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Liberté, Egalité, Vanité

Justice au singulier - philippe.bilger, 18/07/2013

Il est navrant que pour le 14 juillet, nous n'ayons même pas créé, à la disposition du peuple, de tous, le miroir étincelant et multiple dans lequel chacun pourrait se mirer sans honte. Avec fierté. Pour mesurer le chemin parcouru et celui de demain. Avec plus de joie que de contrition, toutes époques confondues. Mais sans vanité.

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On aurait presque pu parler d'un sans-faute.

Le 14 juillet a été une journée quasi parfaite. Même le soleil s'y est mis.

Le défilé militaire a recueilli tous les suffrages grâce à sa haute tenue.

La séquence politique a déjà été commentée à profusion.

D'autres bonnes surprises sont survenues le soir pour ceux qui s'étaient rendus au Trocadéro ou avaient décidé de regarder la télévision sur France 2.

Pour ma part, c'est ce que j'ai fait et, tel un festif en chambre, je n'ai rien manqué jusqu'à l'issue du magnifique feu d'artifice.

Il m'a d'abord fallu accepter de voir et de beaucoup entendre Stéphane Bern qui, outre Secrets d'Histoire consacré à la prise de la Bastille, a présenté Le Concert de Paris, en direct du Champ-de-Mars, où la fine fleur de la musique classique et lyrique nous a été offerte par un orchestre sous la direction inspirée de Daniele Gatti.

Stéphane Bern, jamais avare de dithyrambes, en a évidemment abusé mais ce n'était pas grave.

Enfin, il a annoncé le feu d'artifice en s'égarant dans son flot verbal mais la merveille éclaboussante et colorée, les jaillissements pyrotechniques inventifs, à n'en pas croire ses yeux, ont pris très vite, heureusement, la relève.

Pour être franc, c'est au cours de ces instants qui auraient pu être de pure magie que le bât a commencé à blesser.

On aurait dû se passer d'accompagnement sonore, de commentaire, et laisser les citoyens admirer ce qui projeté dans le ciel en l'honneur de la France, de son histoire et du 14 juillet, celui de 1789 ou de 1790, faisait bien mieux comprendre et apprécier la fête que le verbiage pompeux dominant qui la parasitait. Loin de séduire et convaincre, il faisait regretter que les excellentes musiques rythmées venant parfois rompre son cours ne soient pas plus nombreuses.

Je ne sais qui a rédigé cette pâtée profuse et filandreuse, faussement noble, pétrie de bons sentiments et d'idées progressistes, flattant la vanité de la France plus qu'elle n'appelait les Français à l'orgueil, condescendante à l'égard des autres nations comme si nous étions les rois du monde quand au contraire 2013 nous faisait une grise mine. Une enflure disproportionnée par rapport à notre situation. Le passé mythifié et l'avenir aux couleurs roses parce que le présent "pèse comme un couvercle" sur notre nation.

J'entends bien que cette démarche peut être salvatrice qui console de la réalité actuelle grâce à l'hypertrophie de nos moments de gloire ou d'influence. Mais il ne faut pas que l'écart soit trop large entre la France évoquée par les mots et la France vécue au quotidien.

Pourquoi, par égard pour celle-ci, n'avoir pas rendu l'hommage qui convenait au pays qui se bat et entreprend, qui enseigne et protège, qui juge et informe ? Aux services publics et à ceux qui tentent toujours d'en faire une fierté française ? Pourquoi n'avoir pas, dans un élan au sens propre républicain, profité de cette occasion unique, joyeusement solennelle, pour célébrer ces métiers, ces professions, ces créateurs, ces artisans, tous ceux qui, au fil des jours, dans l'anonymat ou la lumière, façonnent une France performante, acceptable et exemplaire ?

Tant de commandes inutiles sont faites à de pseudo artistes et tant d'argent dépensé pour rien dans une gabegie se faisant passer pour nécessaire, tant de charlatans culturels sont gratifiés que je suis étonné qu'on n'ait jamais tenté ce qu'un Sacha Guitry au meilleur de sa forme ou un Alain Decaux plus historien que socialiste ou un Bernard Pivot de légende auraient sans aucun doute accompli à la perfection. Pourquoi un jour ne pas composer une fresque de la gloire française sur les plans historique, social et culturel ? Nos géants de la peinture et de la littérature, nos humanistes indiscutables, nos savants et chercheurs bienfaiteurs, nos intellectuels sans conscience hémiplégique ?

Il est navrant que pour le 14 juillet, nous n'ayons même pas créé, à la disposition du peuple, de tous, le miroir étincelant et multiple dans lequel chacun pourrait se mirer sans honte. Avec fierté. Pour mesurer le chemin parcouru et celui de demain. Avec plus de joie que de contrition, toutes époques confondues.

Mais sans vanité.


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