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Après l’automne, le printemps ? Changement de stratégie au Ministère de la Culture en faveur de l’ouverture

:: S.I.Lex :: - calimaq, 9/11/2013

Il s’est produit cette semaine une série d’évènements et d’annonces faites par le Ministère de la Culture dans la cadre de "l’Automne numérique", qui traduisent un changement d’orientations significatif en faveur de l’ouverture. J’ai critiqué la politique culturelle qui a … Lire la suite

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Il s’est produit cette semaine une série d’évènements et d’annonces faites par le Ministère de la Culture dans la cadre de "l’Automne numérique", qui traduisent un changement d’orientations significatif en faveur de l’ouverture. J’ai critiqué la politique culturelle qui a été conduite dans ce pays pendant des années sous l’ancien gouvernement et celui-ci n’avait pas jusqu’à présent réellement modifié le cap. Mais depuis plusieurs mois, on avait commencé à relever des signes encourageants en faveur de l’ouverture, notamment avec la parution en mars dernier du Guide Dataculture sur la réutilisation des données culturelles, et la publication d’une feuille de route Open Data en juillet

L’automne est donc la saison de l’ouverture, après un interminable hiver de la politique culturelle dans ce pays… (Red Leaves. Par Chang’r. CC-BY-ND. Source : Flickr)

L’Automne numérique a donné lieu à un atelier de mashup à partir d’oeuvres du domaine public, un Hackathon précédé par la libration d’une centaine de jeux de données par le Ministère et ses établissements, ainsi qu’une journée sur la transmission de la Culture à l’heure du numérique. Et c’est à l’issue de ce cycle d’évènements qu’Aurélie Filippetti a annoncé une série de mesures, visant à développer les usages du numérique, en lien avec le projet d’éducation artistique et culturelle porté par le Ministère.

Renouvellement significatif du discours

Jeudi dernier, à l’occasion d’une conférence de presse, Aurélie Filippetti a prononcé un discours dont le ton tranche avec tout ce qu’on a pu entendre jusqu’à présent dans la bouche d’un Ministre de la Culture en France. Morceaux choisis :

[...] je souhaite que mon ministère et ses opérateurs s’engagent dans une stratégie numérique d’ouverture de contenus créatifs. Je veux d’abord, dans ce processus d’ouverture, mettre l’accent sur l’éducation artistique et culturelle, dont vous savez qu’elle est une ambition forte de mon projet politique, et qui ne saurait se déployer sans cette dimension numérique.

[...] mon ministère accompagnera les établissements publics, dans le cadre d’un partenariat pilote avec Creative Commons France pour les sensibiliser et les former à l’usage des licences libres. Ce partenariat sera signé dès décembre. La maîtrise de ces nouveaux outils est la condition d’un accès renforcé à l’offre artistique en ligne.

[...] les œuvres du domaine public, qui ne sont plus sous droits d’auteur, ont un rôle spécifique à jouer et peuvent constituer un terreau particulièrement riche pour l’accès et l’utilisation de contenus culturels, notamment pour favoriser l’éveil artistique des enfants. La puissance publique doit préserver, à cette fin, des espaces culturels communs gratuits. Des espaces qui inspirent la création et valorisent les pratiques artistiques amateurs.
Nous disons couramment d’une œuvre qu’elle est « tombée » dans le domaine public comme on dirait qu’elle est tombée dans l’oubli ou en désuétude ou encore qu’elle et son public sont tombés en désamour. C’est tout le contraire qui se produit lorsqu’une œuvre entre dans le domaine public. Lorsqu’une œuvre entre dans le domaine public, elle connaît une seconde naissance. Et je souhaite que mon ministère s’engage dans cette reconnaissance.

[...] j’ai souhaité donner sa pleine mesure à la politique gouvernementale en faveur de l’ouverture et du partage des données publiques coordonnée par la mission Etalab. Cette ouverture des données publiques vise à favoriser l’émergence de projets culturels innovants [...] Je souhaite que les actions numériques de mon ministère et de ses opérateurs s’inscrivent dans le cadre de notre feuille de route stratégique d’ouverture des données culturelles.

Bien entendu, tout ceci pourrait rester au niveau de l’affichage politique, mais 12 mesures concrètes ont été également annoncées, qui viennent donner corps à ces nouvelles orientations.

Des mesures concrètes

Ces actions s’articulent autour de trois thématiques : licences libres, domaine public et Open Data (je reprends le texte du dossier de presse et je commente brièvement).

1) Licences libres

  • Valoriser sur la plateforme culture.fr les ressources culturelles numériques mises à disposition sous licences Creative Commons.
  • Favoriser pour les projets numériques portés par les établissements publics ou les structures subventionnées à plus de 50% par l’Etat, la mise à disposition significative de ressources numériques culturelles sous licences libres.
  • Accompagner la sensibilisation des acteurs culturels aux licences libres par la conclusion d’un partenariat pilote avec Creative Commons France.

La production de ressources sous licence libre par les établissements culturels français est encore confidentielle. Il y a même parfois une vraie réticence à s’engager dans ce type de mode de diffusion. Ces orientations peuvent aider à surmonter ces obstacles. Je note en particulier l’idée de lier l’octroi de subventions par le Ministère à l’obligation de placer les contenus produits sous licence libre, qui pourrait constituer un levier efficace. L’accompagnement des établissements culturels à l’usage des Creative Commons est aussi une excellente idée, car un soutien peut être nécessaire pour appréhender ces outils (et éviter de mauvaises pratiques).

2) Domaine public

  • Favoriser la visibilité des oeuvres du domaine public par le lancement d’un prototype de calculateur du domaine public français
  • Clarifier la notion de domaine public dans la future Loi Création.

Ces mesures interviennent après que le rapport Lescure ait recommandé de renforcer le statut du domaine public dans notre pays et il est intéressant de voir que le Ministère envisage d’aller jusqu’à modifier la loi en ce sens. Cela prolonge les orientations du rapport Dataculture qui préconisait la diffusion ouverte du domaine public numérisé sous Public Domain Mark. Cette semaine, il s’est également produit quelque chose d’important, puisque la députée Isabelle Attard a déposé "une proposition de loi visant à consacrer, élargir et garantir le domaine public". J’en parlerai plus en détail sur S.I.Lex lorsque la proposition aura passé le stade de l’examen de sa recevabilité. Le développement d’un calculateur du domaine public français est également une excellente mesure, qui va être développé en partenariat avec l’Open Knowledge Foundation France, en associant dans un premier temps la BnF pour les oeuvres liés au centenaire de la guerre de 14-18. Un tel outil peut apporter une contribution importante pour renforcer l’effectivité du domaine public. Savoir si une oeuvre appartient ou non au domaine public relève encore trop souvent de la gageure, comme l’a montré récemment l’exemple d’Apollinaire.

3) Open Data

  • Poursuivre la mise en oeuvre de la feuille de route stratégique d’ouverture des données publiques culturelles du ministère et de ses opérateurs.
  • Faire de l’ouverture des données culturelles l’un des leviers de la stratégie numérique territoriale, conformément aux objectifs du volet numérique des futurs contrats de projets Etat-Régions.

On est là dans la poursuite du changement de politique exprimé auparavant par le guide Dataculture et la feuille de roue Open Data du Ministère. Sur ce point, il semble bien que le MCC ait décidé de rompre avec l’attitude de repli précédente. Cet engagement en faveur de l’ouverture des données s’est traduite concrètement cette semaine également par le fait que la culture apparaisse formellement dans le plan d’action que le Premier Ministre a publié pour la mise en oeuvre de la Charte du G8 relative à l’ouverture des données publiques (p.13) :

Le ministère de la Culture et de la Communication entend donner sa pleine mesure à la politique gouvernementale en faveur de l’ouverture des données publiques et au soutien d’une économie numérique des données qui est en train de se construire. Il s’engage à publier une feuille de route stratégique sur l’Open Data culturel, dans le cadre de laquelle s’inscrira son action numérique, et à ouvrir des jeux de données publiques issues du secteur culturel en prenant appui sur les prescriptions de son récent rapport "Data Culture".

La prochaine étape importante dans ce processus va être l’audit que le MCC est en train de réaliser à propos des redevances de réutilisation des données culturelles mises en place par ses services et les établissements sous sa tutelle. Le rapport Trojette remis cette semaine au Premier Ministre incite nettement à supprimer ces redevances sur la vente de données brutes dans la plupart des cas, mais il a laissé de côté le secteur culturel. D’où l’importance des conclusions de cet audit conduit au niveau du Ministère de la Culture.

Après l’Automne, le printemps ? (Frosted Flower. PAr Richard Turner. CC-BY-ND. Source : Flickr)

Et maintenant ?

Bien sûr, il faudra rester très vigilant pour qu’au-delà des effets d’annonces, ces mesures se traduisent par des résultats concrets, notamment par la production effective de ressources culturelles sous licence libre et la libération de données en Open Data. A défaut, l’Automne numérique soulèverait des déceptions à la hauteur des espoirs qu’il a fait naître. La loi sur la Création, annoncée pour 2014, sera également une épreuve de vérité, car c’est à ce niveau que l’on attend le Ministère, notamment sur la question du domaine public. Un calculateur peut apporter une contribution, mais il ne pourra résoudre tous les problèmes et la loi doit être modifiée si l’on veut arriver à des changements réels. On attend également le Ministère sur les propositions en faveur des usages transformatifs (mashup, remix) sur lesquels le CSPLA travaille en ce moment, en vue de la loi sur la Création.

Mais tout n’est pas dans les mains du Ministère, loin s’en faut, car l’effectivité de ces mesures passera surtout par les établissements culturels eux-mêmes – les bibliothèques, musées et services d’archives de ce pays _ qui gèrent l’essentiel des collections et des données du secteur. Les professionnels qui souhaitent s’engager dans des démarches d’ouverture manquaient jusqu’à présent souvent d’une orientation claire du Ministère pour pouvoir convaincre leurs hiérarchies ou vaincre les inerties. Avec ces nouveaux éléments de langage, l’occasion se présente de pousser au niveau des établissements pour impulser le changement et il faut la saisir.

L’enjeu essentiel se situe au niveau des grands établissements dont les politiques sont généralement encore très loin de satisfaire ces objectifs d’ouverture. Que feront la RMN-Grand Palais, Le Louvre, le Musée d’Orsay, l’INA, le Musée du Quay Branly, le domaine de Versailles, la BnF, le Centre Pompidou, les Archives nationales pour se conformer à ces nouvelles orientations ? Ils ne pourront en tout cas plus s’abriter derrière le Ministère pour maintenir des politique de fermeture dont la justification devient à présent de plus en plus fragile… (exemple le Centre Pompidou qui a fait passer ses métadonnées en RDF, mais ne les toujours pas placées en Open Data. Comment continuer à justifier une telle aberration ?).

Pour finir, je trouve particulièrement important que ces nouvelles orientations se fassent en lien avec la question de l’éducation artistique et culturelle, c’est-à-dire avec les nouveaux usages créatifs que le numérique favorise, notamment chez les plus jeunes. C’est finalement ce levier qui aura permis d’enclencher ce mouvement positif vers l’ouverture.

***

PS : je fais néanmoins une distinction très nette entre ces nouvelles orientations de politique culturelle et la question du partage des oeuvres culturelles en ligne, au sujet de laquelle des signes inquiétants continuent de nous parvenir. Les informations diffusées par PC Inpact cette semaine à propos de la Mission Imbert -Quaretta en cours à la Hadopi nous montre que c’est une véritable loi SOPA à la française qui est en train de s’élaborer dans l’ombre. Sous prétexte de lutter contre la "contrefaçon commerciale", des mesures de fragilisation des intermédiaires techniques sont envisagées qui restent inacceptables au nom de la préservation de la liberté d’expression. Elles figureront sans doute dans la loi sur la Création de 2014, au côté des mesures positives signalées dans ce billet. Comme déjà annoncé à propos du rapport Lescure, nous soutiendrons le meilleur, mais nous combattrons le pire de toutes nos forces.


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