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Macron ou le souci des Français...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 17/03/2020

Si cette allocution du 16 mars a permis à certains de partager mon sentiment sur Emmanuel Macron, j'en serais heureux. Car si les Français ont continué à être irresponsables un temps, notamment à Paris et à Marseille, cela tenait peu-être à ce que la parole de ce pouvoir, même pour notre bien, n'était plus légitime. Une embellie donc dans la catastrophe ?

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Ce titre m'est venu en songeant à la magnifique pièce de Jean Anouilh "Becket ou l'honneur de Dieu". Un homme change de destin et soutient jusqu'à la mort la cause dont il a accepté d'assurer la défense.

La comparaison est discutable mais je l'ose. Le président, au nom de la vie à sauvegarder, s'est enfin senti investi d'une responsabilité, sortie des chemins partisans, à l'égard de tous les Français. Telle une mission le contraignant à se quitter lui-même d'une certaine manière.

Il me semble qu'Emmanuel Macron, le 16 mars, a découvert en effet le souci de ses concitoyens, en bloc et non plus au détail, et ainsi s'est découvert lui-même avec une sorte d'étonnement sincère et donc plus convaincant qu'à l'ordinaire.

On voudra bien m'excuser d'imposer à ceux qui visitent mon blog un rythme encore plus précipité de billets mais la première raison en est l'obligation d'un confinement d'au moins deux semaines - réponse à l'incivilité des Français selon le professeur Pialoux - dont d'ailleurs le Conseil scientifique estime qu'il aurait dû être encore plus strict: il y a encore des Français qui ne sont pas sûrs de respecter celui qui sera instauré à partir de ce jour à midi (Le Figaro)...

La seconde raison tient à la qualité de l'intervention du président de la République, qui m'a passionné parce qu'elle a été fondée sur un double registre.

Le premier relevant de la lutte sévère contre le coronavirus, avec une explication rapide sur le maintien du premier tour des élections municipales, et des multiples aides, facilités et exonérations fiscales, économiques et sociales destinées à pallier les effets de cette crise terrible qui va durer. D'abord pour prévenir les faillites et soulager, le temps qu'il faudra, les petites et moyennes entreprises confrontées à une situation totalement inédite. Ces dispositions étaient nécessaires et on ne saurait en féliciter le pouvoir qui n'avait pas d'autre choix que de venir au secours de notre tissu industriel et commercial.

On peut s'étonner que face à ce fléau on ne compte plus alors qu'on était chiche auparavant et qu'on serrait les cordons de la bourse étatique. Sans doute, en particulier, à cause de cette perversion de tout pouvoir qui déteste céder aux injonctions de l'opposition, des syndicats et de la rue mais se sent plus prêt à la générosité quand il a décidé, lui tout seul, quel que soit son ressort, d'être prodigue. D'un côté la fierté est de refuser, de l'autre de donner.

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Le second registre, capital, a conduit le président à mettre en sommeil les projets en cours, notamment cette loi sur les retraites tellement contestée et peut-être contestable. Ce n'est pas la difficulté d'obtenir l'aval parlementaire qui me paraît avoir motivé cette suspension de tout ce que le pouvoir macronien considérait hier comme essentiel, mais plutôt la conscience qu'avec le coronavirus on avait changé de monde et que les pratiques d'avant devaient être frappés de caducité.

Il ne faudrait pas sous-estimer ce que représente pour Emmanuel Macron un tel abandon, qui fait fi d'un socle grâce auquel il espérait encore irriguer, enrichir son quinquennat. Pour l'orgueil, voire l'arrogance parfois de présider, quelle ascèse !

Il y avait autre chose dans le discours du président (toujours long certes mais sans redites) qui m'a touché tout particulièrement, sans doute parce qu'au-delà de l'écoute politique et technique, j'ai été saisi par ce qu'il révélait d'intime sous les mots officiels ; avec, me semblait-il, une sincérité qui mettait à bas l'artifice, la tactique.

J'ai eu l'impression qu'énonçant cette évidence que le coronavirus et la lutte féroce et consensuelle pour l'éradiquer allait profondément nous changer et changer la France - voir mon billet "Le coronavirus va-t-il nous changer ?" -, le Président ne nous mentait pas quand il soulignait à quel point il serait lui-même le premier à être métamorphosé.

Comme s'il avait pris conscience, s'appréhendant avec un regard neuf tout alourdi par le souci des Français et de leur intégrité, qu'il convenait de quitter les rives de la start-up aussi républicaine qu'elle soit pour s'immerger, enfin, dans une humanité dont la sienne devait être solidaire. A tort ou à raison, j'ai perçu que les chiffres s'étaient fait expulser par une politique du coeur, de la compassion et de l'assistance qui n'était pas exclusive de l'exercice d'un pouvoir fort et vigoureux.

Je devine déjà les sarcasmes habituels sur mes prétendus changements, mon inconditionnalité fantasmée mais je n'en ai cure. Je ne parviendrai jamais à faire comprendre que j'analyse ce que le pouvoir m'offre au jour le jour et que mes voltes ne sont que la conséquence de la multitude de ses visages contrastés, ici valables, là critiquables.

Si cette allocution du 16 mars a permis à certains de partager mon sentiment sur Emmanuel Macron, j'en serais heureux. Car si les Français ont continué à être irresponsables un temps, notamment à Paris et à Marseille, cela tenait peut-être aussi à ce que la parole de ce pouvoir, même pour notre bien, n'était plus crue ni légitime.

Une embellie donc dans la catastrophe ?


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