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Quels droits pour l’image des biens ?

Paralipomènes - Michèle Battisti, 12/03/2013

« L’un des plus gros casses têtes juridiques actuels » (bepub) A vous de juger … La question posée « Dans les banques d’images, nous devons associer aux images de biens (meubles et immeubles) une « property release », autorisation du propriétaire pour utiliser et exploiter l’image de son bien. Ce

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http://fr.fotopedia.com/items/flickr-49089662« L’un des plus gros casses têtes juridiques actuels » (bepub)
A vous de juger …

La question posée « Dans les banques d’images, nous devons associer aux images de biens (meubles et immeubles) une « property release », autorisation du propriétaire pour utiliser et exploiter l’image de son bien. Ce document, réclamé par toutes les banques d’images dans le monde (Getty, Corbis et toutes les autres…), est une condition sine qua non. En France un propriétaire ne peut s’opposer à l’exploitation de l’image de son bien que s’il prouve un préjudice lié à la diffusion de cette image. Quelle est alors l’utilité de ce document au regard de la loi française ?  Serions-nous tout de même soumis  à la « loi Getty » ? »

Mise en garde. La réponse à cette question anonymisée ne vise qu’à rappeler quelques principes, mais n’est pas en mesure de se substituer à un conseil juridique.

Property release et autres remarques préliminaires

Ces « property release »[1] ou autorisations des propriétaires sont des documents revendiqués surtout pour couvrir une exploitation commerciale (publicité, brochures, …) (dans les faits, tout autre usage aussi) pour se prémunir de toute revendication ultérieure du propriétaire, comme l’indique cet exemple.

Autres remarques appelées par la question :

  • si le contrat impose des conditions, on ne peut pas y déroger, sauf négociation particulière ;
  • un contrat peut-il être plus restrictif que la loi ?
  • quelle est la loi  applicable lorsque le co-contractant n’est pas français ?
  • c’est la jurisprudence qui définit aujourd’hui des limites aux droits du propriétaire et la loi sera interprétée par chaque juge (arguments à l’appui) … si ce n’est que la jurisprudence peut y  jouer un rôle.
Quel droit  sur l’image de ses biens ?

La seule limite au droit du propriétaire semble être aujourd’hui l’absence de trouble anormal consécutif à la diffusion de l’image du bien.

Un droit à l’image, droit de la  personnalité, appliquée aussi aux biens, et une jurisprudence qui s’est appuyée tout d’abord sur  l’article 9 du Code civil qui veut que « chacun à droit au respect de sa vie privée ». Puis aussi sur l’article  544 du Code civil pour qui « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

En matière de jurisprudence, les arrêts marquants  de la Cour de cassation :

Qu’est-ce qu’un « trouble  anormal », peut-on se demander ?  Pour ceci, s’inspirer  peut-être des troubles anormaux du voisinage ?  (Wikipédia)

Une exception au droit d’auteur ?

Une faculté est accordée à la presse, depuis la loi Dadvsi de 2006,  « pour reproduire une œuvre d’art graphique, plastique ou architecturale par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne » … ce qui demande à définir la notion de « presse », mais uniquement “dans un but exclusif d’information immédiate et en relation directe avec cette dernière » (art L 122-5 9°). Il en revanche interdit d’utiliser des « œuvres photographiques ou d’illustration qui visent elles même à rendre compte de l’information », ce qui, me semble-t-il, exclut la réutilisation de documents archivés  et ne concerne pas le cas envisagé, l’archivage dans une photothèque.

Encore faut-il que l’usage soit raisonnable lorsqu’on se trouve dans le cadre de l’exception ! Comment interpréter autrement, en effet, cette  rémunération[2] requise pour « toute reproduction ou représentation qui, notamment au regard de leur nombre ou de leur format, ne seraient pas en stricte proportion avec le but d’information immédiate poursuivi ou qui ne seraient pas en relation direct avec cette dernière » ?

Une exception jurisprudentielle

La théorie de l’accessoire permet de reproduire des œuvres placées dans un lieu public, même protégées par le droit d’auteur parce que représentées de manière accessoire dans une œuvre ayant un sujet principal différent ou parce que fondues dans un ensemble.

Plusieurs décisions ont été prises à partir de cette théorie et ce, depuis bien longtemps. Parmi celles-ci, on rappellera celle du  15 mars 2005, l’une des plus fréquemment évoquées, où la Cour de cassation affirmait que les œuvres de Daniel Buren et Christian Drevet représentées sur des cartes postales représentant la place des Terreaux à Lyon « se fondent dans un « ensemble architectural dont elles constituaient un simple élément ».

Le critère de l’accessoire étant utilisé depuis plus d’un siècle par la jurisprudence, certains n’ont pas hésité à proposer une exception pour éviter « une privatisation rampante  du  domaine public », dès lors que l’œuvre est situé sur le domaine public.

Une liberté de panorama dans la loi ?

Et reproduire les œuvres, même protégées par le droit d’auteur, car situées sur l’espace public ? NON … du moins,  pas aujourd’hui

Un droit d’auteur s’exerce toujours même pour des œuvres situées sur la voie publique (bâtiments, sculptures, street art, graffitis …), et même (voir ci-après) pour les celles qui  ne sont plus protégés par le droit d’auteur !

Mais un droit de panorama existe dans d’autres pays (Allemagne, notamment) et des propositions on été faites pour insérer ce droit dans la loi  française.

  • Un amendement déposé pour introduire dans le projet de loi DADVSI « les reproductions d’œuvres situées de façon permanente dans les rues ou sur les places publiques ou visibles du domaine public non destinées à être utilisées pour des fins identiques à celles pour lesquelles l’œuvre originale a été créée »
  • En 2011, un amendement déposé dans le cadre du projet de loi sur la copie privée. Il aurait autorisé  « la reproduction par la peinture, le dessin, la photographie ou le cinéma des œuvres de toute nature situées de manière permanente dans l’espace public, y compris à l’intérieur des bâtiments ouverts au public, ainsi que la distribution et la communication publique de telles copies. ».

Une liberté de panorama élargie à l’intérieur des bâtiments ouverts au public, comme c’est le cas au Royaume-Uni ? (voir Wikimédia[3]). Dans ce cas, on ne pourrait plus s’appuyer sur le droit d’auteur pour vous empêcher de prendre des photos dans les musées,  …. Toutefois cette liberté ne s’appliquerait qu’aux œuvres exposées de manière permanente dans un lieu public, ce qui exclut les expositions temporaires.  Cette remarque, soulève d’autres questions soulevées par Jastrow : « quel statut pour les œuvres éphémères, comme les sculptures de glace ou de sable, exposées pendant toute leur durée de vie, parfois très courte » ? Peut-on les réutiliser dans des jeux vidéos ?  Ou tout simplement pour les remixer ?  Y a-t-il une dichotomie à établir ? Si oui, entre usages loyaux et déloyaux ? Entre usages commerciaux et non commerciaux ? Des questions loin d’être simples …

La vie privée, l’honneur et la réputation

Il convient toujours de veiller au respect à la vie privée, ce  qui  se traduit par « une protection indirecte » des propriétés. La publication de l’image d’un bien ne doit pas révéler des faits ayant le caractère d’intimité de la vie privé en identifiant le propriétaire, en  dévoilant sa personnalité, l’état de son  patrimoine,   …

Le propriétaire pourra également invoquer une atteinte à son honneur ou sa  réputation, élément qui protège également les auteurs, même lorsque les droits patrimoniaux ont été cédés et ce, au titre des droits moraux dont ils bénéficient de manière perpétuelle. Attention donc aux légendes qui accompagnent les images ainsi qu’au cadre et au contexte dans lesquels elles sont utilisées !

Quel droit applicable ?

Un terrible casse-tête avec l’internet, comme l’illustre Wikimédia, exemple retenu aujourd’hui. Ainsi, par exemple, dans certains pays, qui ont adopté la liberté de panorama, on peut reproduire l’image de statues situées sur l’espace public et les diffuser au public. Puisqu’en Allemagne, les statues situées sur l’espace public peuvent être reproduites et communiquées au public, mais non en France, doit-on supprimer sur Wikimédia les sculptures de Niki de Saint-Phalle présentes sur l’espace public français et garder celles qui se trouvent en Allemagne ? Doit-on filtrer le site en fonction du code IP national ?

Aux États-Unis, la liberté de panorama ne s’applique qu’aux bâtiments et non aux statues.  Une notification [4] été donc envoyée à Wikimédia Commons  signalant que la fondation hébergeait les reproductions d’œuvres de deux sculpteurs encore protégées par le droit d’auteur situées sur la voie publique dans différents pays. Wikimédia foundation, société américaine qui répond aux obligations de la loi américaine a supprimé les œuvres qui lui avaient été notifiées. Que faire ensuite ? Supprimer de toutes les œuvres hébergées  sur le site au titre de la liberté de panorama ?  Attendre une notification expresse pour chaque œuvre ?  Filtrer les œuvres par pays ? Ajouter à chaque photo « litigieuse » un avertissement {{Not-free-US-FOP}}  signalant les risques d’une réutilisation ?

Combien de temps les divergences de régime tiendront-elles sur Internet ? Ne devait-on pas militer pour une harmonisation raisonnable, notamment au regard  de la durée des droits d‘auteur (50 ans imposés par la Convention de Berne, et non 70), autre casse-tête présenté sur les réseaux, illustré par Wikisource, et de la diffusion de la reproduction des œuvres situées sur l’espace public ?

Domaine public au regard du domaine public 

Ou lorsque le droit d’auteur qui autorise la libre réutilisation des œuvres dont les droits patrimoniaux sont échus se heurte au Code général de la propriété des personnes publiques.

Un musée peut-il ainsi contrôler les usages commerciaux ou les usages non commerciaux mais collectifs des œuvres tombées dans le domaine public qui lui appartiennent ?  Pas de droits d’auteur, bien sûr, bien qu’on puisse les trouver abusivement [5] lorsque les droits ne s’appliquent pas aux droits des photographes de l’œuvre photographiée. Encore faut-il dans ce dernier cas que les clichés soient originaux !

On se trouve souvent face à des règlements intérieurs qui se traduisent par des interdictions[6] de toute prise de vues ou par des  redevances à payer pour l’occupation du domaine public ou pour service rendu pour exploiter l’image des jardins publics, des musées et bâtiments ouverts au public.

Dans l’actualité récente, des musées ont été condamnés pour avoir interdit l’accès à une entreprise commerciale. Cela a été le cas le 6 mars 2012, à propos du  Château de Chambord qui avait facturé une entreprise commerciale l’occupation du domaine public, lorsque le tribunal administratif d’Orléans soulignait que  » l’image de la chose ne saurait être assimilée à la chose elle-même, ni aux droits attachés à la propriété de cette chose ». Mais d’autres non, comme l’indique cet étonnant arrêt du Conseil d’État du 29 octobre 2012, largement commenté et critiqué, affirmant que « la liberté du commerce et de l’industrie ne permet pas de s’opposer à l’interdiction d’accès aux salles d’un musée à des photographes professionnels ». Une question très controversée, à suivre …

A retenir, pour l’instant, l’extraordinaire casse-tête pour savoir à qui demander les droits de photographier [7] sur les lieux publics [8] et les abus, souvent constatés pour les droits requis [9], comme le soulignait notamment  un colloque tenu en 2005[10].

En cas de doute … des contrats

Contrats de droit d’auteur pour les œuvres encore protégées par le droit d’auteur figurant sur les photographies et, en l’absence de liberté de panorama, même pour les bâtiments et les sculptures figurant sur la voie publique, mais aussi pour obtenir les droits d’exploitation des photographes, voire « une property release » du propriétaire, en imaginant qu’il puisse y avoir préjudice suite à la diffusion de l’image de la propriété [11].  Se méfier, bien sûr, des accords tacites.

Ill. Green Back Turtle, West Coast Barbados, Tarik B., Flickr,  CC by-nc

Sources consultées

Fiches pratiques

Articles

ADBS. Le propriétaire et l’image de ses biens, Actualités du droit de l’information, n°77, février 2007 http://www.adbs.fr/n-77-fevrier-2007-6608.htm (momentanément indisponible

Des sites spécialisés, parmi bien d’autres

Un ouvrage

Notes


[2] Rémunération calculée sur la base des accords ou tarifs en vigueur dans les secteurs professionnels concernés.

[3] Freedom of panorama (Wikimédia Commons)

[4] La procédure de notification en France. Droit de l’informatique, 26/02/10

[6] Un règlement à respecter. « Bernard Buffet a été condamné par la Cour d’Appel de Paris pour avoir vendu un tableau représentant un château, car a « méconnu les conditions auxquelles était subordonnée le droit de pénétrer dans la propriété privée », qui figuraient « sur le billet d’entrée et auxquelles il avait implicitement mais nécessairement adhéré ». Le droit des propriétaires sur la diffusion de leurs biens In : Le droit de diffusion des images ethnographiques. Alienor.

[7] L’iconographie. Enjeux et mutations, Valérie Perrin, Danielle Burnichon, Editions du Cercle de la librairie, 2007, p. 51

[8] Lieux publics : lieux « accessibles sans autorisation préalable de quiconque, que l’accès en soit permanent ou inconditionnel ou subordonné à certaines condition, heures ou causes déterminées » (TGI Paris 23/10/86, CA Paris 19/11/86) Sont des lieux publics les églises, les musées, les stades de sport, les cimetières ou les commerces — peu importe que le propriétaire soit public ou privé.

[9] Même si le montant des redevances varie selon qu’il s’agit de prises de vues « à des fins publicitaires ou commerciales » ou à des fins « culturel, pédagogique ou artistique ».

[10] Un pixel, des picsous, Colloque  de l’Observatoire de l’image, 2005

[11] La  Cour de Cassation  confirmait le 28 juin 2012  la  sanction pour  l’utilisation de l’image du vignoble du Château de Mareuil. Mais il s’agissait ici d’un concurrent (Livres Hebdo).

 


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