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Le père de mes enfants est mon épouse… ou presque

Le blog Dalloz - bley, 26/01/2012

Il y a peu, le tribunal de grande instance de Brest a rendu une décision portant sur une action d’état innommée. En l’espèce, un homme, marié et père de trois enfants, souhaitait obtenir la modification de son prénom et de son sexe sur son acte de naissance et sur son acte de mariage. Si l’absence [...]

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Il y a peu, le tribunal de grande instance de Brest a rendu une décision portant sur une action d’état innommée. En l’espèce, un homme, marié et père de trois enfants, souhaitait obtenir la modification de son prénom et de son sexe sur son acte de naissance et sur son acte de mariage.

Si l’absence d’opposition du parquet pouvait laisser présager une réponse positive, la juridiction brestoise ne l’a pas entendu ainsi. Cette affaire suscite plusieurs questions.

D’abord, la première est celle de savoir si une personne transsexuelle peut obtenir un changement de prénom et de sexe à l’état civil. En l’absence de disposition législative, la jurisprudence française a posé certaines conditions. Après la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement du droit au respect de la vie privée (CEDH 25 mars 1992, Bottela c. France), les juges du quai de l’Horloge ont décidé dans deux arrêts du 11 décembre 1992 (n° 91-11.900 et n° 91-12.373, Dalloz jurisprudence), au visa de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (Convention EDH), des articles 9 et 57 du code civil et du principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, que « lorsque, à la suite d’un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l’apparence ; que le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes ne fait pas obstacle à une telle modification ». Autrement dit, trois conditions sont nécessaires pour qu’une personne puisse obtenir le changement de sexe sur son acte de naissance.

1. Elle doit présenter le syndrome du transsexualisme, c’est-à-dire qu’elle doit avoir le sentiment d’appartenir à l’autre sexe et que cette affection soit constatée médicalement ;
2. Elle doit avoir subi, dans un but thérapeutique, un traitement médico-chirurgical, c’est-à-dire qu’elle doit avoir perdu certains caractères de son sexe d’origine ;
3. Elle doit avoir pris l’apparence physique de l’autre sexe correspondant à son comportement social, c’est-à-dire que le comportement social doit être conforme au sexe demandé.
Dès lors que ces conditions sont réalisées, les juges peuvent admettre le changement de sexe et de prénom. Ce jugement étant constitutif, il ne produit aucun effet rétroactif. En conséquence, nous comprenons que des situations constituées antérieurement comme un mariage ou un lien de filiation ne devraient pas voir leurs actes modifiés.

Partant, deux nouvelles questions se dessinent.

D’une part, le mariage est, en France, l’union entre un homme et une femme. Par deux arrêts du 11 juillet 2002, Goodwin c. Royaume-Uni et I. c. Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de l’homme est venue condamner ce pays en estimant que « le fait que le droit national retienne aux fins de mariage le sexe enregistré à la naissance constitue en l’espèce une limitation portant atteinte à la substance même du droit de se marier ». Autrement dit, un transsexuel ayant obtenu le changement de sexe sur son état civil doit pouvoir se marier avec une personne de son sexe d’origine. Il convient de prendre en compte le sexe légal. Nonobstant, le sort du mariage célébré antérieurement est plus délicat. Si le couple est de sexe génétiquement différent, il est, en revanche, de sexe légal identique. Or, comme le jugement n’est pas rétroactif, le mariage a bien été célébré entre un homme et une femme. Donc, ce n’est qu’après le changement de sexe sur l’état civil, que l’union apparaît entre deux personnes de sexes juridiquement identiques. Indubitablement, cette union appelle la dissolution. Pourtant, comme l’altérité sexuelle existait au moment de la célébration du mariage, le fondement de la nullité ne peut être retenu ; et comme, ici, le couple souhaite rester marié, la voie du divorce est fermée. Cependant, on pourrait d’abord penser que la perte d’une telle condition essentielle entraîne la caducité du mariage. On pourrait ensuite suivre la décision de certains magistrats, par exemple, ceux du tribunal de grande instance de Besançon qui, dans un jugement du 19 mars 2009 (RG n° 08/02219, Dalloz jurisprudence), ont pu rejeter la demande de modification de la mention du sexe à l’état civil en estimant qu’elle « circonviendrait le principe de l’interdiction des mariages entre homosexuels ». Autrement dit, il s’agirait de suggérer que les juges ajoutent une condition à la demande en changement de sexe sur l’état civil qui tiendrait à la situation matrimoniale. Si notre droit n’impose pas à un transsexuel d’être célibataire, nous pouvons aller « pêcher » les règles de nos voisins sans nous voir opposer qu’il s’agirait d’une atteinte à la liberté de se marier. En effet, la législation anglaise qui pose une telle condition ne viole pas les articles 8 et 12 de la Convention EDH (CEDH 288 nov. 2006, Parry c. Royaume-Uni). In fine, il pourrait revenir au législateur de se saisir de la question en posant soit un autre cas de dissolution du mariage à l’article 227 du code civil, soit en autorisant le mariage entre personnes de même sexe. Pour l’heure, le mariage homosexuel est interdit et les Sages de la rue Montpensier ont pu relever que les articles 144 et 75 sont conformes à la Constitution (Cons. const., 28 janv. 2011, n° 2010-92-QPC).

D’autre part, la filiation, légalement établie à l’égard d’un enfant, ne doit pas être remise en cause. Effectivement, la modification n’opérant que pour l’avenir, le transsexuel reste le père sur l’acte de naissance de l’enfant et est, à ce titre, investi de l’autorité parentale. Dès lors, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale conformément à l’article 3-1 de la Convention de New York dans les décisions qui le concernent. Nécessairement, l’existence d’un enfant devrait également être prise en compte par les juges lors d’une demande de changement de sexe sur l’état civil de son parent. En définitive, la condition supplémentaire tiendrait à retenir la situation familiale du transsexuel. En l’espèce, il ne demande pas de modification sur l’acte de naissance de ses enfants. Au demeurant, elle ne pourrait pas aboutir puisqu’elle reviendrait à reconnaître un double lien de filiation maternelle. Par ailleurs, conformément aux règles du code napoléonien, les enfants succèdent à leur père et mère et la parenté se divise toujours en deux branches, selon qu’elle procède du père ou de la mère. Ici, les enfants pourront succéder à leur père, transsexuel devenu femme, et à leur mère. En d’autres termes, le changement de sexe permettrait au transsexuel de se jouer des deux sexes : à l’égard de ses enfants, il reste un homme et à l’égard de son épouse, il devient femme.

Or le jugement brestois ne l’a pas permis. Il a précisé que « modifier le sexe mentionné dans l’acte de naissance d’une personne mariée aboutirait, non pas à constater mais à créer une situation de mariage entre personnes de même sexe » et a rappelé que « le mariage est l’union d’un homme et d’une femme ; le tribunal ne peut pas, en modifiant juridiquement le sexe d’une personne mariée, créer une situation juridique interdite par la loi ».

Partant, si un appel est interjeté, il appartiendra aux juges rennais de décider s’il peut rester père et devenir épouse.

Laëticia Marstal
Doctorante à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2)
ATER à l’Université d’Orléans


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