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Celui qui fut un grand roi : Juan Carlos 1er

Justice au Singulier - philippe.bilger, 22/03/2020

Serait-il donc impossible de ne pas se soumettre, à un moment ou à un autre de sa vie, à la dénaturation de ce qu'on est, à l'exil vers des rivages troubles et nauséabonds ? Impossible d'apaiser péremptoirement cette inquiétude. Mais juste se souvenir de celui qui fut un grand roi : Juan Carlos 1er.

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Il y a des destins réels qui vous font penser à des destinées imaginaires, ou est-ce l'inverse ? Par exemple, "Splendeurs et misères des courtisanes" de Balzac est-il un chef-d'oeuvre qui suscite un écho avec la chute du roi Juan Carlos 1er ou le déplorable déclin de celui-ci renvoie-t-il à certaines passions littéraires ?

Peu importe à vrai dire puisque l'un des ressorts essentiels de tout roman réussi est souvent une histoire d'ascension, de gloire puis de décadence, voire de déchéance, de même que dans l'existence fascinent les séquences qui propulsent un homme ou une femme au sommet avant de les faire tomber dans l'obscurité ou le mépris.

Parce que l'humanité raffole de ces configurations contrastées qui lui permettent d'estimer, d'admirer, d'être éblouie, de se sentir incapable du même parcours mais sans jalouser, puis, la face sombre survenue, de déplorer, de compatir, de s'apitoyer, d'être stupéfiée, presque heureuse de cette banalité triste retrouvée. Ainsi l'esprit et le coeur peuvent être nourris par une multitude d'élans contradictoires mais dont ils ont besoin. Il est lassant, presque frustrant d'admirer sans relâche. Il serait débilitant d'être contraint à trop de miséricorde. Mais, au fond, quelle allégresse amère mais par certains côté délicieuse de voir certaines personnalités nous échapper par le haut puis revenir vers nous par le bas !

La destinée de Juan Carlos 1er illustre, mieux que toute autre, l'exemplarité puis la chute, l'or, l'encens puis la boue.

Topelement

Chef de l'Etat par intérim en 1974 et 1975, Franco étant malade et affaibli, il devient officiellement chef de l'Etat le 20 novembre 1975.

La manière dont il va, contre toute attente, avec habileté et sagesse, conduire son pays vers la démocratie, a été considérée à juste titre comme une merveille de stratégie et de tactique. Monarque constitutionnel, il va s'enraciner dans l'adhésion populaire et se faire respecter par tous les partis quand avec autorité et sans l'ombre d'une hésitation démocratique, il fera échouer une tentative de coup d'Etat militaire le 23 février 1981.

Le zénith puis une lente descente dans un enfer de moins en moins royal. Comme s'il avait été saisi par la double fatalité malfaisante des Bourbons selon Philippe Nourry : l'argent et les femmes.

En 2012, lors d'une chasse aux trophées d'éléphants au Botswana, il est victime d'une fracture de la hanche, ce qui fait connaître les modalités douteuses à tous points de vue de cette expédition.

Par la suite, nombreuses polémiques sur son train de vie, ses infidélités et des affaires de corruption.

Le 19 juin 2014, son fils Felipe va lui succéder comme roi d'Espagne sous le nom de Felipe VI et il va s'efforcer, avec constance, dignité et moult difficultés, de redorer le blason de la famille royale.

Son père est encore accusé d'avoir reçu 100 millions de dollars de l'Etat saoudien sur un compte caché en Suisse et d'en avoir reversé une partie à une ancienne maîtresse pour la faire taire.

Une fois le constat de cette gloire souillée opéré, de cette dégradation brutale de l'enthousiasme espagnol en déception unanime, il faut se demander pourquoi.

Pourquoi la trajectoire brillante dévie-t-elle ? Pourquoi la personnalité la plus irréprochable tourne-t-elle vers le pire, la transgression, l'immoralité, le lucre ? Faut-il admettre qu'à la longue sa propre vertu devient ennuyeuse pour celui qu'elle habite ? Comme si des démons enfouis avaient envie de ressortir à l'air libre ?

Je me suis formulé la même interrogation, mais à un degré moindre et sur le plan national, quand l'austère, rigoureux et admiré Raymond Barre nous a fait découvrir, après sa mort, que son honnêteté avait des limites et sa morale des failles.

Serait-il donc impossible de ne pas se soumettre, à un moment ou à un autre de sa vie, à la dénaturation de ce qu'on est, au reniement du meilleur, à l'abandon au pire, à l'exil vers des rivages troubles et nauséabonds ?

Impossible d'apaiser péremptoirement cette inquiétude.

Mais juste se souvenir de celui qui fut un grand roi : Juan Carlos 1er.


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