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« Nectar des dieux » : le nouveau classement des vins de Saint-Émilion

Le blog Dalloz - anthony astaix, 6/09/2012

Évidemment, la première chose qu’il faut garder à l’esprit quand l’on parle de Saint-Émilion, c’est bien qu’il se doit d’être consommé avec modération. Et l’on ne peut plus aujourd’hui vraiment souscrire aux propos du marquis de Boufflers ; il ne s’agit pas d’ « un vin de santé »… Mais un vin de plaisir, tout de même, car quand [...]

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Évidemment, la première chose qu’il faut garder à l’esprit quand l’on parle de Saint-Émilion, c’est bien qu’il se doit d’être consommé avec modération. Et l’on ne peut plus aujourd’hui vraiment souscrire aux propos du marquis de Boufflers ; il ne s’agit pas d’ « un vin de santé »… Mais un vin de plaisir, tout de même, car quand résonnent les noms mythiques du Château Cheval Blanc et du Château Ausone, les papilles gustatives, les sens olfactifs, se réveillent. Or tous ces domaines ancestraux vont bientôt refaire parler d’eux. Le prestigieux vignoble du Libournais, l’un des hauts-lieux du vin tranquille rouge, entre en effervescence. Les 5400 hectares de cette aire de production située au nord de la Dordogne, au dessus de l’ « entre deux mers » sont sur le devant de la scène. Et pas seulement pour les vendanges. Pourquoi ? Tout simplement parce que le problème du classement refait surface (v. B. Burtschy, Le Figaro, 30/08/2012, p. 28).

Le vignoble de Saint-Émilion est prestigieux et complexe. Prestigieux, ce n’est pas le beau film de Michel Legrand, Tu seras mon fils, interprété par Niels Arestrup et Lorant Deutsch, qui le démentira. Les propriétés sont inestimables et l’enjeu est de taille (E. Agostini, « Lutte des classes à Saint-Émilion » : D. 2008, p. 2579 ; G. Dupuy, « Saint-Émilion, classe 1996 »,  L’Express, 19/09/1996). Mais, le vignoble est aussi complexe. Cette complexité n’a certes pas grand-chose à envier aux climats bourguignons, mais elle s’est récemment révélée source de difficultés juridiques. En effet, le problème vient de ce que le classement du Saint-Émilion, qui date de 1959, n’a pas la fixité de celui de Bordeaux qui remonte à 1855. Il doit être révisé tous les dix ans.

Essayons de comprendre ce qui se révèle bien une affaire juridico-viticole. Depuis 1986, le Saint-Émilion correspond à deux appellations d’origine contrôlée : le Saint-Émilion et le Saint-Émilion grand cru. L’aire de production est la même : neuf communes, y compris celle de Saint-Émilion. Les principaux cépages – Merlot, Cabernet franc et Cabernet Sauvignon – sont les mêmes. Mais l’AOC Saint-Émilion grand cru ne correspond pas à un terroir spécifique, géographiquement distinct de l’AOC Saint-Émilion classique. Elle n’est pas une AOC dans l’AOC, mais plutôt une AOC sur l’AOC. Selon le décret no 2011-1779 du 5 décembre 2011 relatif à l’appellation d’origine contrôlée « Saint-Émilion grand cru », des conditions qualitatives plus exigeantes doivent êtres satisfaites pour prétendre à l’AOC Saint-Émilion grand cru. Il y a donc le Saint-Émilion AOC et le Saint-Émilion grand cru AOC, lesquels répondent à des critères distincts (v. égal. M. de Saint Pulgent, « Le régime de classement des vins d’appellation d’origine contrôlée » ; RFDA, 1992, p. 241).

Les Saint-Émilion grand cru sont classés. Mais seuls certains d’entre eux y parviennent, ce qui aboutit à une sorte de troisième niveau de qualité, celui-ci ne correspondant pas à une AOC au sens juridique. Quand un Saint-Émilion grand cru est classé, le produit est d’exception. Ce classement avait été publié pour la première fois en 1959. Il s’articule toujours autour de trois niveaux hiérarchiques, par ordre décroissant : premier grand cru classé A, premier grand cru classé B, grand cru classé.

Le dernier classement remontait à 1996, homologué par un arrêté du 8 novembre 1996. Seuls deux châteaux figuraient au rang de premier grand cru classé A : Château Cheval Blanc et Château Ausone. Les B comptaient 11 propriétés, et la catégorie des grands crus classés en comprenait 55. La modification de 2006 est devenue une véritable saga judiciaire (V. pour un résumé de l’affaire, E. Agostini, préc.). Le classement avait tout d’abord été suspendu par le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, motif pris de ce que toutes les propriétés n’avaient pas été visitées. Cette décision avait été annulée par le Conseil d’État le 12 novembre 2007, mais les domaines déclassés avaient trouvé un autre angle d’attaque. Finalement le tribunal administratif de Bordeaux avait annulé le classement, par une décision du 1er juillet 2008. La procédure était irrégulière parce que les propriétés avaient été réparties en catégories distinctes selon qu’elles étaient ou non antérieurement classées. Or il n’existe pas de droit au maintien du bénéfice de ce classement. En contribuant ainsi à établir une différence entre la dégustation d’admission et la dégustation de confirmation (E. Agostini, note préc.), la commission avait méconnu l’égalité de traitement entre les candidats.

Il a fallu trouver une parade. Ces lois un peu fourre-tout que furent la loi LME du 4 août 2008 et la loi de simplification du droit du 12 mai 2009, ont prolongé le classement tout en permettant aux promus de 2006 de se prévaloir de leur nouvelle étiquette. Heureux, donc, les classés … et les déclassés. Mais tout cela ne pouvait durer qu’un temps : jusqu’aux vendanges de cette année.

Le nouveau classement est donc imminent. L’INAO a changé ses procédures, avec une innovation de taille : le numerus clausus a disparu. Il est possible d’avoir un aperçu de ce que fut la méthode à la lecture de l’arrêté du 6 juin 2011 relatif au règlement concernant le classement des Saint-Émilion grand cru. Ainsi, celui-ci sera réalisé par une commission composée de sept membres, nommés pas l’INAO, lesquels sont « soit des membres du comité national, soit des personnalités extérieures choisies en fonction de leur compétence ». Il est précisé qu’ils ne doivent pas avoir d’intérêt direct à ce classement.

Il y aurait beaucoup à dire sur le travail de la commission qui devra s’adjoindre les services de tiers indépendants. Celle-ci se prononcera notamment sur la base d’échantillons, conservés sous la responsabilité de l’INAO dans un local sécurisé et climatisé. Elle choisira elle-même les millésimes qu’elle entend prélever, mais sur une période maximale des dix dernières années pour les candidats postulant en grand cru classé, et des quinze dernières années pour ceux postulant en premier grand cru classé. Néanmoins, le choix doit être identique pour tous les candidats. La note finale est la résultante de nombreux facteurs. « Le niveau de qualité et constance des vins » compte pour 50% dans les grands crus classés, 35% pour les premiers grands crus classés, étant entendu que, pour ceux-ci, il est apprécié à partir de l’excellence des résultats de la dégustation et de l’aptitude au vieillissement.

Une fois la proposition de classement élaborée, celle-ci est notifiée aux candidats qui disposent d’un délai pour répondre. La commission réexaminera leur dossier, transmettra le classement définitif au comité national, puis au ministère pour homologation.

Le nouveau palmarès sera dévoilé ce 6 septembre, selon la Revue du vin de France. Sans doute sera-t-il critiqué étant donné qu’il devrait y avoir des déçus. Peut-être les prix de certains flamberont, accédant aux sacro-saints rangs A et B. Il demeure que même parmi les déclassés, l’on est toujours au royaume de l’excellence : le « Nectar des dieux », disait Louis XIV, le « roi des vins », s’exclamait le cardinal de Bordeaux, de Sourdis (Bertali, La vigne, voyage autour des vins de France. Étude physiologique, anecdotique, historique, humoristique et même scientifique, Paris, Plon, 1878, p. 168).

Thibault de Ravel d’Esclapon
Chargé d’enseignement à l’Université de Strasbourg, Faculté de droit – Centre du droit de l’entreprise


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