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Une République prépubère ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 4/08/2015

Je ne pensais pas qu'un jour je serais contraint de contredire Jacques Brel pour lequel "il faut bien du talent pour être vieux sans être adulte". La légèreté est coupable qui détourne, par confort, par paresse, par impuissance, des superbes et austères grâces et puissances adultes.

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Le titre est provocateur mais en même temps j'éprouve de plus en plus l'impression que notre République, en certaines de ses manifestations, n'a pas encore atteint l'âge adulte et que c'est le drame de la France.

Il y a un climat général, politique, médiatique, et des attitudes qui laissent en effet penser qu'il y a de l'enfance attardée dans notre démocratie. Je ne méconnais pas cependant le caractère artificiel de quelques rapprochements mais ils me semblent tout de même révélateurs d'une tonalité dominante.

On entend souvent des humoristes se plaindre, parfois drôlement, du fait que des politiques empiétant de plus en plus sur leur domaine, ils allaient, eux, être obligés de faire de la politique. Derrière la boutade, il y a l'intuition que la dérision et la futilité sont devenues si également réparties qu'en réalité, on ne peut plus départager les activités et que toutes sont gangrenées par une démission de l'intelligence, théorisée en conquête du rire et en apothéose du sarcasme.

Par exemple, ce Petit Journal qu'on vante tant et qui, paraît-il, sera même amplifié - Vincent Bolloré s'est arrêté à mi-chemin ! - offre cette particularité d'être insupportable à cause du ton autosatisfait de son présentateur et de dénoncer des ridicules dans lesquelles il tombe lui-même avec une mise en pièces facile et démagogique d'un monde politique résumé à des séquences caricaturales.

Et il me semble qu'il a fait école, tant le culte de la superficialité et la chasse forcenée à la gravité ont dépassé les frontières qui auraient dû les enfermer.

Ainsi les réactions qui à droite ont accueilli, après la mort du maire de Dijon, le choix de François Rebsamen de prendre sa relève avec pour conséquence, à une date encore indéterminée, l'abandon du ministère du Travail si important en cette période où le chômage ne baisse pas et où le président de la République, pour amuser la galerie, prétend lier son sort à la réduction de ce fléau social (Le Figaro).

J'admets certes que l'opposition a ses contraintes et qu'elle ne peut se permettre d'user de répliques tellement châtiées qu'elles effaceraient la contradiction mais on avait le droit d'attendre autre chose que ces railleries, ces plaisanteries, ces puérilités comme s'il ne s'agissait que "d'un casse-tête" pour le pouvoir et non d'une tragédie nationale à partager, à gauche et à droite, par tous. J'ai été effaré par la médiocrité rigolarde de cette riposte et par sa nature, pourtant, tristement partisane et politicienne.

De grands enfants qui s'ébattent et pour lesquels la politique offre le prétexte à des débordements qui fuient les comportements adultes comme la peste.

Venons-en pour finir au président de la République lui-même dont ce n'est pas la première fois que je remarque l'appétence pour la pédagogie souriante et basique. Il adore retomber en adolescence et, pour le responsable qu'il est, c'est véritablement du prépubère !

Avec quel charme, quelle simplicité et quelle justesse il a su répondre aux questions d'un groupe d'adolescents à Pourcharesses en Lozère (Le Point) ! On pourrait être fier d'avoir un chef de l'Etat aussi disponible et aimable mais pour ma part de telles dispositions me font peur plutôt car, chez lui, elles semblent se substituer à la gravité du pouvoir, à l'implacable obligation du sérieux et de la responsabilité. Ces détentes qu'il affectionne représentent des récréations où, se mettant si aisément au niveau de ses interlocuteurs, il montre de quoi il est capable dans l'enjouement et la gaîté en deçà de la juvénilité.

Ce n'est pas un "capitaine de pédalo" mais une forme de scoutisme à la mode politique : donc à peu près rien par rapport au destin de la France.

Je ne pensais pas qu'un jour je serais contraint de contredire Jacques Brel pour lequel "il faut bien du talent pour être vieux sans être adulte".

La légèreté est coupable qui détourne, par confort, par paresse, par impuissance, des superbes et austères grâces adultes.


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