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Une morale pour Thomas Morales ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 24/04/2020

J'ai plutôt envie, pour donner à beaucoup l'envie de le lire, de souligner qu'il n'est pas seulement un Blondin qui aurait bien tourné. Mais aussi un Nimier sans sarcasme et sympathique, un Déon sans la Grèce, un Laurent sans Caroline chérie mais avec des voitures anciennes, un essayiste qui réussit, un chroniqueur qui serait capable de long cours. Bref, tout simplement, Thomas Morales.

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Une bouffée de talent et de littérature.

S'il y a une période qui autorise qu'on s'égare délicieusement, c'est bien celle d'aujourd'hui qui nous confronte au quotidien avec la menace du coronavirus, les tragédies dont il est le responsable, les morts qui se multiplient.

Aussi ai-je eu envie d'écrire un billet sur Thomas Morales (TM), qui relève de ces écrivains et essayistes que leur grâce et leur légèreté revendiquée condamneraient à n'être pas pris au sérieux par les maîtres pontifiants qui font et défont les réputations artistiques, les succès littéraires.

J'avais lu les chroniques étincelantes de TM dans Causeur, cette publication libre, intelligente et pluraliste, et immédiatement je m'étais dit : quel style !

J'ai eu le bonheur de faire sa connaissance dans le jury des Hussards, ce prix créé par le regretté Christian Millau et qui depuis quelques années est apparu dans le monde éditorial telle une étrangeté parce que - je peux en témoigner - les livres sont lus et aucune considération extérieure à l'appréciation purement littéraire ne vient pervertir le jugement.

Il n'est déjà pas simple de dégager, dans un univers de pesanteurs et de conformisme, le miracle d'une écriture et d'une invention ne prétendant pas porter la société sur leurs épaules et se faire un principe de mettre exclusivement les sans-papiers à l'honneur, par exemple !

Ma complicité avec TM n'était pas gagnée d'avance puisque journaliste indépendant travaillant pour la presse d'entreprise, il est un spécialiste reconnu de l'automobile et des voitures de collection, domaine où mon ignorance est abyssale et mon intérêt réduit.

Mais il est aussi un passionné du cinéma des années 60 et 70, un auteur qui, comme dans Adios, fait l'éloge du "monde d'avant", cultive le doux regret, décline un "alphabet du coeur" et pourfend avec esprit les "profanateurs de la nostalgie qui nous enserraient, nous encerclaient".

Quand je lis l'hilarant et émouvant "Un été chez Max Pécas", je trouve chez TM une conception de la littérature et une justesse de la vision et des analyses qui me contraignent à réfléchir au-delà de lui.

ThomasMORALESVA

Il n'est pas seulement, grâce à la perfection allègre de son style, un Antoine Blondin qui n'aurait pas sombré dans l'alcoolisme, mais un humaniste tendre qui se penche sur nos ridicules et se plaît à faire ressurgir, tel un Proust modeste, ironique, désinvolte et concis, un temps non pas perdu mais si intensément inscrit dans nos mémoires, pour le futile comme pour le grave, qu'il suffit de l'attention et du souvenir brillants d'un TM pour le remettre au goût de nos jours.

Réactionnaire alors peut-être ? Oui mais sans aigreur, sans la moindre visée politique, seulement inspiré par l'absurdité de nous présenter notre présent comme un cadeau quand le passé nous point le coeur et l'esprit mais que nous avons honte de l'avouer. Tous ces épisodes, ces images et ces plaisirs de la France d'avant, méprisés comme passéistes, balayés par le progressisme mais qui demeurent en nous, imprégnés du charme de ce qui n'est plus, ne reviendra pas mais pourtant s'est enkysté à vie dans nos sensibilités. C'est parti mais c'est toujours là !

Ce ne serait pas encore assez pour expliquer ce qu'il y a d'injustice, à mon sens, dans la perception que trop de spécialistes, d'éditeurs, de critiques ont de cette littérature de chroniques et de regards pluralistes et étincelants portée au comble par TM et quelques autres de sa famille d'écriture.

Injustice parce que ces écrivains ont cette qualité, dans un univers infiniment vaniteux et sûr de soi, de ne pas se surestimer, blâmant souvent leur légèreté quand elle est une grâce, leur futilité qui débarrasse des maux de tête, prenant leurs mots d'esprit et leur absence absolue de lourdeur pour une faiblesse alors qu'ils constituent la plus belle des richesses. Il est infiniment plus aisé aujourd'hui de s'illustrer par la pompe plutôt que de briller par l'éclat fugace d'un trait, d'une pensée et d'une phrase. D'être promu par la télévision plutôt que par sa valeur discrète et sans vulgarité.

Injustice, plus profondément, parce que la gravité constante, le nombre de pages, l'approbation des journaux qui comptent, la conscience politique, l'engagement pétitionnaire et la perversion du goût ont entraîné presque inéluctablement une sous-estimation du vrai talent, de la faculté d'user de mille feux, une relégation de l'intelligence vive et spontanée au profit de l'illusion dévastatrice que n'importe quel ouvrage ennuyeux, pesant et socialement correct représenterait l'idéal de ceux qui achètent encore des livres.

Le plaisir, ce gros mot, contre la culture.

Alors peut-on accepter l'idée qu'il y aurait une morale pour Thomas Morales ? Je suis sûr qu'il n'aimerait pas cette manière de le hausser en l'inscrivant dans une telle problématique.

J'ai plutôt envie, pour donner à beaucoup l'envie de le lire, de souligner qu'il n'est pas seulement, en effet, un Blondin qui aurait bien tourné. Mais aussi un Nimier sympathique et sans sarcasme, un Déon sans la Grèce, un Laurent sans Caroline chérie mais avec des voitures anciennes, un essayiste qui réussit, un chroniqueur qui serait capable de long cours.

Bref, tout simplement, Thomas Morales.


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