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Fière d'être greffière au 21 ème siècle

Journal des greffiers en colère - Eolas, 23/04/2014

Par Libera


Nous, greffiers et fonctionnaires de justice, y sommes sensibles en cette période de grande protestation. Enfin, nous nous sommes unis de manière moderne, par la voie électronique, pour sauver nos carrières, pour sauver notre justice, pour protéger les citoyens face à la destruction qui se profile de nos juridictions de proximité.

Je suis sensible aux jeunes avocats qui débutent. Nous sommes là pour leur apporter notre concours en notre qualité de spécialistes de la procédure, lorsqu’ils sont démunis face à une procédure qui leur échappe. Ne travaille-t’on pas dans un même objectif ? Une justice efficace, claire. Pour TOUS. Je suis aussi sensible aux jeunes magistrats qui parfois se trouvent bien isolés dans un rôle de juge spécialisé avec pour seul ami, le greffier. La transmission des savoirs est importante dans notre métier. Le greffe de l’application des peines dans lequel je travaille, je le connais, j’ai découvert la procédure de cette matière, seule pendant 8 mois, à peine arrivée que le JAP[1] était muté. Seule face aux dossiers, face aux condamnés, face au magistrat remplaçant déjà bien occupé par son cabinet d’instruction puis face au magistrat « placé » deux jours par semaine. Une orpheline face à ses questions.

N’ayant fait aucunes études de droit, mais passionnée par cette matière, j’ai intégré le Ministère de la justice après un concours d’adjoint administratif. Très vite j’ai eu à exercer des tâches de greffier. Je n’ai jamais eu à le regretter et les connaissances acquises ont largement compensé l’absence des indemnités d’un greffier. Attention, je ne dis pas que je suis d’accord avec ce modus operandi : profiter des qualités d’agents de catégorie C sans leur garantir un retour financier. J’y ai trouvé mon compte, c’est tout.

Je me suis battue pour avoir un parcours professionnel riche, pour assurer ma mission de service public, pour assurer au justiciable un accueil de qualité ; je ne veux pas aujourd’hui que la justice soit bafouée par une énième réforme qui mettra en péril les intérêts du citoyen. Je me sens trop proche de ceux-ci pour accepter cela.

Selon moi, en tant que greffier, je poserais une seule question. Je l’ai posée lors d’une intervention dans un lycée dans lequel je me suis rendue récemment pour évoquer le métier de greffier : comment pensez-vous que le dossier arrive sur le bureau du juge ? Sous cette question se trouve toute l’étendue de nos tâches. Nous parcourons la procédure du début de l’instance à son inéluctable fin, parfois après de long mois, voir de longues années. Que de travail accompli, par nous, fonctionnaires de justice durant tout ce temps.

Que dire de ces scenarii de réforme, fruits d’un long travail ayant donné lieu à pas moins de 4 rapports, à un débat national, à une consultation des magistrats et fonctionnaires des juridictions à qui l’on offre le droit d’expression ? Droit d’expression vite retiré par la censure de nos messages par voie électronique. Nos claviers faisaient trop de bruit.

Vous l’avez compris, les enjeux de ce projet de réforme vont bien au delà de la seule revalorisation des greffiers, c’est la destruction de nos juridictions de proximité que nous défendons avec force.

Madame le Garde des Sceaux a elle même rappelé en janvier 2013 lors de l’audience solennelle de la Cour de Cassation que le citoyen est la raison d’être de la justice. Et elle voudrait aujourd’hui que nous adhérions tous à cette réforme qui éloigne la justice du justiciable ? Car nous ne sommes pas dupes, la justice du 21ème siècle, dont la seule philosophie est de répondre à une nécessité de restriction budgétaire est loin de nous satisfaire.

Création d’un tribunal unique de première instance et mutualisation des moyens. Magistrat délesté de certaines tâches. Justice délestée de magistrats. Greffier juridictionnel enrichi de nouvelles compétences en échange d’une revalorisation salariale insignifiante.

Et nous aurons, pour seule satisfaction, d’avoir contribuer à l’effort de réduction des coûts pour sauver notre pays d’un endettement pharaonique dans les années à venir.

Note

[1] Juge d’Application des Peines.


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