l’accord des ministres du travail européens du 9 décembre 2013.
Le 9 décembre 2013, les ministres du travail de l’Union Européenne sont parvenus à un compromis sur un projet de Directive visant à renforcer le contrôle des conditions du détachement des travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (cf notre article "Un nouveau compromis à Bruxelles : l’accord du 9 décembre 2013 sur les travailleurs détachés " ).

Ce texte instaure une liste de mesures de contrôle ouverte et un mécanisme de responsabilité solidaire obligatoire du donneur d’ordre dans le secteur du bâtiment.

Sans attendre son adoption par le Parlement européen puis sa transcription par le droit interne, la France avait annoncé, au lendemain de ce consensus, un renforcement des mesures de droit national visant à lutter contre le travail illégal.

Tel est l’objet de la proposition de loi visant à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 janvier 2014.
(proposition de loi AN n°1686)

Son exposé des motifs souligne, en substance, que la conjonction de la directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur, dite directive « Bolkestein », et de la directive 96/71/CE relative au détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, dite directive « détachement », a, « contrairement à leur objectif premier, laissé la porte ouverte à des fraudes et des détournements massifs, qui consistent désormais à utiliser le négoce de main-d’œuvre bon marché, comme argument de concurrence ».

Les États membres se trouvent, toujours selon les auteurs de cette proposition, dans l’incapacité de contrôler l’application de la directive détachement et d’en prévenir les abus, du fait du caractère particulièrement fugace de certains "détachements", de la diversité géographique des intervenants, de la multiplication des sous-traitances et des difficultés de coopération administrative entre les États membres. Aussi, « faute d’harmonisation sociale dans l’Union européenne, crise économique et chômage de masse aidant, la directive est-elle devenue un objet d’opportunisme social et un outil redoutable de concurrence déloyale ».

L’objet de la proposition en question est donc, parallèlement aux mesures annoncées récemment par le Gouvernement en la matière (plan de lutte contre le travail illégal pour 2013-2015 ; projet de réforme du corps des inspecteurs du travail…), de renforcer l’arsenal législatif national, en particulier sur la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre.

Deux chapitres composent cette proposition de loi, le premier relatif aux dispositions du code du travail, le second concernant divers codes.

Le chapitre premier comprend six articles qui visent à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre afin de lutter contre la concurrence déloyale, avec l’instauration d’une solidarité financière en cas de défaut de paiement des salaires ou de paiement des salaires inférieurs au salaire minimum légal ou conventionnel et la mise en place d’une « liste noire » d’entreprises et de prestataires de main d’œuvre ayant été condamnés pour travail illégal.

L’article 1er qui insère après l’article L 1262-4L 1262-4 du code du travail, les articles L 1262-4-1 à L 1262-4-4 étend l’obligation de vigilance de l’entreprise bénéficiaire d’une prestation de service internationale à la vérification du dépôt de la déclaration de détachement auprès des services de l’inspection du travail. En cas de manquement, le donneur d’ordre pourrait être solidairement tenu du paiement des salaires et des indemnités dues aux travailleurs concernés.

L’article 2 insère au chapitre V du titre IV du livre II de la troisième partie du code du travail un chapitre V bis et un article L 3245-2 qui, en cas de signalement à un maître d’ouvrage d’une situation de défaut du paiement intégral ou partiel des salaires minimaux chez un des sous-traitants du marché par un agent de contrôle ou une organisation syndicale, oblige le maître d’ouvrage concerné à faire cesser la situation.
À défaut, il sera responsable solidairement avec l’entreprise du paiement des salaires. La mise en jeu de la responsabilité solidaire du maître d’ouvrage ou du donneur d’ordre repose sur un dispositif ciblé, après signalement par les services de contrôle habilités à lutter contre le travail illégal (Inspection du travail, URSSAF, police, gendarmerie, Impôts).

L’article 3 modifie l’article L 8222-5L 8222-5 du code du travail qui, aujourd’hui, impose au maître de l’ouvrage ou au donneur d’ordre de faire cesser la situation de travail dissimulé en cas d’irrégularité « d’un sous-traitant ou d’un subdélégataire ». Le terme « cocontractant » est ajouté ce qui étend le devoir d’injonction du maître de l’ouvrage privé au cas d’irrégularité de l’entreprise avec laquelle il a contracté.

L’article 4 propose de modifier l’article L 8271-6-2L 8271-6-2 du code du travail en ajoutant dans la liste des documents que les agents de contrôle habilités à lutter contre le travail illégal peuvent se faire présenter, les documents relatifs aux prestataires de services établis à l’étranger intervenant en France pour y réaliser une prestation à l’aide de travailleurs détachés.

L’article 5 propose d’insérer, après l’article L 8224-6L 8224-6 du code du travail, un article L 8224-7 qui engagerait la responsabilité pénale du maître de l’ouvrage public ou privé ou du donneur d’ordre professionnel lorsqu’ils poursuivent, en connaissance de cause, pendant plus d’un mois, l’exécution d’un contrat passé avec une entreprise en situation irrégulière au regard de ses obligations sociales. Dans cette situation, la sanction pénale sera celle prévue à l’article L. 8224-1 du code du travail qui réprime le recours sciemment aux services d’une personne effectuant un travail dissimulé, c'est-à-dire une peine d’emprisonnement de trois ans et 45 000 euros d’amende.

L’article 6 propose enfin, dans un article L 8211-2 du code du travail, de mettre en place une « liste noire », inspirée de celle instaurée au niveau européen dans l’aviation civile, d’entreprises et de prestataires de services qui ont été condamnées pour des infractions constitutives de travail illégal mentionnées à l’article L. 8211-1 du code du travail (travail dissimulé, marchandage, prêt illicite de main d’œuvre, emploi d’étrangers sans titre de travail…), dans les cas où l’amende prononcée est d’un montant d’au moins 45 000 €. Cette liste sera publiée sur le site internet du ministère du travail, pour une durée d’une année à compter du jugement définitif, mentionnera le nom, les coordonnées postales et les numéros d’identification (répertoire INSEE en France ou équivalent pour les autres États membres de l’Union européenne) de ces entreprises ou de ces prestataires de services.
Le chapitre II comprend, quant à lui, deux articles qui modifient d’autres codes afin de permettre de lutter contre le dumping social, notamment par la possibilité d’ester en justice pour les associations et syndicats professionnels, et le conditionnement de la signature de marché à la détention d’une attestation d’assurance décennale obligatoire.

L’article 7 insère, après l’article 2-212-21 du code de procédure pénale1 du code de procédure pénale, un article 2-21-1 qui prévoit de donner la possibilité aux associations, aux syndicats professionnels et aux syndicats de salariés de la branche concernée de se constituer partie civile, y compris en l’absence d’accord du salarié ou en l’absence de poursuites par le Parquet.

L’article 8 propose de conditionner la signature des marchés à la production de l’attestation d’assurance décennale obligatoire. Tous les travaux de construction d’ouvrages au sens de l’article 1792 du code civil sont soumis à l’assurance obligatoire de responsabilité décennale et de dommages-ouvrage, sauf, sous certaines conditions, ceux qui sont énumérés à l’article L. 243-1-1 du code des assurances qui portent toutefois sur des infrastructures conséquentes tels que, notamment, les routes, les ports, les aéroports, les parcs de stationnement.

Le cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux prévoit la justification de la souscription de cette assurance obligatoire par le titulaire du marché dans les 15 jours à compter de la notification du marché. Les entreprises, françaises ou étrangères, faisant l’impasse sur cette obligation peuvent donc se voir notifier un marché public, sans pour autant disposer de cette assurance et il sera très difficile pour elles de la souscrire après coup. Afin de lutter contre cette concurrence déloyale causée aux entreprises dûment assurées, il est nécessaire d’imposer au candidat auquel il est envisagé d’attribuer le marché, la production à ce stade d’une attestation d’assurance décennale.

Cette proposition de loi a été renvoyée à la commission des affaires sociales qui a nommé Monsieur Gilles Savary rapporteur le 21 janvier 2014. L’examen du texte est prévu lors de la réunion de la commission du 11 février 2014.


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