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La suppression, pour l'instant, de l'extension de l'expérimentation des citoyens assesseurs

Paroles de juge - , 13/06/2012

Par Michel Huyette


  La ministre de la justice vient de l'annoncer dans un document officiel en date du 11 juin 2012 : il n'y aura pas forcément à compter de janvier 2013 d'extension à d'autres cours d'appel de l'expérimentation en cours des citoyens assesseurs. L'expérience va se poursuivre jusque la fin de l'année dans les cours d'appel de Toulouse et de Dijon et un bilan dira si l'expérience doit être poursuivie ou non.

  L'un des arguments avancés par la ministre avait déjà été discuté notamment ici, ici, ici : alors qu'il était au départ expliqué par l'ancien gouvernement qu'une expérience devait être conduite dans deux cours d'appel pendant une année et qu'un bilan devait être effectué au terme de ces douze mois pour savoir s'il est judicieux ou non de maintenir les citoyens assesseurs, c'est dès le 16 février 2012 (texte ici) que le ministère de la justice décidait d'étendre l'expérience à huit autres cours d'appel.

  Or, évidemment, aucun bilan ne pouvait être effectué aussi rapidement à Toulouse et Dijon alors qu'entre janvier et mi-février 2012 les juridictions avec des citoyens assesseurs avaient à peine eu le temps de se mettre en place. Il est donc bien plus cohérent d'attendre la fin 2012 avant de décider quoi que ce soit. Le retour à la logique ne peut qu'être approuvé.


   Aujourd'hui nous avons un petit peu de recul. C'est ce qui explique la publication dans une revue juridique (1) d'un article intitulé "Citoyens assesseurs saison 1 : premier bilan", rédigé après quatre mois d'expérimentation. Même si la période étudiée n'est pas très longue, le document comporte quelques indications intéressantes.

  Il y est écrit, en résumé, que :

  - Les citoyens appelés à siéger se sont fortement et sérieusement impliqués, ce qui n'est pas une surprise quand on sait avec quel sérieux la plupart des jurés des cours d'assises exercent leur mission.

  - Leur inexpérience est une réelle difficulté, de nombreuses subtilités juridiques leur échappant, notamment dans le domaine beaucoup plus complexe qu'on ne l'imagine à l'extérieur du choix de la peine.

  - Leur présence uniquement pour certains délits ne s'explique pas toujours logiquement, et il existe un risque d'une justice à deux vitesses.

  - La présence de citoyens assesseurs non juristes entraîne un fort ralentissement du cours de la justice, la nécessité d'expliquer à chaque fois le déroulement d'un procès, les infractions, les peines prononçables etc.. imposant de réduire considérablement le nombre d'affaires par audience. Le traitement d'un grand nombre de dossiers est en conséquence différé.

  - Pour compenser les retards occasionnés par le ralentissement de l'audiencement, et pour limiter les dégâts, les procureurs de la République s'arrangent pour réorienter certains dossiers vers les juridictions sans citoyens assesseurs, par exemple en ne retenant pas les circonstances aggravantes ou en privilégiant plus souvent qu'auparavant les alternatives aux poursuites.

  - Le système est parfois exagérément complexe : il peut y avoir parfois dans une même affaire un premier délibéré avec les seuls magistrats professionnels sur un problème de procédure ou une QPC (cf. la rubrique dédiée), un deuxième délibéré sur la culpabilité et la peine avec les citoyens assesseurs, puis un troisième délibéré sans eux sur l'indemnisation de la partie civile.

  - Les jurés ont parfois du mal à laisser de côté leurs émotions, et sont parfois perçues des envies de vengeance par rapport à ce qu'ils ont eux-mêmes vécu. Ce qui n'est pas vraiment de la justice...

  - Les citoyens assesseurs sont globalement moins sévères que les magistrats professionnels.


  Ce dernier point retient particulièrement l'attention puisque nous savons qu'au départ la réforme avait été clairement expliquée par la volonté de voir prononcer des peines plus sévères, les magistrats professionnels étant accusés (contre toute réalité) de laxisme excessif. Les citoyens assesseurs étant implicitement considérés comme des machines à sanctionner sévèrement.

  Bien sûr cela n'a pas été le cas, et nous savons par l'expérience de la cour d'assises que les citoyens qui rejoignent les juges ne sont pas majoritairement plus sévères que les professionnels.

  On relèvera en passant que dans le rapport qu'il vient de publier à propos de la surpopulation carcérale (lire ici)  le Contrôleur général des lieux de détention a relevé que " le juge est, à infraction égale, plus sévère aujourd'hui qu'il ne l'était autrefois".

  Peut être serait-il temps, enfin, de tordre le coup à cette idée démagogiquement répandue d'une insuffisante sévérité de la justice.

  Quoi qu'il en soit, en attendant un bilan plus complet en fin d'année 2012, il est tentant de penser que le principal mais sans doute le seul véritable intérêt de la présence de citoyens assesseurs est qu'ils découvrent comment fonctionne la justice et, dès lors, qu'ils remplacent leurs préjugés par une perception réaliste du fonctionnement de cette institution. Ce qui se passe déjà à la cour d'assises, mais qui est une juridiction qui ne correspond pas au travail quotidien de la justice pénale.


  Or, s'il se confirme qu'elle ne change rien de fondamental au niveau des décisions prononcées,  cette présence de citoyens assesseurs est un luxe que la justice ne peut pas s'offrir.

  Il exsiste encore trop de manques pour se permettre du superflu.

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1. La semaine juridique n° 18 du 30 avril 2012. 

 


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