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Pourquoi ça coince ?

Justice au singulier - philippe.bilger, 15/07/2014

François Hollande, pour l'instant, n'a pas encore trouvé le moyen de se sortir des mots, de nous sortir des maux.

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Bien sûr, j'ai écouté le président de la République lors du rituel médiatique du 14 juillet.

J'ai éprouvé le même malaise que lors de ses prestations précédentes, aggravé par le fait que, le temps passant, le citoyen est enclin à moins d'indulgence, à moins de patience, à plus de lucidité.

Comment dire ?

Avec François Hollande, ce sentiment est étrange qui vous confronte sans cesse à la bonne volonté du virtuel mais à l'inefficacité du réel. Le pire est que cette perception est peut-être injuste mais qu'elle me semble ressentie par beaucoup.

Il y a quelque chose qui coince entre la parole et l'action. L'esprit est vif, la détermination certaine mais le saut dans l'opératoire paraît se faire médiocrement ou demeurer en suspens comme une tentation, un rêve, une éternelle promesse.

Cette impression est d'autant moins discutable que cette année l'excuse du bilan précédent est heureusement totalement passée à la trappe.

Et que l'entretien, pour une fois, a été au moins partiellement conduit par un journaliste digne de ce nom : Gilles Bouleau. Sa pugnacité et son urbanité m'ont permis de me concentrer sur l'essentiel qui était l'aptitude ou non du président de la République à répondre précisément aux questions directes qui étaient formulées (TF1).

Et nous avons dû constater que François Hollande a fui leur évidence et leur brutalité courtoise pour se réfugier dans le domaine où il se sent le plus à l'aise: celui du constat, de la compassion et du futur.

Il a expliqué, partagé, consolé, dénoncé, compati, regretté, annoncé. Il a tenté de mettre de la cohérence et un plan là où ses opposants - pas seulement ceux de droite - perçoivent seulement l'expression d'une social-démocratie essoufflée avant même d'avoir progressé. Il a versé une larme sincère sur l'augmentation du chômage, déploré la pression fiscale mais les lendemains chanteront et nous n'aurons plus à faire qu'avec la bonne finance. Comme on aimerait lui donner raison mais comme nous pressentons douloureusement qu'il a tort !

Il s'est détourné de l'interrogation capitale de Gilles Bouleau : pourquoi, quand nous échouons, d'autres pays réussissent-ils ? Avec habileté et une maîtrise orale sans défaut, il s'est bien gardé d'avouer que d'abord il n'avait pas tout essayé et que surtout il ne s'était pas servi de la bonne boîte à outils. Quand une comparaison européenne est possible, l'échappatoire est malaisée. Le président, dos au mur, a emprunté un chemin de fuite.

Des mots, des mots. Je comprends mieux dorénavant pourquoi le président a tant de tendresse politique pour Christiane Taubira. Un même talent pour le verbe, moins profus et pompeux chez François Hollande, mais cette même illusion sur le langage qui serait capable de se substituer à l'action, cette faiblesse similaire face à l'Himalaya du réel : on le décrit, on le soupèse mais il est trop intimidant pour qu'on le touche autrement que du bout de la pensée et du vocabulaire.

François Hollande a eu son meilleur passage - c'est une preuve supplémentaire de ce que j'énonce - quand il s'est appliqué brillamment à justifier son inaction, son abstention légitime, celle d'un démocrate authentique, à l'égard des problèmes de justice, des procédures pénales, qu'elles concernent Nicolas Sarkozy ou d'autres. Il a rappelé avec force son respect de la présomption d'innocence et de l'indépendance de la magistrature. Je l'ai trouvé convaincant et sur ce plan à la hauteur de la République. Tout simplement, parce que dans cette matière délicate, on n'exigeait de lui que cette indifférence polie, que ces mots sensibles.

Pourquoi ça coince ? Et de plus en plus ? Parce que François Hollande nous offre un véritable optimisme depuis 2012, mais démenti, et une apparence d'action.

Il cherche à nous persuader que la France est un grand pays - quand on le répète trop, c'est qu'on en doute soi-même - et qu'elle change lentement mais sûrement grâce à lui.

Tellement en profondeur que le citoyen ne la voit pas bouger.

François Hollande, pour l'instant, n'a pas encore trouvé le moyen de se sortir des mots, de nous sortir des maux.


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