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Mariage gay : c’est à la loi de dire

Actualités du droit - Gilles Devers, 16/03/2012

La CEDH ne veut pas faire le boulot du législateur, quitte à laisser...

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La CEDH ne veut pas faire le boulot du législateur, quitte à laisser stagner des situations juridiques très insatisfaisantes. La question posée à la Cour n'était pas l’adoption par un ou une homo, mais la possibilité d’adopter l’enfant de l’autre. Ici, apparaissent les deux régimes : le mari peut adopter l’enfant de son épouse, mais pour les couples homos, l’adoption est impossible… La CEDH vient de rejeter le recours pour discrimination  qui avait été formé devant elle, disant très clairement que c’est à chaque législateur de se prononcer (CEDH, Gas et Dubois no 25951/07, 15 mars 2012).

L’histoiremariage gay,adoption,cedh

Valérie et Nathalie sont nées en 1961 et 1965 et vivent en concubinage depuis 1989. Nathalie a donné naissance en France, le 21 septembre 2000, à une fille, conçue en Belgique par procréation médicalement assistée avec donneur anonyme.  L’enfant n’a pas de filiation établie à l’égard du père, qui est un donneur anonyme conformément à la loi belge, a été reconnue par sa mère.

Valérie et Nathalie se sont pacsées en 2002, et Valérie a formé devant le TGI de Nanterre une requête en adoption simple de la fille de sa partenaire, avec le consentement exprès de celle-ci donné devant notaire.

Le droit français

Nous sommes dans le cas de l’adoption simple ne rompt pas les liens entre l’enfant et sa famille d’origine, mais crée un lien de filiation supplémentaire (articles 360 et suivants du code civil). Elle peut être réalisée quel que soit l’âge de l’adopté, y compris lorsqu’il est majeur. Elle ajoute le nom de l’adoptant au nom déjà porté par l’adopté. Ce dernier conserve des droits successoraux dans sa famille d’origine et en acquiert vis-à-vis de l’adoptant. Elle crée des obligations réciproques entre l’adoptant et l’adopté, notamment une obligation alimentaire. Les parents de l’adopté ne sont tenus de lui fournir une aide financière que s’il ne peut les obtenir de l’adoptant.

Quand l’adopté est mineur, l’adoption simple a pour effet d’investir l’adoptant de tous les droits d’autorité parentale dont le père ou la mère de l’enfant se trouve dès lors dessaisi. Le législateur a aménagé une exception à cette règle : lorsque l’adoption simple est réalisée par le conjoint marié du père ou de la mère de l’enfant adopté. Dans cette hypothèse, l’autorité parentale est partagée entre les époux.

L'article 365

Lisez bien l’article 365365 du code civil, car il va être le centre du procès.

« L’adoptant est seul investi à l’égard de l’adopté de tous les droits d’autorité parentale, inclus celui de consentir au mariage de l’adopté, à moins qu’il ne soit le conjoint du père ou de la mère de l’adopté ; dans ce cas, l’adoptant a l’autorité parentale concurremment avec son conjoint, lequel en conserve seul l’exercice, sous réserve d’une déclaration conjointe avec l’adoptant devant le greffier en chef du tribunal de grande instance aux fins d’un exercice en commun de cette autorité. (...) ». mariage gay,adoption,cedh

Peut jouer la délégation d’autorité parentale de l’article 377 al. 1 du code civil qui permet  une mère seule titulaire de l’autorité parentale d’en déléguer tout ou partie de l’exercice à la femme avec laquelle elle vit en union stable et continue, dès lors que les circonstances l’exigent et que la mesure est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant ». La Cour de cassation a retenu restrictive (8 juillet 2010), exigeant que cette mesure permette d’améliorer les conditions de vie des enfants et présente un caractère indispensable.  

La procédure en France

Le procureur s’est fit défavorable, et par un jugement du 4 juillet 2006, le tribunal, qui a relevé que Valerie et Nathalie apportait soin et affection à l’enfant, a toutefois rejeté la demande car l’adoption emporterait transfert de l’autorité parentale, et ainsi priverait Nathalie, la mère biologique de ses propres droits sur l’enfant, ce qui est contraire à l’intérêt de l’enfant et à la volonté affichée de Valérie et Nathalie d’être dans un statut d’égalité devant l’enfant.

La cour d’appel a confirmé cette décision. Valérie et Nathalie ont engagé un pourvoi en cassation, puis s’en sont désisté.

Il faut dire que la Cour de cassation s’était prononcé a plusieurs reprises pour défendre cette position : l’adoption, en vue d’égaliser le statut des deux parents vis-à-vis de l’enfant, ne peut être acceptée car elle entraine le retrait de l’autorité parentale de la mère (6 février 2008, n° no 07-12948).

Le Conseil constitutionnel a été saisi, mais par une décision du 6 octobre 2010, il a jugé que le droit de mener une vie familiale, tel que garanti par la Constitution, n’ouvre pas droit à l’établissement d’un lien de filiation adoptive entre l’enfant et le partenaire de son parent, et quele législateur a délibérément décidé de réserver la faculté d’une adoption simple aux couples mariés et qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur.

Valérie et Nathalie ont donc saisi la CEDH, soutenant une discrimination liée au sexe, car la loi leur interdit le mariage qui permettrait cette adoption simple avec partage de l’autorité parentale.

Que dit la CEDH ?

Principes généraux

Selon la jurisprudence constante de la Cour, pour qu’un problème se pose au regard de l’article 14, il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations comparables. Une telle distinction est discriminatoire si elle manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Par ailleurs, les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (Burden, 2008), y compris des distinctions de traitement juridique (Marckx, 1979).

Pour la Cour, les différences fondées sur l’orientation sexuelle doivent être justifiées par des raisons particulièrement graves (Schalk et Kopf, 2010).

Application de ces principes mariage gay,adoption,cedh

Dans l’affaire E.B. c. France, qui concernait une demande d’agrément en vue d’adopter présentée par une personne célibataire homosexuelle, la Cour a rappelé que le droit français autorise l’adoption d’un enfant par un célibataire, ce qui ouvrait la voie à l’adoption par une personne célibataire homosexuelle.

Dans la présente affaire, les juridictions nationales ont estimé que puisque l’adoption simple réalise un transfert des droits d’autorité parentale à l’adoptante, elle n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant dès lors que la mère biologique entend continuer à élever cet enfant. N’étant pas mariées, Valérie et Nathalie ne peuvent bénéficier de l’exception prévue par l’article 365.

La Convention n’impose pas aux gouvernements des Etats parties l’obligation d’ouvrir le mariage à un couple homosexuel (Schalk et Kopf). Lorsque les Etats décident d’offrir aux couples homosexuels un autre mode de reconnaissance juridique, ils bénéficient d’une certaine marge d’appréciation pour décider de la nature exacte du statut conféré.

L’exercice du droit de se marier, protégé par l’article 12 de la Convention et emporte des conséquences sociales, personnelles et juridiques. Par conséquent, on ne saurait considérer, en matière d’adoption par le second parent, que les requérantes se trouvent dans une situation juridique comparable à celle des couples mariés.

Ensuite, les couples hétérosexuels non mariés peuvent avoir conclu un PACS, comme les requérantes, ou vivre en concubinage, et ces couples se voient opposer les mêmes effets, à savoir le refus de l’adoption simple. Conclusion : il n’existe pas de différence de traitement fondée sur l’orientation sexuelle des requérantes.

Bof…

La CEDH disposait d’une vraie marge de manoeuvre, mais elle n’a pas voulu en jouer. Conclure sur la comparaison avec le couple non marié hétéro qui ne peut adopter, n’a rien de convaincant dès lors que ce couple peut se marier pour adopter. C’est dire que les situations ne sont pas comparables.

C’était toute la question et la CEDH n’a pas voulu se prononcer. Dont acte. Elle estime que c’est une question purement nationale, et que le Parlement doit se prononcer. Alors on verra bien si les parlementaires en restent à sauvegarder leur petit pouvoir : être juge du sentiment amoureux.

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