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Zineb et Steve : deux fautes du pouvoir ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 21/07/2019

On a des ministres qui tels des perroquets zélés jouent les donneurs de leçons auprès de Nadine Morano et reçoivent en retour ce qu'ils méritent mais pas un seul - et je n'évoque pas seulement Christophe Castaner - ne lève le petit doigt éthique et politique pour rappeler que l'état de droit n'est pas un pur formalisme qui consacre l'impuissance mais se devrait d'être une honorable machine de guerre au service de la vérité, quelle qu'elle soit.

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Depuis des mois, je refuse de participer au jeu de massacre qui a consisté, pour sanctifier globalement les Gilets jaunes, à faire peser toute la responsabilité des violences et des blessures sur les forces chargées de maintenir l'ordre. Je le répète : c'était une indécence démocratique que de mettre sur le même plan, ceux qui ont harcelé, frappé, insulté et dégradé et la police dont l'intervention, par définition, était de réaction et de défense.

Je n'ignore pas que, si le comptage du journaliste David Dufresne a été objectif, il y a eu, parmi les Gilets jaunes, 246 éborgnés, 315 blessures à la tête et 5 mains arrachées.

L'IGPN a été saisie à de nombreuses reprises, des enquêtes diligentées, des informations ouvertes et, pour certaines violences illégitimes, des fonctionnaires devront en répondre. Je m'en réjouis si toutes ces procédures ont un jour leur issue, quelle qu'elle soit. Rien de plus normal dans un état de droit.

Des Gilets jaunes coupables d'infractions ont été condamnés et rien de plus légitime également.

Pourquoi alors ce billet qui s'interroge sur deux tragédies, celles du 2 décembre 2018 et du 21 juin 2019, à la suite desquelles Zineb Redouane, âgée de 82 ans, qui fermait ses volets à cause d'une manifestation contre l'habitat indigne, a été gravement atteinte avant de décéder le lendemain, et Steve Caniço, jeune homme de 24 ans, a disparu, probablement noyé dans la Loire car il ne savait pas nager, à la suite d'une charge de police parce que des fêtards avaient dépassé l'heure autorisée ?

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Pour cette séquence, en pleine nuit, une dizaine de balles de LBD, une trentaine de grenades de gaz lacrymogène, une dizaine de grenades de désencerclement (Mediapart).

Qu'on m'entende bien : je ne suis pas tout à coup saisi par le prurit du justicier en chambre et je n'ai pas l'intention d'ajouter demain à la surenchère médiatique qui, par exemple, nous accable pour la mort d'Adama Traoré qu'il s'agit d'imputer, contre toute évidence, aux gendarmes.

Je ne suis pas un maniaque, un compulsif, un pétitionnaire de la détestation à l'égard des forces de l'ordre. Donc je suis crédible à rebours.

Je ne suis pas davantage convaincu par le réquisitoire anti-police de Michaël Hajenberg, intelligent mais si férocement partial puisque, pour lui, tout est de la "faute du pouvoir" (Mediapart).

Je constate juste l'étrange indifférence qui semble tenir pour fatale la disparition de Steve Caniço. Comme s'il n'y avait plus rien à rechercher, à découvrir, plus personne à incriminer. Comme s'il convenait seulement de constater l'absence. Le président de la République s'est dit certes "préoccupé" mais cela ne fera guère avancer les choses.

Et pour Zineb Redouane, on se heurte peut-être à une solidarité qui semble interdire toute identification de celui qui a projeté la grenade de gaz lacrymogène. Les CRS à l'origine des tirs affirment que les images de la vidéosurveillance ne sont pas d'assez bonne qualité pour permettre sa désignation et le capitaine des CRS refuse de transmettre pour examen balistique les 5 lanceurs de gaz lacrymogène. Comment qualifier cette entrave délibérée ?

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Il ne suffit pas d'ordonner des enquêtes et d'engager des procédures. Si elles ne sont pas menées à leur terme et si on se satisfait de blocages qui semblent résulter d'une solidarité corporatiste, elles seront soupçonnées de n'exister que pour faire illusion, pour donner le change, et ne déboucheront sur rien. Rien ne serait plus contre-productif que de transmettre un tel message d'impuissance ou de malice. A force les citoyens seraient alors véritablement fondés à déplorer le deux poids deux mesures !

Aussi un constat d'échec, alors que ces affaires dramatiques ne durent que trop, ne serait pas tolérable, qu'il résulte de l'incurie ou de l'étouffement.

Il est symptomatique de relever que, pour l'instant, seul le syndicat de police SGP-FO a dénoncé la disproportion de la charge à Nantes et a ciblé une responsabilité du commandement. Le défenseur des droits s'est ému mais comme il s'émeut pour tout et n'importe quoi, on ne l'écoute plus.

Précisément parce que ces tragédies échappent à l'argumentation qui a justifié dans la plupart des cas l'action coercitive des forces de l'ordre, parce qu'elles ne concernent pas les Gilets jaunes, qu'elles pourraient relever d'une politique erratique et désordonnée de gestion des troubles publics, le pouvoir, s'il avait l'intelligence de sa puissance et de ses obligations, ferait en sorte de pousser les feux pour que ces causes soient traitées avec efficacité et à fond.

Le soutien général de la police n'a de sens et n'est plausible que s'il s'accompagne de la transparence, de l'acharnement, de la rigueur et de la sévérité que devraient appeler ses indiscutables transgressions ou les suspicions projetées sur certaines de ses opérations. Comme pour la mort et la disparition qui sont mon sujet.

Comme avocat général, j'ai requis dans le dossier dont la malheureuse victime était Brahim Bouram, poussé dans la Seine par un skinhead simplet alors qu'il ne savait pas nager. On ne cesse de parler aujourd'hui encore de cette mort. Il vrai qu'elle pouvait se rapporter au FN, au cours d'un défilé du 1er mai !

Pour Steve Caniço, qui s'indigne ? Pour Zineb Redouane, qui interpelle ? Il n'y a plus de grandes voix pour contraindre le pouvoir à des réponses.

On a des ministres qui tels des perroquets zélés jouent les donneurs de leçons auprès de Nadine Morano et reçoivent en retour ce qu'ils méritent mais pas un seul - et je n'évoque pas seulement Christophe Castaner - ne lève le petit doigt éthique et politique pour rappeler que l'état de droit n'est pas un pur formalisme qui consacre l'impuissance mais se devrait d'être une honorable machine de guerre au service de la vérité, quelle qu'elle soit.

Il n'est que temps ou alors ce sera vraiment les deux fautes, irréversibles, du pouvoir.


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