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Ibrahim de Grigny

Justice au singulier - philippe.bilger, 1/03/2012

Cet épisode de Grigny, sans doute guère exceptionnel pour l'agression, devrait faire réfléchir les professionnels de la mansuétude et les partisans de l'exclusive responsabilité sociale. A force de noyer le singulier dans le pluriel et la liberté dans le déterminisme, que va-t-on faire d'Ibrahim et de tous ceux qui ici ou là suivent ou suivront son chemin honorable ?

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Au sombre et à l'excité de la campagne présidentielle, j'ai envie d'opposer Ibrahim de Grigny.

Ce n'est pas une histoire à l'eau de rose, elle se déroule au Méridien, un quartier de la cité de la Grande-Borne à Grigny, et concerne Ibrahim, un gardien d'immeuble. On ne peut pas dire qu'elle soit enthousiasmante mais pourtant, dans la grisaille de ces jours que la politique envahit, elle représente un contrepoint à celle-ci, mettant en exergue courage et espoir. Quelque chose de modeste mais qui dans le pessimisme ambiant apporte tout de même de quoi croire en demain. Les épopées ne sont pas toutes grandioses, il y a des événements qui se haussent à cette dimension parce qu'ils accueillent dans leur creuset une humanité qui se révolte, résiste et rompt la lâcheté ordinaire. Les héros sont nos voisins.

Ibrahim qui avait fermé sa loge pour aller récupérer un escabeau chez un collègue a été agressé à coups de barre de fer par une bande de jeunes gens de dix-huit à vingt-deux ans. Ils lui reprochaient d'avoir été "une balance". Avec vingt-sept points de suture, il a subi une incapacité de travail de quinze jours (Le Parisien).

Ibrahim, contre tous les usages implicites et cette convention de la peur et du mutisme régnant dans les cités, a décidé d'aller déposer plainte contre ses assaillants, qui avaient frappé à visage découvert.

Ce n'était pas rien que cette démarche puisqu'elle a été remarquée et célébrée à juste titre comme un sursaut, presque une anomalie. L'employeur d'Ibrahim depuis cinq ans, l'Opievoy, a fermé les loges durant deux jours et suspendu le chantier de rénovation. J'espère qu'il ne s'est pas arrêté là et a fait en sorte, d'une manière ou d'une autre, de rendre hommage à Ibrahim, ce gardien rare.

L'important n'est pas que l'entreprise de rénovation ait probablement dérangé le trafic de stupéfiants qui paisiblement gangrenait la cité. Mais qu'Ibrahim, violemment meurtri, ait pris sur lui de ne pas se réfugier dans le silence.

Cet épisode de Grigny, sans doute guère exceptionnel pour l'agression, devrait faire réfléchir les professionnels de la mansuétude et les partisans de l'exclusive responsabilité sociale. A force de noyer le singulier dans le pluriel et la liberté dans le déterminisme, que va-t-on faire d'Ibrahim et de tous ceux qui ici ou là suivent ou suivront son chemin honorable ?

Je veux lui laisser le dernier mot.

"Moi, je ne balance personne.Je fais mon travail. Je suis là pour mes locataires.J'aide les gens en détresse. J'aime mon boulot, j'aime ma ville. Je n'ai jamais manqué de respect à personne !"

 


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