Actions sur le document

Les vérités de Marcel, 93 ans, qui a tué Nicole, 82 ans

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 27/03/2014

Le président a d'abord voulu s'assurer que le Sonotone de Marcel Guillot était bien réglé et qu'il avait des piles de rechange dans la trousse de toilette en plastique bleu qu’il tient à la main. « Vous m’entendez ? - Je vous … Continuer la lecture

Lire l'article...

AFP/BENOIT PEYRUCQ

AFP/BENOIT PEYRUCQ

Le président a d'abord voulu s'assurer que le Sonotone de Marcel Guillot était bien réglé et qu'il avait des piles de rechange dans la trousse de toilette en plastique bleu qu’il tient à la main. « Vous m’entendez ?

- Je vous entends causer mais je comprends rien à ce que vous dites », a répondu Marcel.

Encadré par deux gardes bonhommes qui semblaient surtout veiller à ce qu'il ne chancelle pas, il s'est avancé à petits pas jusqu'au pupitre de la cour et a penché son visage vers celui du président.

« Ça va mieux comme ça?

- Oui, oui », a répondu Marcel.

Devant la cour d'assises de la Marne, à Reims, le plus vieil accusé de France, âgé de 93 ans, comparaît pour le meurtre de Nicole El Dib, une amie de dix ans sa cadette, dont le corps roué de coups a été retrouvé, un matin de décembre 2011, immergé dans le ruisseau qui traverse sa villa, près du village de Saint-Gilles (Marne).

Avant cela, la longue vie de Marcel Guillot tient dans un petit paquet de mots. L'école jusqu'à onze ans, l'entrée en apprentissage d'ouvrier peintre à douze, une parenthèse de guerre pendant laquelle il se cache dans le Jura pour échapper au service du travail obligatoire, une vie d'employé vitrier à la SNCF puis d'homme à tout faire dans une clinique d'Aubervilliers, 57 ans de mariage avec Colette – « Mon épouse, c'était la tête, moi, j'étais les jambes » – deux fils, un pavillon et un bout de jardin à Bobigny, 50 ans de fidélité à un camping de l'île d'Oléron où il posait sa caravane chaque été, entrecoupés de voyages autour du monde de sa retraite à son veuvage en 2004.

C’est comme ça qu’un jour, alors que le couple embarquait pour l’Australie, Colette avait reconnu Nicole El Dib, une amie d’enfance, parmi les passagers. Les deux femmes avaient renoué, les maris avaient suivi, le couple El Dib recevait dans sa belle propriété, les Guillot rendaient l’invitation au pavillon jusqu’à ce que le cancer emporte Colette et que la maladie de Parkinson ronge l’époux de Nicole. A l’automne 2011, alors que son mari est hospitalisé et qu’elle redoute la solitude dans sa villa isolée, Nicole El Dib sollicite Marcel Guillot pour qu’il vienne séjourner trois semaines chez elle en attendant l’embauche d’un nouveau couple de gardiens.

Il accepte d’autant plus volontiers qu’il ressent depuis longtemps « un petit béguin » pour elle. Les journées à Saint-Gilles s’écoulent tranquillement  – « Je lui beurrais ses tartines, j’étendais son linge, je nourrissais les poules et les lapins, et l’après-midi, on jouait au Scrabble », raconte t-il – mais le séjour se termine mal. Marcel se sent brutalement « éconduit », renvoyé « comme un ballot » par son hôtesse. Rentré dans son pavillon de Bobigny, il rumine sa rancœur.

Dans la nuit du 6 au 7 décembre 2011, Marcel Guillot parcourt au volant de sa voiture les 200 kilomètres qui le séparent de Saint-Gilles, se gare près de la villa, prend une lampe torche, un tournevis et un manche en bois, ouvre le volet de la terrasse, démonte un carreau, monte à l’étage dans la chambre où dort Nicole. La suite est racontée par le médecin légiste. Le corps de la vieille dame porte les traces d’une vingtaine de coups d’une « grande violence », elle a la mâchoire, le nez et l’avant-bras fracturés et des traces de strangulation sont visibles sur son cou. Des projections de sang sont retrouvées sur les murs de la chambre et sur le palier. Des taches jonchent les escaliers, la terrasse et le jardin jusqu’au ruisseau où le corps a roulé.

Il est environ trois heures du matin quand Marcel Guillot remonte dans sa voiture et rentre à Bobigny. Cinq mois plus tard, alors qu’il vient d’installer sa caravane au camping d’Oléron où il a réservé sa place pour trois mois, il est interpellé par les gendarmes. Son ADN a été identifié, une montre lui appartenant a été retrouvée dans la villa. Devant les enquêteurs, il finit par admettre qu’il a voulu « foutre une toise », « mettre une rompée » à celle qui l’avait humilié.

Deux années de prison ont passé. Marcel Guillot a beaucoup maigri et changé d’avocat. Devant la cour, il écoute en dodelinant de la tête les dépositions des experts. Il se lève, vient à nouveau se poster face au président.

- Je vais vous dire la vérité parce qu’ils y connaissent rien. 

La famille de Nicole El Dib – sa fille, son gendre et ses trois petits-fils se tendent.

- Quand je suis rentré, elle s’est levée, elle s’est pris les pieds dans la descente du lit, elle est tombée sur l’armoire, je l’ai tirée, c’est tout. »

Le président se tourne vers le légiste. « Ces déclarations sont totalement incompatibles avec les constatations », dit-il. Marcel poursuit : « Je voulais l’enterrer avec ma femme à Bobigny, dans le jardin. Alors je l’ai portée pour la mettre dans la voiture. Je m’y suis repris j’sais pas combien de fois – il mime le geste en pliant les jambes. Mais un corps mort, c’est lourd, hein ! Pourtant, j’suis costaud ».

Il dit encore : « C’est sa faute. – La faute à qui ? demande le président- Ben, à Nicole », répond-il.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...