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Une seule Ségolène vous manque ...

Justice au singulier - philippe.bilger, 11/11/2013

Avec Ségolène Royal, en dépit de sa beauté, le gouvernement serait "assez laid". Une seule Ségolène vous manque, et le pouvoir est dépeuplé.

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Il y a des dimanches qui, comme par un fait exprès, coagulent émissions, interventions ministérielles, analyses médiatiques et sondages révélateurs, en offrant ainsi la possibilité d'un éclairage politique stimulant.

Pierre Moscovici et Aurélie Filipetti ont répondu aux multiples interrogations que l'inquiétante situation française suscite et, il faut en convenir, l'apparente passivité, l'étrange manque de réactivité du président de la République que lui-même et ses proches baptisent constance, maintien du cap et certitude pour demain.

Les deux ministres, dans un genre différent, sur un registre plus professionnel et maîtrisé pour l'homme et plus appliqué, scolaire et maladroit pour la femme, ont expliqué aux journalistes qui les questionnaient - Caroline Roux d'un côté et le trio Chapuis, Revel et Thréard de l'autre - à quel point l'état de la France était meilleur qu'au mois de mai 2012 et ne cessait de correspondre aux prévisions optimistes de ses gouvernants.

A les entendre - avec ce zeste de jeunisme incongru au poignet droit de Pierre Moscovici -, le fait que les Français ne percevaient pas cette embellie progressive ne disqualifiait pas la cohérence et la justesse de la politique mise en oeuvre qui était la seule opératoire. Que les résultats soient décevants pour le commun des citoyens n'affectait pas le volontarisme du Pouvoir qui savait où il allait et était sûr de rencontrer, avant la fin du quinquennat, des lendemains qui chantent.

Ces propos, ici et là, de confiance obligatoire, précisément parce qu'on sentait l'exercice, étaient loin de convaincre. L'impression surgissait parfois, au détour d'une phrase, que dépassés par l'imprévisibilité et les aléas d'une France n'en faisant qu'à sa tête et quasiment caporalisée par Bruxelles, nos responsables faisaient mine de ne pas s'en étonner pour laisser penser qu'il y avait un dessein là où la soumission bringuebalante au réel dominait.

Pierre Moscovici, dans les premiers mois, à chaque mauvaise nouvelle économique rassurait en déclarant qu'il l'avait prévue et, par la suite, soutenait que tout allait bien. Il en est encore là !

Entre une illusion de lucidité et une béatitude risquée, il y aurait eu sans doute place pour pour un empirisme moins sûr de soi et plus efficace. Ce ne sont pas les éléments de langage, distillés au mot près par les deux ministres, sur la dégradation de la note de la France par une agence de notation qui étaient susceptibles de nous apaiser tant la référence commune à Paul Krugman et à l'idéologie sentait l'apprêté et la gêne.

Je ne pouvais m'empêcher de songer, en écoutant Pierre Moscovici et Aurélie Filipetti développer avec bonne volonté et une grande conscience professionnelle ce que l'exigence de communication leur avait soufflé à l'esprit, au point de vue de Nicolas Domenach, qui se trouvait confirmé par mes impressions de téléspectateur de ce dimanche soir politique.

Ce journaliste vif sachant mêler psychologie et information n'avait-il pas ciblé avec pertinence ce gouvernement en lui reprochant avec un peu de provocation de n'être pas "assez laid" ? Pas assez de force, en effet, ni de puissance, du lisse, du convenable, du convenu, le culte de l'écoute certes mais guère d'envie d'empoigner le présent et de forger l'avenir, des visages présentant une sérénité qu'on aurait espéré affectée, du trouble devant l'écart entre ces personnalités estimables et l'intensité d'une crise qu'elles commentaient et prétendaient résoudre, nous étions en guerre et leur parole était toute de drapeau blanc.

On aurait désiré pouvoir lire, dans les attitudes ministérielles, de l'expérience mais du doute, de la détermination mais de la profondeur, un choix réfléchi mais sans mépris d'une autre alternative, de la fidélité mais sans inconditionnalité, de la solidarité mais d'adultes.

Ce gouvernement, c'est clair, n'est pas "assez laid". Comme son Premier ministre à Marseille, il est touchant par sa bonne volonté, décevant à cause de son amateurisme et peu convaincant parce que sa parole manque de vigueur, de talent et n'imprime plus à force d'avoir été exploitée pour remplacer l'action. Ce qui est certain : il ne sera pas regretté quand le président de la République se décidera enfin à tirer les leçons d'une période guère brillante pour ce qui est de la maîtrise et de la qualité professionnelles. Quels sont aujourd'hui les ministres dont le citoyen peut se dire fier, toutes tendances confondues ?

Et on se permet depuis le mois de mai 2012 du laisser hors du jeu Ségolène Royal qui, à cause d'événements et de blessures intimes qu'elle a magnifiquement surmontés et sans ressentiment public, n'occupe pas le poste qui aurait dû lui échoir. Quel qu'il soit car il ne faudrait pas oublier que sans le faux soutien du PS, elle aurait battu Nicolas Sarkozy en 2007 !

Elle aurait été à l'évidence une ministre remarquable. Elle sera une ministre accomplie puisque des rumeurs l'annoncent à la place de Vincent Peillon. Ce ne sera que justice d'autant plus qu'elle aurait été, elle, un garde des Sceaux de classe et de compétence si elle n'avait pas commis la maladresse de refuser la Place Vendôme lors de la composition du gouvernement, avant Valérie, le tweet, Falorni et le reste...

Sa personnalité a été passée au crible et heureusement on lui impute de tels défauts que les Français ont plutôt une mauvaise opinion d'elle (Le Parisien) ! Mais ce qu'on lui reproche révèle et consacre la femme de caractère, courageuse et sans égale. La vie, son parcours, ses échecs, sa résistance et sa pugnacité intelligente et jamais lassée rendent plus que jamais urgente son arrivée à un éminent poste de responsabilité. Ses constats, notamment sur "la révolte citoyenne" bretonne, demeurent libres et clairvoyants. Ce n'est pas parce qu'elle a toutes les vertus que les citoyens souhaiteraient chez François Hollande et qu'apparemment il n'a pas, qu'elle doit continuer à être honorablement ostracisée. Droite et gauche confondues, derrière l'énervement, voire l'exaspération, il y a l'estime, le désir, l'attente. Une forme d'admiration. On a plus besoin de tempéraments que de classicisme. La table ne doit pas être renversée mais utilisée.

Avec cette femme, en dépit de sa beauté, le gouvernement serait "assez laid". Avec cette énergie, il serait animé.

Une seule Ségolène vous manque, et le pouvoir est dépeuplé.


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