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Les femmes sont-elles des victimes spécifiques ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 26/11/2019

Mon voeu est que les violences conjugales, les crimes de coups mortels, de meurtres et /ou d'assassinats dont les femmes sont victimes soient abordés et appréhendés sur tous les plans par une justice ordinaire qui serait dans l'excellence. Je suis de ceux qui pensent que ce pourrait ne pas être un voeu pieux.

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Cette interrogation, à peine formulée, me plonge dans l'inquiétude.

Les violences conjugales, les féminicides (comme si ce nouveau terme avait la moindre incidence sur la réalité odieuse !) sont devenus, si j'ose ce cynisme, les délits et les crimes à la mode. Ils existaient avant mais depuis plusieurs mois un combat est mené, politique, féministe, associatif, culturel et médiatique pour les placer au premier plan des transgressions les pires.

Pas un témoignage douloureux, pas une actrice, qui ne manquent à cet épouvantable appel. Pas un passé qui ne remonte pour nous inciter aujourd'hui à une prise de conscience, à une mobilisation de tous les instants.

A un point qui ne tolère pas la moindre contradiction.

Un exemple parmi d'autres. Le 25, dans les Vraies Voix sur Sud Radio, une empoignade très vigoureuse m'oppose à Sophia Hocini, cofondatrice du collectif féministe "Fortes", au sujet de Bertrand Cantat. Nous sommes en désaccord sur l'utilité novatrice du terme "féminicide" mais surtout, dans sa fougue dénonciatrice, elle accuse le chanteur d'avoir "assassiné" Marie Trintignant. Alors qu'il a été condamné pour le crime de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ce qui pour la malheureuse victime n'a fait aucune différence mais pour Cantat, sur le plan pénal, a été décisif. J'ai senti à quel point il apparaissait indécent de ma part de contester, au nom du droit et de la vérité, ce que le bon sens horrifié dictait au commun des citoyens.

Pour le féminicide, le désir d'une nouvelle qualification pénale pour les crimes qui seraient spécifiquement commis contre une femme, me semble à la fois inutile et dangereux. S'il y a des crimes dont les femmes sont victimes sur un plan général, est-il vraiment nécessaire de rajouter la circonstance aggravante d'avoir été une femme dans des relations et selon un processus qui, contrairement à ce qu'on prétend, ne sont pas toujours identiques ?

Et je ne suis pas persuadé, au regard de mon expérience de la cour d'assises, qu'ils visent à frapper ou à tuer la femme en tant que telle, mais plutôt l'être qui dans un climat particulier et délétère, par mille péripéties liées à l'emprise et à la conflictualité, a fait perpétrer le pire à un homme sans maîtrise ni limites.

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Il serait imprudent de favoriser encore davantage une distinction entre les crimes ordinaires et ceux qui dans certaines circonstances tuent les femmes. Il convient au contraire d'exiger une efficacité maximale pour les enquêtes, les poursuites et les procès, pour l'ensemble de l'univers criminel, en veillant surtout à ce qu'aucune décision ne soit prise à l'aveugle, sans pouvoir disposer, par une centralisation cohérente et une information correctement diffusée, du passé et de l'histoire complets du mis en cause (voir mon billet Féminicides : un massacre judiciaire ?).

Il y a eu sur les violences conjugales les arbitrages de Grenelle (le Monde), et une série de mesures dont quelques-unes sont discutables (aménagement du secret médical, le "suicide forcé" reconnu) et la plupart estimables mais difficilement opératoires, sans oublier que les crédits seraient insuffisants pour les rendre effectives.

Pour ce qui concerne les propositions pertinentes, elles risquent de se heurter à un risque certain pour l'univers policier et le monde éducatif.

La police n'est pas confrontée dans sa quotidienneté qu'à des violences conjugales et à des plaintes de ce type. Ses moyens humains, techniques et matériels seront insuffisants pour répondre à ces obligations supplémentaires. La juxtaposition d'un présent multiple à ces nouvelles contraintes aggraveront encore ce qu'il y a de bureaucratique dans l'activité des commissariats, quelles que soient les situations humaines à appréhender et à enregistrer.

En ce qui concerne l'enseignement, on va diversifier encore les activités pédagogiques en les sortant de plus en plus de l'essentiel, du noyau.

Pour répondre à la pression sociale, féministe et médiatique, le pouvoir manque d'argent, fait ce qu'il peut, n'innove pas forcément et s'efforce d'ouvrir des pistes de bon aloi mais qui ont le tort de surcharger sans faciliter. La moindre des choses serait au moins, en contrepartie, de délester les services et les institutions de fonctions inutiles et superfétatoires.

Mon voeu est que les violences conjugales, les crimes de coups mortels, de meurtres et/ou d'assassinats dont les femmes sont victimes soient abordés sur tous les plans par une justice ordinaire qui serait dans l'excellence.

Je suis de ceux qui pensent que ce pourrait ne pas être un voeu pieux.


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