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Le porcher, le juge et le bruit des cochons

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 11/09/2013

Dans la presse, on appelle cela des "insolites". Du menu fretin ramené dans les filets de l'actualité, sur lequel le regard s'arrête. On lit, on s'étonne, on sourit, et on passe à autre chose. "Quand le cochon rend sourd", disait … Continuer la lecture

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Dans la presse, on appelle cela des "insolites". Du menu fretin ramené dans les filets de l'actualité, sur lequel le regard s'arrête. On lit, on s'étonne, on sourit, et on passe à autre chose. "Quand le cochon rend sourd", disait le titre. L'histoire d'un homme, ouvrier porcher atteint de surdité, qui poursuivait son employeur devant le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) du Jura, à Lons-le-Saunier, pour "faute inexcusable".

On y va et on découvre une vie. Celle d'un homme qui a cumulé pendant des années les métiers de bûcheron, décolleteur, scieur, livreur de sérum en tracteur et employé de porcherie. En 2001, il devient porcher à plein temps. Chaque jour, il prend sa voiture, parcourt les 200 kilomètres qui séparent les quatre centres dont il a la charge. Trois heures trente de route quotidiennes, 300 cochons à Saint-Pierre en Grandvaux, 1 500 à Champagnole, 500 à Chaux-Neuve, 200 à Chapelle-des-Bois. De temps à autre, il donne un coup de main sur un cinquième site, pour les 1 200 bêtes de Grande-Rivière. Soit, selon le calcul de l'inspecteur du travail, quatorze heures de travail par jour, dont près de la moitié exposées au bruit infernal des cochons – préparation de la soupe, alimentation, tatouage, désinfection des cases, tri, chargement, déchargement – six jours sur sept auxquels il faut ajouter six à sept heures le dimanche. En cas de besoin supplémentaire, une alarme est reliée à la ligne téléphonique de son domicile. Ses outils de travail sont une brouette et une masse pour abattre les cochons. Pas de casque. Au bout d'un moment, il s'est de lui-même acheté un pistolet d'abattage – on appelle cela un matador – "car il ne supportait plus de les tuer à la masse", dit encore le rapport de l'inspection de travail.

Tombé gravement malade en 2008, il a été reconnu victime de pathologie professionnelle "en lien direct avec son activité de porcher" et a décidé de poursuivre l'entreprise qui l'employait. Il a acquitté un peu moins de 200 euros de cotisation à la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH) du Jura pour être défendu devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. La juriste qui s'occupe de lui, Annick Ragueneau, est une petite femme brune et souriante, qui en a vu d'autres "mais là, c'est quand même  vraiment trop", dit-elle. Mercredi 11 septembre, le tribunal lui a donné raison.

Dans la petite salle d'audience du tribunal aux affaires de sécurité sociale de Lons-le-Saunier, le président en robe, entouré de ses deux assesseurs en civil – un représentant des salariés, un autre des employeurs – a lu avec gravité le jugement qui condamne la société Pelizzari pour "faute inexcusable". "Les limites d'exposition au bruit ont été largement dépassées", dit le juge qui dénonce la "carence totale de l'entreprise", énumère ses manquements et reprend en les détachant les mots du rapport de l'inspection du travail. "Ses conditions de travail étaient incompatibles avec la dignité humaine."

L'ancien ouvrier porcher n'était pas là pour entendre le jugement, il est trop gravement malade. Il a 59 ans. Il s'appelle Serge, Serge Personeni.

 

 


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