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La France politique en folie

Justice au singulier - philippe.bilger, 6/02/2012

Malgré quelques lucidités, la France politique est en folie. Quand et comment recouvrera-t-elle ses esprits ?

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La possible fin du sarkozysme rend fou.

On est tout de même depuis trois jours sur un extrait du discours de Claude Guéant devant l'UNI qui pour n'être pas d'un progressisme ïnouï n'est pas non plus le diable. Le ministre de l'Intérieur a osé dire que "toutes les civilisations ne se valaient pas" en dénonçant le "relativisme de gauche" et en soutenant que celles qui "défendent l'humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient ; celles qui défendent la liberté, l'égalité et la fraternité nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique" (Le Parisien). Evidences ! Au nom de quoi celles-ci ont-elles déchaîné, au-delà de toute mesure, foudres et indignation ?

Il y a d'abord cette maladie française du bi-partisme politique et de ses effets dévastateurs, du catéchisme idéologique contrasté, de l'obligation de dire noir quand l'autre a dit blanc et de tout dénigrer quand un personnage honni par un camp profère quoi que ce soit. Claude Guéant viendrait-il à vitupérer les dictatures au nom de la République qu'une certaine gauche lui prêterait des arrière-pensées et le soupçonnerait d'être favorable à ce qu'il refuse !

Hors de question, donc, de ne pas souhaiter la réélection de Nicolas Sarkozy mais de répudier, en même temps, les outrances de l'esprit partisan à gauche comme à droite ! Il faut mettre son esprit en jachère et s'en tenir à ce qu'imposent les clans et les affrontements obtus. Tout cela est absurde et manifeste à quel point d'infantilisme démocratique nous en sommes arrivés. 

Ensuite, est-il encore possible, dans ce pays, même pour un homme de droite, d'énoncer une idée banale mais sortie du culte émollient de l'égalité sans être renvoyé derechef à l'extrême droite, au FN et à Marine Le Pen ? Cette obsession d'encaserner Claude Guéant, pour tout ce qu'il affirme, dans le cercle étroit d'une idéologie qu'il déclare récuser, devient ridicule et surtout semble oublier un élément essentiel: il est plus que probable que Claude Guéant avait cette conception des civilisations et de la supériorité d'unetelle sur les autres avant même que son action lui ait donné l'occasion de mettre en oeuvre la politique qui lui est aujourd'hui reprochée par la gauche. Ce n'est pas parce que la droite populaire est infiniment proche du FN pour la sécurité et la justice que Claude Guéant est incapable d'un point de vue autonome qui demeurerait peut-être critiquable mais au moins ne résulterait que de sa seule inspiration (Le Monde).

Par ailleurs, cette exigence pointilliste exercée à l'encontre de personnalités jugées après une allocution comme si elles avaient eu le temps d'écrire un essai, devient comique alors que l'ensemble de la classe politique et intellectuelle, tôt ou tard, dérape, se trompe, globalise ou rapetisse. Aux vertus qu'on impose à Claude Guéant, connaîtrait-on beaucoup de ses collègues, à droite comme à gauche, capables de relever le défi ?

La fin envisageable du sarkozysme rend fou. Et plus libre.

Il serait comique de récapituler les réactions des deux bords qui les unes font dans un paroxysme prévisible et les autres dans une restriction qui montre que la liberté d'expression est directement proportionnelle aux mauvais sondages pour le Pouvoir.

Pour Pierre Moscovici, les propos de Claude Guéant auraient été "couverts" par le président de la République. Pourquoi pas dictés et même écrits ? Comme si Claude Guéant n'était pas suffisamment armé pour parler de la sorte sur sa seule initiative et que Nicolas Sarkozy était en permanence penché sur son épaule. François Hollande plus sobre a conseillé au ministre de s'occuper de sécurité plutôt que de l'histoire des civilisations. Cécile Duflot s'est indignée et, pour une fois, je l'aurais préférée en retrait sur ce plan.

A droite, que de puristes du langage ! Rama Yade si bien placée pour donner des leçons au regard de sa constance politique et de sa conception de la morale publique aurait plutôt parlé de "régimes politiques". Jean-Pierre Raffarin approuve le politicien mais pourfend l'ethnologue chez Guéant parce qu'il aurait fait dans l'ethnocentrisme. Alain Juppé, moins flambant depuis sa déconfiture médiatico-politique, aurait évité le terme "civilisations". Gérard Longuet s'est risqué à regretter que Claude Guéant ait mélangé "trois concepts un peu différents : culture, civilisation et société" (Marianne 2, nouvelobs.com).

Henri Guaino, lui que le snobisme intellectuel laisse froid, a argumenté en faveur de l'appréciation de Claude Guéant en l'expliquant d'ailleurs mieux que ce dernier (Canal Plus). Le président de la République lui-même est venu à la rescousse en justifiant ces propos de "bon sens" (JDD.fr). 

A bien analyser l'ampleur de cette controverse, il me semble que cette dernière tient autant à l'inégalité invoquée qu'à la notion de civilisation elle-même. J'admets bien volontiers, et Claude Guéant n'hésiterait pas à le valider, une fois l'orage apaisé, que "civilisation", compte tenu des illustrations fournies par le ministre, aurait dû plutôt être remplacé par "régimes politiques" ou, en effet, "sociétés". Mais que celui ou celle qui n'a jamais fauté contre le vocabulaire jette le premier mot ! Y avait-il derrière cette confusion une volonté exclusive de s'en prendre à l'Islam et de rallumer la guerre des civilisations ? Je ne le crois pas car en l'occurrence il se serait agi d'une stupidité politique et d'une faute tactique. Et d'une aberration historique.

Cette impropriété, d'ailleurs, a beaucoup moins courroucé par elle-même que par le fait qu'elle bousculait l'égalité, consacrait une forme de hiérarchie et osait, sur le plan démocratique et sociétal, reléguer le moins bon et promouvoir le plus digne. Comment ! Affirmer que quelqu'un, quelque chose, une civilisation, une société, un Pouvoir puissent être supérieurs aux autres relève de l'insupportable dans un monde français qui raffole des hyperboles ou des exécutions mais le tout dans un prix de gros !

La fin plausible du sarkozysme rend fou.

Bernard-Henri Lévy, à peine désengagé de sa guerre si rentable en Libye, se livre maintenant à une nouvelle expédition : contre le FN. Ce belliciste de luxe, ce vibrion changeant de conflit comme de chemise mériterait de se, de nous reposer un peu. Jean-Luc Mélenchon, excellent sur LCI-Le Figaro-RTL, méne déjà cette lutte contre le FN à sa manière et la sienne ne me paraît pas grotesque quand l'autre relève du théâtre germanopratin.

J'aimerais, dans cette immense comédie amplifiée sans doute par l'approche d'une libération - chacun privilégiera la sienne ! -, projeter la lumière sur Bruno Le Maire qui a reconnu le premier que le Pouvoir, le sarkozysme avaient connu des échecs et commis des erreurs et qui a encore manifesté tout récemment son inquiétude devant le malaise démocratique d'une Marine Le Pen interdite de présidentielle. Pourtant personne n'a jamais douté de son hostilité non grandiloquente à l'égard du FN !

Malgré quelques lucidités, la France politique est en folie. Quand et comment recouvrera-t-elle ses esprits ? 

 

 


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