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Affaire Méline : la mère condamnée à cinq ans avec sursis

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 15/09/2015

La cour d'assises d'Ille-et-Vilaine a condamné, mardi 15 septembre, Laurence Nait Kaoudjt à cinq ans d'emprisonnement avec sursis pour avoir donné la mort à sa fille Méline, 8 ans, qui était lourdement handicapée. La cour a retenu en faveur de l'accusée … Continuer la lecture

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La cour d'assises d'Ille-et-Vilaine a condamné, mardi 15 septembre, Laurence Nait Kaoudjt à cinq ans d'emprisonnement avec sursis pour avoir donné la mort à sa fille Méline, 8 ans, qui était lourdement handicapée. La cour a retenu en faveur de l'accusée une altération du discernement au moment des faits. Le verdict est conforme aux réquisitions des peines prononcées quelques heures plus tôt par l'avocat général, Yann Le Bris. A l'annonce de la décision, l'accusée s'en est vivement pris à ses juges. « Vous n'avez pas de cœur, j'aurais mieux fait de mourir ! », a-t-elle crié. Pointant les jurés du doigt, elle leur a lancé : « C'est terrible de vivre ça, c'est terrible ce que vous m'infligez. Vous devriez avoir honte ! Merci, merci ! Si demain je ne suis plus là, ce sera de votre faute ! » « Arrête Laurence, arrête ! »,  l'a suppliée sa mère, assise au premier rang du public, tandis que le président de la cour, Philippe Dary, lui intimait l'ordre de « cesser de s'en prendre aux jurés ». 

La violence de ces dernières minutes a accru le trouble suscité par l'accusée depuis le début de ce procès. Un trouble dont l'avocat général, Yann Le Bris, s'était fait l'écho un peu plus tôt dans son réquisitoire, en évoquant la double « paralysie » qui l'avait saisi pendant les débats. Paralysie face à la détresse de l'accusée, parce que, a-t-il rappelé, « juger, c'est comprendre. Et pour comprendre, il faut essayer de se mettre à la place de l'autre. Et là, on n'y arrive pas. La peur de l'avenir de l'enfant, la douleur, l'absence de communication, le poids du regard des autres, on peut les imaginer, rien de plus. » Mais paralysie aussi face à la barrière dressée par l'accusée elle-même, qui n'a cessé de répéter que son geste était un « geste d'amour » et qui a semblé interdire à quiconque – et particulièrement à la cour et à des jurés – de le voir autrement. « Elle vous a placés dans la seule obligation de dire que ce qu'elle a fait était juste », a relevé l'avocat général.   

Il arrive à l'audience des moments où l'on a envie de remercier celui qui parle. Parce que les phrases qu'il prononce viennent vous chercher au cœur de l'obscurité dans laquelle vous vous débattez. Le réquisitoire prononcé par Yann Le Bris a été un ces moments. Il a mis en lumière la confusion des rôles qui, dès l'origine, a déséquilibré ce procès : une accusée se vivant principalement comme une victime et refusant la place d'accusée que son geste meurtrier lui donne aux yeux de la société.

Elle avait été illustrée par cette remarque de Laurence Nait Kaoudjt au président Philippe Dary qui lui rappelait une question que lui avait posée la juge pendant l'instruction. « Aviez-vous le droit de faire ce geste ? » « Personne ne peut se mettre à ma place. Cette femme, avec tout le respect que je lui dois, n'était pas à ma place », avait observé Laurence Nait Kaoudjt. « Mais elle était à la sienne, Madame », avait répliqué avec douceur le président.

Dans ce jeu de rôle inversé, la défense, conduite par Mes Eric Dupond-Moretti et Anna-Maria Sollacaro, s'est trouvée à contre-pied. Elle a joué le rôle ordinairement dévolu aux parties civiles, en s'indignant de toute question, même la plus légitime, susceptible de mettre en cause la parole de leur cliente au nom de la douleur supplémentaire qu'un tel questionnement lui infligeait.

C'est donc de l'avocat général qu'est venu, paradoxalement, le rappel de la règle essentielle du procès pénal qu'est le respect du contradictoire et le devoir qu'il intime de ne pas tout céder à la douleur de la victime revendiquée. « La vraie victime n'est pas là. Ni physiquement, ni symboliquement », a-t-il observé à propos de l'enfant étranglée dans son lit par sa mère. « Elle a été l'absente de ce procès, recouverte par le handicap. Elle n'est plus que le handicap », a-t-il ajouté.

A la cour et aux jurés, Yann Le Bris  a demandé de juger que, le 22 août 2010, Laurence Nait Kaoudjt n'a pas agi sous une « contrainte morale » qui la délierait de toute culpabilité. « Est-ce qu'il était vraiment irrésistible pour elle de commettre ce geste ? Moi, je dis que non. Dans le référentiel commun de la société, on n'étrangle pas sa petite fille. On a toujours le choix de faire autre chose. Vous ne devez pas vous placer dans la morale interne de l'accusée. Ce serait la porte ouverte à tout. On ne peut pas accepter que quelqu'un fixe ses propres règles. »

En écho à la phrase terrible de  Laurence Nait Kaoudjt qui, interrogée sur les faits dans la matinée par le président, Philippe Dary, avait déclaré : « J'ai donné la vie à ma fille, je la lui ai reprise », il a observé : « Personne n'est propriétaire de son enfant. Même s'il est lourdement handicapé, il a une vie autonome, une humanité. Dire que sa mère n'est pas coupable, c'est affirmer que cette enfant n'est pas comme les autres et la faire sortir de l'humanité. »

Mais le réquisitoire de l'avocat général, Yann Le Bris, ne s'est pas arrêté à ce strict rappel de la loi. Avec le même souci d'être juste, il a dressé de l'accusée le portrait d'une mère totalement dévouée à son enfant et parfaitement insérée, d'une femme à laquelle une accumulation de détresse et de déboires a fait perdre pied. « Cette peine doit avoir un sens aussi pour elle », a-t-il plaidé, en excluant toute demande d'emprisonnement. La cour et les jurés l'ont suivi.


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