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François Hollande roulé dans les crimes ?

Justice au singulier - philippe.bilger, 22/03/2012

Je suis persuadé que la polémique maintenant va s'attacher à la mort de Mohamed Merah et aux circonstances qui l'ont précédée et suscitée. Pour ma part je n'ai pas abandonné, au nom d'une France blessée au travers de quelques malheureuses victimes et à cause de Mohamed Merah aujourd'hui relatif mystère, ma passion de demeurer citoyen à la fois solidaire et éveillé.

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Mohamed Merah est mort dans des conditions rapportées par Claude Guéant. Je n'aurais pas, connaissant le courage et l'expérience du RAID, l'impudence de discuter les modalités ayant abouti à cette disparition de plus en plus prévisible au fil de ces très longues dernières heures (Mediapart).

Dans un sondage CSA, Nicolas Sarkozy est passé en tête au premier tour avec un chiffre que jusqu'alors il n'avait jamais atteint: 30%, et François Hollande obtiendrait 28%. Derrière, Jean-Luc Mélenchon fondrait sur François Bayrou et Marine Le Pen.

Ce n'est pas pour rien que j'évoque cette toute fraîche évaluation parce qu'elle renvoie à l'omniprésence du président-candidat surtout depuis la tuerie devant l'école juive à Toulouse. Il est évident qu'il a su remarquablement jouer sur les deux tableaux que ces tragédies et la campagne présidentielle proposaient : la représentation émue et compassionnelle du chef de l'Etat avec force interventions officielles et médiatiques, notamment après la mort de Merah, le 22 à 13 heures, d'une part et, d'autre part, l'exploitation subtile par le candidat de ce que sa fonction lui permettait. Si François Hollande a été à la hauteur digne et respectueuse de ces tragédies, je considère qu'il a été roulé dans les crimes, comme vulgairement on est roulé dans la farine. Il a totalement laissé la main à Nicolas Sarkozy sans même mettre en cause, à un certain moment et à partir d'un certain niveau, la surenchère et l'outrance. Le comble est que Jean-François Copé a osé lui reprocher l'inverse alors qu'à l'évidence le deuil collectif dans lequel naturellement il s'est inscrit lui a fait perdre toute lucidité critique et l'audace de souligner que le recours à l'esprit national avait ses limites.

Mohamed Merah a été décrit par son avocat Christian Etelin qui l'avait connu en 2006 comme un petit délinquant d'habitude sans envergure ni véritable personnalité, aux antipodes du "loup solitaire" qu'il serait devenu et qu'il était resté même au moment de sa fin. Il n'y a rien que de très normal et classique dans ce hiatus entre l'être d'hier et celui qui soudain fait irruption dans l'espace public, dans le champ criminel. On a passé du temps à s'interroger sur ses dérives et sa métamorphose. Le crime déjà, à lui seul, est une rupture, crée une brèche terrible dans l'existence. Il est naïf alors de s'étonner de la tranquillité apparente d'avant puisqu'elle a été bouleversée par un cataclysme qui n'a rien à voir avec un quelconque communautarisme. Il a été suscité par le téléscopage d'un tempérament infiniment jeune, habituellement transgressif et immature avec un terrorisme et ses tentations de l'extrême appris si loin de Toulouse et de Montauban. Le petit "voyou" est devenu une subjectivité délirante et tellement murée que la mort des autres et la sienne propre avaient partie fanatique et tragique liée.

Nicolas Sarkozy, dans ses hommages aux militaires assassinés et aux victimes juives atrocement massacrées, a accompli son devoir. Je persiste à penser que ce n'étaient que des crimes, transgressions gravissimes certes infiniment odieuses, horriblement singulières, mais non des coups d'Etat. Ils ne mettaient pas à bas notre édifice national. Etait-il souhaitable de laisser croire que l'institution militaire elle-même était en péril, la communauté juive en danger et la démocratie en sursis ? Parce que Mohamed Merah avait absurdement évoqué une France "mise à genoux" par sa malfaisante entremise, était-il pertinent de reprendre ce registre ? De se placer sur son terrain au lieu de limiter sa terrifiante action à ce qu'elle était : une aventure solitaire et folle. Pouvait-on solennellement suggérer que l'unité nationale avait pu être compromise par ces crimes au pire perpétrés par une organisation réduite, au plus simple par un seul homme ? Et que la République était susceptible de "faiblir" devant des attaques à la fois si cruelles et si parcellaires ? C'était, par l'immixtion répétitive de l'Etat et sa présumée crainte, donner une importance démesurée à d'horribles tragédies répétitives qui, si elles avaient mobilisé normalement et absolument les autorités et les services compétents, n'avaient eu rigoureusement, et heureusement, aucune incidence sur la République, sa constance et sa force. C'était surestimer le mal et douter du pays.

François Hollande, entre le deuil nécessaire et la vigilance utile, n'a pas su ou pu trouver sa place. Nicolas Sarkozy décidément impose le la, le rythme, la quantité de coeur et d'esprit, décrète la mesure de l'émotion, se protège de l'accusation d'en faire trop, parle pourtant, depuis quelque temps, sans nécessité présidentielle. Entraînant le ridicule David Douillet dans son sillage avec sa mimétique minute de silence sportive !

Le comble a été à nouveau cette illusion législative proposée comme continuation de l'émotion et de l'indignation populaires relayées par l'exploitation gouvernementale. Je ne suis pas sûr que les mesures projetées, annoncées par le président jouissant jusqu'à plus soif d'un statut quasi invulnérable, soient, dans leur apparent caractère opératoire et utilitaire, conformes à ce que ces récents drames criminels auraient dû appeler (nouvelobs.com). Elles vont engager, si un jour elles sont mises en oeuvre, la France à cultiver encore davantage le péché gravissime du sarkozysme : une tragédie, une exploitation, une action fantasmée. Ainsi seront punis ceux qui consulteront des sites internet faisant l'apologie du terrorisme ou appelant à la violence ou à la haine. Seront envisagées la répression de l'apologie des crimes terroristes et celle - c'est le summum ! - de l'endoctrinement au terrorisme de toute personne s'étant rendue à l'étranger. C'est une dénaturation grave d'un moment exceptionnel de massacres, de deuil, que cette cuisine absconse fabriquée dans l'instant et nous construisant une démocratie suspicieuse jusque dans ses recoins les moins visibles. C'est cette démarche qui n'est pas honorable : dégrader une communion en politique. En mauvaise politique. 

Je suis persuadé que la polémique maintenant va s'attacher à la mort de Mohamed Merah et aux circonstances qui l'ont précédée et suscitée. Pour ma part je n'ai pas abandonné, au nom d'une France blessée au travers de quelques malheureuses victimes et à cause de Mohamed Merah aujourd'hui relatif mystère (Le Monde), ma passion de demeurer citoyen à la fois solidaire et éveillé.

 


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