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La guerre par les mots...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 29/06/2015

Les mots sont un bonheur, une richesse, le parfum d'une civilisation. Je ne m'habitue pas au fait que de plus en plus ils servent à faire la guerre, singulièrement ou collectivement.

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La démocratie a son vocabulaire et la République son langage.

A partir de quand les mots de l'une et de l'autre deviennent-ils outrageants et scandaleux ?

Quand le Premier ministre évoque, pour ce qui s'est passé en France et en Tunisie, une "guerre de civilisation", il a évidemment raison et, demeurant dans le registre politique et la dénonciation civique, il ne torture pas ni ne dénature l'expression. On peut certes la contester et la gauche - ce n'est pas une surprise - ne s'en est pas privée.

Il n'est pas interdit non plus, comme l'a fait brillamment Vincent Trémolet de Villers sous l'égide de Philippe Muray, de mettre en cause le terme de civilisation employé par Manuel Valls au motif qu'il serait porteur d'ambiguïté, du meilleur hier mais du pire aujourd'hui (Figaro Vox).

Reste que pour le sens commun l'appréciation lucidement polémique du Premier ministre est limpide et permet de définir très exactement la nature du combat, ce qu'on veut détruire chez nous à toute force et ce que nous devons défendre sans faiblesse.

Que Nicolas Sarkozy ait déjà proféré ce propos ne rend pas forcément cette analyse absurde !

D'autant plus que l'esprit partisan n'a pas sa place dans un tel débat puisque la droite, demain, ne sera nullement assurée d'être plus efficace contre l'islamisme radical que la gauche aujourd'hui.

La guerre par les mots ne s'arrête pas là.

Quand Christiane Taubira a insulté Gérald Darmanin sur un plan personnel et intime alors qu'il l'avait mise en cause pour sa politique pénale désastreuse, la garde des Sceaux a dévoyé et abaissé la langue française dont elle fait grand cas pour être celle dont l'oralité, à la spontanéité longuement préparée, est la plus éclatante.

Jean-Luc Mélenchon, dont j'avais déjà remarqué dans ma sphère proche qu'il pouvait être d'une extrême violence verbale, s'est illustré le 28 juin en accablant Emmanuel Macron de "son dégoût" et de "son mépris".

Parce que ce ministre n'a jamais été élu, a travaillé au plus haut niveau pour une banque et était donc indigne de représenter les millions de salariés dont la vraie gauche et lui-même étaient les défenseurs...

De la part d'une personnalité aussi éprise de culture, douée pour la maîtrise de la parole et donnant volontiers des leçons de politesse et de tenue aux journalistes souvent tétanisés en face de lui, jeter "dégoût" et "mépris" dans le débat public contre un homme qui, aussi discutable qu'il puisse être dans son activité ministérielle, le vaut bien, est une honte. On n'est plus dans le domaine de la sincérité mais dans celui de la grossièreté et de la vulgarité. On ne combat plus, on abat. On parle sous la ceinture en oubliant l'esprit.

Jean-Luc Mélenchon s'était ému pour bien moins que cela quand il avait été écrasé médiatiquement par le ministre Cahuzac.

On est tellement habitué en France aux impropriétés et à la souillure du langage que c'est à peine si cette abjection orale a été relevée et elle ne sera évidemment pas contredite par le principal intéressé Emmanuel Macron dont le silence stoïque sera en l'occurrence l'unique bouclier.

Cette guerre par les mots, elle se développe partout.

L'abus de l'adjectif "nauséabond" vient pallier ce que l'argumentation a d'infirme.

Sur Twitter, certains se campent aux aguets des tweets, non pas pour les contredire ou les approuver - ce serait fatigant ! - mais pour démolir qui les envoie et espère une réplique de fond qui ne viendra jamais.

Le hasard fait qu'une page est consacrée, dans Le Figaro, aux "irremplaçables vertus de la conversation". Celle-ci, qui était un art de société, est en train de se déliter, d'abord parce que la communication forcenée d'aujourd'hui est profondément étrangère au charme intelligent et altruiste de la conversation. Celle-ci, pour être exemplaire, exige de sortir de soi et de manier la palette infinie du langage, d'écouter l'autre autant qu'on lui parle.

Les mots sont un bonheur, une richesse, le parfum d'une civilisation.

Je ne m'habitue pas au fait que de plus en plus ils servent à faire la guerre, singulièrement ou collectivement.


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