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Jean-Pierre Raffarin, ce n'est pas trop tôt !

Justice au singulier - philippe.bilger, 20/02/2013

Terminons cependant par reconnaître à Jean-Pierre Raffarin le mérite infini d'avoir vivement ouvert la boîte, enclenché le processus et énoncé cette évidence que Nicolas Sarkozy appartient au passé. Ce peut être beau - ou risqué - le passé d'un ancien président en France.

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Enfin, la brèche est ouverte.

D'autant plus largement que depuis des mois des pudeurs incompréhensibles entravaient l'expression de la vérité sur le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Il fallait célébrer le vaincu, s'abstenir de tout inventaire et continuer à occulter les causes de la nouvelle défaite de la droite dont le responsable prétendait demeurer dans une impunité, une immunité totales.

Il avait tout de même, en cinq ans, réussi le tour de force d'éloigner de lui, de son type de présidence et de sa personnalité ses partisans de l'origine, et de confirmer l'antagonisme de ses adversaires. La droite avait perdu de telle manière que la gauche allait nécessairement gagner. Et c'est François Hollande qui a pris la relève.

Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre et sénateur UMP de la Vienne, est venu rompre le cercle enchanté des adorateurs rétrospectifs.

Sans fioriture pour une fois, ni complaisance. Il n'a pas tourné autour du problème pour l'éluder mais a rappelé brutalement à ceux qui avaient feint de l'oublier que le roi était nu, que Nicolas Sarkozy avait été mauvais et, implicitement, que François Hollande n'était pas nul, comme, paraît-il, se plaît à le répéter le matamore présidentiel d'hier.

Il serait inéquitable, en dépit de cette adresse vigoureuse et lucide, de passer sous silence les préludes. Ceux de l'indécente Roselyne Bachelot, du trop intelligent et donc modéré Bruno Le Maire, du feutré et subtil François Fillon, de l'ironique et distante NKM, de la démonétisée Rama Yade, du solide et parfois surprenant Bernard Accoyer et de Xavier Bertrand, le premier à s'être campé comme candidat à la primaire UMP, quels que soient ses rivaux lors de cette future joute.

Je mets à part Patrick Devedjian qui n'avait pas attendu l'élection de François Hollande pour dire du mal de Nicolas Sarkozy. Un courageux quelque part, c'est rare et il convient de lui rendre hommage.

Pendant ce temps, l'Association des Amis de Sarkozy peut se congratuler, nous annoncer, avec force soutien médiatique, que la France haletante attend son retour en 2017. De grâce, qu'ils continuent à s'amuser - ils en ont le droit - mais qu'ils ne cherchent pas à nous persuader qu'Estrosi parlant avec Hortefeux et Nadine Morano constitue le début d'une reconquête et que lors de la prochaine élection présidentielle la droite ayant appris et rien oublié applaudira le possible remake de Sarko II !

Jean-Pierre Raffarin a pointé, pour expliquer la défaite de l'ancien président, cinq causes essentielles. Il les a exprimées dans la revue "L'Etat de l'opinion", que TNS Sofrès publie chaque année en collaboration avec Le Seuil. Françoise Fressoz, sur son blog, les a résumées avec sa clarté coutumière (Le monde.fr).

La première souligne que les comités de campagne ressemblaient, en 2012, à un "salon convivial où le chef exposait sa stratégie et commentait ses performances".

La deuxième tient au fait que Nicolas Sarkozy "a fait cadeau du Sénat à la gauche" à cause d'investitures sénatoriales "absurdes", d'une réforme territoriale mal présentée par le Gouvernement, d'une réforme de la taxe territoriale "improvisée" et, plus généralement, d'une désinvolture choquante à l'égard de la Haute Assemblée.

La troisième se rapporte à la désaffection du Centre à cause de la stratégie de droitisation dangereuse à partir du mois de juillet 2010 avec le discours de Grenoble, puis exacerbée et honteuse entre les deux tours.

La quatrième analyse l'attitude inadaptée de Nicolas Sarkozy lors du débat télévisé. Pas assez de sérieux, guère de posture présidentielle, trop de dédain à l'encontre du contradicteur, un comportement de challenger au lieu de la sûreté du chef de l'Etat.

La dernière énonce que l'ancien président aurait dû changer de Premier ministre en automne 2010. Même si Jean-Pierre Raffarin ne peut s'empêcher avec constance de s'en prendre à François Fillon, le comble est qu'il a raison. Pour Nicolas Sarkozy et pour son Premier ministre des cinq ans. Si celui-ci n'avait pas tout fait pour interdire à Jean-Louis Borloo de prendre sa place, il est sûr qu'il aurait d'emblée été le recours et que son destin en aurait été grandement amélioré face à Jean-François Copé au sein de l'UMP.

Selon Raffarin, si une seule de ces conditions avait été remplie, le succès aurait été possible. Je ne sais mais ce qui est certain se rapporte à la paradoxale indulgence du sénateur pour le fond même du quinquennat. Il ne met en cause que les modalités de la campagne présidentielle, guère la présidence elle-même et son contenu, ce qui représente pourtant l'essentiel de ce qu'aurait dû s'assigner une critique argumentée.

Pourquoi si tard, surtout ? Pourquoi tant de silence et de faiblesse pour une lucidité devenue inutile à force d'avoir été retenue ? J'entends déjà la réplique usuelle sur la nécessaire solidarité, l'obligatoire discrétion : il ne fallait pas désespérer l'Elysée ! Ainsi on aboutit à une situation où, durant l'exercice du pouvoir, on ne l'alerte pas sur ce qui va le mettre à bas mais on attend qu'il le soit pour lui faire la leçon sur ce qu'il aurait dû accomplir. Il est plus que probable que Nicolas Sarkozy sera plus irrité par cette démarche hypocrite, quoique fondée, que par la justesse acide du diagnostic.

Terminons cependant par reconnaître à Jean-Pierre Raffarin le mérite infini d'avoir vivement ouvert la boîte, enclenché le processus et énoncé cette évidence que Nicolas Sarkozy appartient au passé.

Ce peut être beau - ou risqué - le passé d'un ancien président en France.


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