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Lacan, l’Eglise et l’imparfait du subjonctif

Chroniques judiciaires - prdchroniques, 17/11/2011

A les observer, l’une vêtue de noir, visage cadenassé, lame échappée d’un atelier de Giacometti, l’autre virevoltante et passionnée, dardant des regards inquiets sur le public, on se disait qu’il y avait là, entre ces deux femmes, une tension – … Continuer la lecture

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A les observer, l’une vêtue de noir, visage cadenassé, lame échappée d’un atelier de Giacometti, l’autre virevoltante et passionnée, dardant des regards inquiets sur le public, on se disait qu’il y avait là, entre ces deux femmes, une tension – rage, mépris et répulsion mêlés – qui valait celle dont s’enveloppe, d’ordinaire, l’évocation d’un crime en cour d’assises.

Le « crime » se niche dans une phrase à l’imparfait du subjonctif reprochée par Judith Miller, fille de Jacques Lacan, à l’universitaire et historienne de la psychanalyse, Elisabeth Roudinesco. Dans son dernier essai publié au Seuil, Lacan envers et contre tout, celle-ci écrit : « Bien qu’il [Lacan] eût émis le vœu de finir ses jours en Italie, à Rome ou à Venise et qu’il eût souhaité des funérailles catholiques, il fut enterré sans cérémonie et dans l’intimité au cimetière de Guitrancourt ».

Passe encore pour Rome ou Venise. Mais l’évocation, ainsi prêtée à son célèbre père, d’un vague souhait de « funérailles catholiques » a été perçue comme gravement diffamatoire par Judith Miller, qui a décidé de poursuivre Elisabeth Roudinesco devant les tribunaux.

Circonstance aggravante, l’opus a été édité au Seuil, également poursuivi, dont le président Olivier Bétourné n’est autre que le compagnon de l’historienne.

Le tout a donné lieu, mercredi 16 novembre dans la salle comble de la 17ème chambre du tribunal de grande instance de Paris, à trois heures de cabotinage acide entre avocats, Me Christian Charrière-Bournazel pour Judith Miller, Me Georges Kiejman en défense d’Elisabeth Roudinesco.

« Mme Roudinesco fait partie de ces auteurs qui s’attachent à des personnages qui ne sont pas attachés à elle», persifle Me Charrière-Bournazel avant d’évoquer « l’insulte insupportable » faite à la fille préférée de Jacques Lacan. Une moitié du public approuve bruyamment.

L’autre moitié manifeste son soutien à Me Kiejman, citant Jacques Lacan - « je suis un enfant de curé » -, évoquant le premier mariage du psychanalyste à l’église et le baptême de ses trois enfants, « y compris Judith Miller qui a fait sa communion », dans lesquels il voit la preuve que « l’on peut ne plus avoir la foi mais rester obsédé par le rituel catholique ».

Me Kiejman convoque Sophocle, Freud et Hegel – la partie gauche du public, qui les connaît manifestement mieux que lui, s’indigne – il s’emmêle dans un superbe lapsus - « Elisabeth Lacan », dit-il de sa cliente - pour finalement ramener l’affaire à son noeud: « Mon papa m’aimait beaucoup et j’aimais beaucoup mon papa. Mais cela ne justifie pas que l’on porte atteinte à la liberté d’expression».

A l’adresse du tribunal dont il pressent qu’il hésitera à s’aventurer dans l’interprétation des dernières volontés lacaniennes, Me Kiejman propose une caution plus familière. Celle de Grevisse, selon lequel, assure-t-il, le plus que parfait du subjonctif – « bien qu’il eût souhaité" - peut avoir « une valeur indicative ou conditionnelle sans que rien ne permette de distinguer ces deux modes ». Et vient la péroraison : « Le doute, fût-il grammatical, doit bénéficier à l’accusé ! ».

Jugement le 11 janvier.


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