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Permission de ne pas rentrer ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 7/10/2015

On ne peut plus dorénavant éluder cette angoissante question. Comment faire pour qu'une permission de sortie ne devienne pas une permission de ne pas rentrer et, pour certains, constitue une permission de "braquer" et de tirer sur les fonctionnaires de police ?

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Le 5 octobre, un vol à main armée était commis par deux jeunes gens cagoulés dans un entrepôt de livraison de bijoux de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis).

Une course poursuite entre ceux-ci et des policiers de la brigade anticriminalité (BAC) de Saint-Denis aboutissait à la mort de l'un des malfaiteurs, l'autre se rendant plus tard à la police, et à l'atteinte grave causée à un fonctionnaire de police, actuellement entre la vie et la mort.

Le braqueur décédé, auteur des coups de feu après avoir déjà tiré sur le véhicule de la BAC, avait bénéficié d'une permission de sortie le 27 mai dernier et se trouvait en fuite depuis cette date. Il était censé exécuter une peine de six ans d'emprisonnement pour vols aggravés. Il avait fait l'objet d'une fiche S pour conduite radicale en prison.

Lui-même et son compagnon étaient connus des services de police pour "une vingtaine d'affaires de droit commun dont des vols à main armée, des faits de violence et des vols aggravés, selon une source judiciaire" (Le Monde).

Les syndicats de police ont évidemment vivement réagi face à ce qui leur est apparu comme un nouveau et scandaleux dysfonctionnement judiciaire. Je les rejoins dans leurs protestations mais avec les considérations suivantes.

Christiane Taubira, la garde des Sceaux, n'a aucune responsabilité dans ces tragédies et soutenir le contraire serait d'une insigne mauvaise foi.

Il demeure que sa proposition de faire escorter les permissionnaires, pour des motifs professionnels ou familiaux tenant à l'application d'une loi de 2004, est un peu courte. Il convient plutôt de réduire les permissions de sortie et de ne les accorder qu'avec parcimonie et lucidité. J'entends bien que sur la multitude qui est validée par les juges de l'application des peines après avis de la commission qu'ils président, un pourcentage relativement faible - 295 sur environ 55 000 - constitue un échec, quelle que soit la tournure de celui-ci : non réintégration suivie ou non de délits ou de crimes.

C'est cette part-là qui interpelle et qui contraint à réfléchir à de nouvelles pistes.

La commission et le JAP ne devraient accorder une permission de sortie qu'à l'unanimité. Faute d'un tel consensus, il conviendrait de la rejeter.

Dans l'arbitrage à opérer entre un risque social et le souci compassionnel, le premier mériterait d'être jugé prioritaire et la commission pourrait s'attacher essentiellement, voire exclusivement, au passé judiciaire et à la nature de celui-ci. En effet toutes les autres données sont aléatoires. Les meilleurs psychiatres et psychologues se disent en effet incapables de prédire ce qui, de la part de tel ou tel, entraînera ou non à coup sûr une offense à la société. Le comportement pénitentiaire n'est pas non plus une donnée fiable puisque la comédie en est l'un des ressorts fondamentaux. Les plus dangereux dehors sont apparemment les plus tranquilles dedans.

L'objectivation des infractions déjà commises pourrait heureusement se substituer à la loterie même pluraliste des décisions fondées sur l'individualisation des peines. Il y a des condamnés qui ne devraient bénéficier d'aucun aménagement et d'autres, rares, qui pourraient les solliciter et les obtenir.

Il est permis, sans porter atteinte à la haute idée que la magistrature a d'elle-même, de se demander si une nouvelle définition de la responsabilité judiciaire ne devrait pas être élaborée. J'entends bien que la "commissionite" aiguë a pour principal avantage de diluer l'imputabilité des catastrophes mais tout de même, s'il est légitime que les magistrats aient du pouvoir, il serait démocratique qu'il ait une contrepartie plus nette et plus éclatante qu'aujourd'hui. On ne peut pas tout avoir, l'honneur de la fonction et l'immunité pour les dérives qui auraient pu, dû être empêchées. Cette conception n'est pas née depuis mon départ de la magistrature au mois d'octobre 2011: je l'ai toujours eue.

Enfin, il est capital qu'en République aucun corps de pouvoir, aucune instance d'autorité et de direction ne puissent se dispenser d'explications nécessaires, surtout quand une tragédie démontre qu'une interrogation sur le processus mis en oeuvre a le droit d'être formulée. Pourquoi tel ou tel magistrat, tel JAP, tel juge de la liberté et de la détention ne serait-il pas convié à s'exprimer face à la représentation nationale puisque la hiérarchie judiciaire, en dehors même de tout plan disciplinaire, ne demande jamais de comptes de crainte qu'on en exige d'elle aussi ?

Pourquoi ne pas instaurer une obligation de justification, voire de contrition, en tout cas de révélation, qui éviterait les faux procès et manifesterait à l'opinion publique, par l'entremise des députés, que la magistrature agit au nom du peuple et que, n'hésitant pas à s'en prévaloir pour le meilleur, elle est consciente d'avoir également à répondre du pire ? Les errements de la justice ne sont pas que l'affaire des juges mais celle de la société tout entière.

J'ai constaté à quel point ces problématiques étaient sensibles lors d'un débat passionnant que j'ai eu avec mon contradicteur et ami Alexis Bachelay, député PS des Hauts-de-Seine, dans l'émission de Jean-Marc Morandini sur Europe 1. Des auditeurs sont intervenus et notamment un ancien juge de l'application des peines qui n'était pas loin de nous citer le juge Burgaud en exemple. Alors !

On ne peut plus dorénavant éluder cette angoissante question. Comment faire pour qu'une permission de sortie ne devienne pas une permission de ne pas rentrer et, pour certains, constitue une permission de "braquer" et de tirer sur les fonctionnaires de police ?


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