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L’impossible garde à vue de l’étranger en situation irrégulière ?

Le blog Dalloz - anthony astaix, 12/06/2012

Dans un avis rendu le 5 juin 2012, la chambre criminelle de la Cour de cassation, saisie à l’initiative de la première chambre civile, a considéré qu’un étranger entré ou séjournant irrégulièrement sur le territoire français ne pouvait faire, de ce seul chef, l’objet d’une mesure de garde à vue. Cette prise de position, dont il [...]

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Fotolia_3724611_XScopie Dans un avis rendu le 5 juin 2012, la chambre criminelle de la Cour de cassation, saisie à l’initiative de la première chambre civile, a considéré qu’un étranger entré ou séjournant irrégulièrement sur le territoire français ne pouvait faire, de ce seul chef, l’objet d’une mesure de garde à vue. Cette prise de position, dont il faut espérer qu’elle sera réitérée par la première chambre, était prévisible, car directement guidée par certaines des orientations récentes de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 28 avr. 2011, El Dridi ; 6 déc. 2011, Achughbabian). Reste que le fondement à l’origine de cette jurisprudence européenne peut surprendre : il procède d’une logique d’efficacité, quand, auparavant, et en droit interne, c’était bien plutôt les principes de loyauté et (surtout) de nécessité qui semblaient susceptibles de faire échec au placement en garde à vue de l’étranger en situation irrégulière.

S’agissant du principe de loyauté, on peut être bref. Dans le sillage de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH, 5 févr. 2002, Čonka c. Belgique), il avait emporté cette solution de la Cour de cassation : « l’administration ne peut utiliser la convocation à la préfecture d’un étranger, faisant l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière, qui sollicite l’examen de sa situation administrative, nécessitant sa présence personnelle, pour faire procéder à son interpellation en vue de son placement en rétention » (Civ. 1re, 6 oct. 2007, n° 05-10880 ; 11 mars 2009, n° 08-11796 et n° 08-11177). La solution avait cette conséquence que le constat de l’irrégularité de l’interpellation entraînait, suivant le critère du support nécessaire, celui de l’irrégularité des mesures subséquentes, dont la garde à vue (Civ. 1re, 25 juin 2008, n° 07-14985). Mais pour autant, le placement en garde à vue de l’étranger en situation irrégulière n’était pas remis en cause dans son principe.

Cette remise en cause, en revanche, paraissait déjà beaucoup plus franche sur le terrain du principe de nécessité. Pour s’en convaincre, il convient de se souvenir qu’une circulaire du 21 février 2006 avait avancé qu’il était « parfaitement licite, pour un officier de police judiciaire […], de placer en garde à vue une personne […] en situation irrégulière quand bien même cette mesure déboucherait sur un classement sans suite, pour laisser prospérer la seule procédure administrative d’éloignement du territoire ». Plutôt que « parfaitement licite », le procédé était au contraire un parfait détournement de procédure : clairement, le principe de nécessité (art. prélim. et anc. art. 63 c. pr. pén.) était mis à mal et la finalité de la garde à vue détournée lorsqu’une personne en situation irrégulière était placée et maintenue, via cette dernière mesure, non pas à la disposition de l’OPJ pour les nécessités de l’enquête, mais à la disposition de l’administration pour les nécessités de la mise en place et de l’exécution des mesures d’éloignement (P.-J. Delage, La liberté individuelle sacrifiée, Dr. pén. 2006. Etude 21). Or, bien des gardes à vue ne sont en rien nécessaires, dès lors que la situation irrégulière de l’étranger est connue dès son interpellation : si l’étranger fait quand même l’objet d’une mesure de détention policière, par exemple à dessein de favoriser son placement en rétention, le non-respect du principe de nécessité commande alors d’annuler la procédure diligentée (Civ. 1re, 25 nov. 2009, n° 08-20294).

Et pourtant, ce n’est pas le principe de nécessité qui a emporté l’impossibilité (ou plutôt la quasi-impossibilité, V. infra) du placement en garde en vue de l’étranger en situation irrégulière, mais la logique d’efficacité inhérente à la directive dite « retour » du 16 décembre 2008 (étant précisé d’emblée que cette (quasi-)impossibilité ne joue qu’autant que l’étranger ne commet pas une autre infraction s’ajoutant à sa situation irrégulière). Pour le comprendre, il faut rappeler que tant l’article L. 621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA ; l’art. a été déclaré conforme à la Constitution, le Cons. const. n’ayant toutefois pas le pouvoir d’apprécier sa conformité au droit de l’UE, 3 févr. 2012, n° 2011-217 QPC) que l’article L. 624-1 du même code (non-respect d’une mesure d’éloignement) menacent l’étranger d’une peine d’emprisonnement. Or, selon la CJUE, l’application d’une telle peine contrevient fondamentalement à la politique d’éloignement souhaitée efficace par l’Union européenne : elle retarde l’exécution de la décision de retour. La primauté du droit de l’Union européenne sur celui français rend ainsi impossible le prononcé d’une peine privative de liberté sur le fondement des articles L. 621-1 et L. 624-1, mais encore, en amont, le placement en garde à vue d’un étranger en situation irrégulière. Et pour cause : il n’est, aux termes des articles 62-22 et 67 du code de procédure pénale (la solution était déjà acquise avant la loi du 14 avril 2011, V. la combinaison de l’anc. art. 63 et de l’art. 6767 c. pr. pén. ; elle vaut pour toutes les enquêtes : de flagrance, préliminaire et sur commission rogatoire), de garde à vue envisageable que relativement à des crimes ou à des délits punis d’emprisonnement – un emprisonnement que l’étranger n’encourt plus en vertu de la jurisprudence de la CJUE. Mais reste que l’impossibilité du placement en garde à vue de l’étranger n’est pas absolue : la raison en est que la CJUE concède que, lorsque toutes les mesures – jusqu’à celles coercitives de l’article 8 de la directive « retour » – ont été utilisées, i. e. lorsque sa politique d’efficacité a échoué, alors les Etats retrouvent à l’endroit des étrangers concernés une faculté d’emprisonnement. Et avec cette faculté renaît – dans des hypothèses certainement assez rares – une possibilité de mise en garde à vue.

Cette garde à vue résiduelle pourrait-elle, alors, favoriser la mise en place d’une nouvelle procédure administrative pour éloigner l’étranger ? Ce serait contraire au principe de nécessité (V. supra). Mais des implications de ce principe, le législateur a peut-être tenté de s’affranchir au moyen du 6° de l’article 62-2 du code de procédure pénale, suivant lequel la garde à vue peut, notamment, être le moyen de « garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit ». Car, en effet, quelles sont ces « mesures » ? Des mesures uniquement judiciaires (par ex., tendant à faire cesser des violences intrafamiliales) ou également administratives (parmi lesquelles celles destinées à faire cesser un fait délictuel de situation irrégulière) ? La préférence doit aller à la première hypothèse : on ne pourrait se satisfaire de la consécration légale d’un détournement de procédure, ni plus que de voir la logique d’efficacité des retours, ici sous son plus mauvais versant, systématiquement l’emporter.

 Pierre-Jérôme Delage
ATER à l’Université de Limoges


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