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Freud nous donne la parole

Justice au singulier - philippe.bilger, 11/11/2012

Parler, selon Scott Fitzgerald qui évoquait, lui, l'écriture, c'est tout dire dans chaque paragraphe avant de mourir.

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On a besoin de génies qui viennent nous murmurer qu'on a raison.

La publication aujourd'hui des "Lettres de Freud à ses enfants", "volumineux recueil d'inédits", fait comprendre quel père il était. Loin d'être distant, compassé, froid, l'inventeur de la psychanalyse a su nouer un lien constant de compréhension, d'écoute et d'affection vraie avec ses six enfants.

Ce qui me touche le plus, c'est, dans la belle étude qu'en fait Clotilde Leguil (Marianne), ce constat qui fait somptueusement écho à ce qui a été et demeure, dans ma vie intellectuelle et professionnelle, l'obsession principale. Cette journaliste résume, en effet, la substance de cette correspondance paternelle de la manière suivante :"Ce qui émerge, c'est le désir de transmettre à ses enfants ce qui fut sa passion la plus constante, celle de la parole".

La parole et non pas l'éloquence. Non pas ce moyen souvent élégant, parfois superficiel de dissimuler sa pensée, cette cerise brillante sur un gâteau imparfait, ce vernis destiné à occulter plus qu'à révéler, à détourner de l'essentiel, du fond pour ne se laisser séduire que par la forme, l'agencement sonore de mots harmonieusement utilisés.

Non pas l'éloquence, donc, le langage exploité comme façade, vitrine, poudre aux yeux et à l'esprit, mais la parole. Cet outil humain fondamental qui permet une communication forte, intense aussi bien avec autrui qu'avec soi, dans ce dialogue silencieux mais constant que l'intelligence doit entretenir avec elle-même, fût-ce pour se contredire et donc mieux s'éclairer et éclairer.

La parole qui s'échappe de tous les pièges conventionnels de l'amabilité, du compromis, du mensonge noble et de la fadeur. Jean Anouilh avait créé ce néologisme : complimentir.

La parole qui vient des tréfonds, nue, libre et tellement concentrée sur son acharnement à persuader, transmettre, partager, exister qu'elle en oublie heureusement de s'écouter, de se mirer et de se croire sublime.

La parole qui ne se préoccupe que d'elle-même, dans la relation puissante, spontanée et convaincante parce que convaincue d'une expression confrontée aux multiples insignifiances du langage ordinaire, des banalités pour passer le temps et se distraire de l'angoisse de mourir.

La parole comme coulée de vie, comme flux d'existence.

La parole qui a autant besoin de vérité que nous avons besoin d'air.

La parole contre tous les pièges tendus par les silences lâches et les politesses tièdes. Par les piètres justifications dont l'effacement dangereux se pare.

Rien de plus absurde, alors, que ces formations, ces coachings, ces pédagogues de la respiration, ces doctes du souffle, ces esthètes du corps, ces rebouteux, ces psychologues, ces théoriciens, ces organismes et ces parasites. Tous ces gens qui ne cessent de brasser des concepts sur la parole parce qu'ils ne l'ont pas véritablement pratiquée. Ces faiseurs, ces comédiens, ces trucs, ces fausses recettes, ces artifices et cette indécence de laisser croire que la tâche est indépassable alors qu'elle n'impose que d'être soi. Et qu'on doit payer chèrement ce qu'on aurait pu, dû s'enseigner à soi-même!

J'aime la parole que Freud nous inspire, nous donne. Surgie de l'obscur ou pleine de lumière. Nourrie d'ombres et de clartés. Qui sauve.

Parler, selon Scott Fitzgerald qui évoquait, lui, l'écriture, c'est tout dire dans chaque paragraphe avant de mourir.


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