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Décret d'abolition de l'esclavage du 27 avril 1848

- Wikipedia, 4/02/2012

Statue de la ville de Cayenne rendant hommage à Victor Schoelcher, rédacteur du Décret d'abolition de l'esclavage du 27 avril 1848

Le deuxième décret de l'abolition de l'esclavage en France a été signé le 27 avril 1848 par le Gouvernement provisoire de la deuxième République[1]. Il a été adopté sous l'impulsion de Victor Schoelcher. L'acte français d'abolition de l'esclavage à l'époque moderne est le résultat d'une longue gestation commencé avec la Controverse de Valladolid en 1550, poursuivie aux Amériques et dans l'Ancien Monde, avec les Sociétés des amis des Noirs particulièrement.

Sommaire

La première abolition du 4 février 1794

L'abolition de l'esclavage a été proclamée une première fois en France pendant la Révolution, à l'initiative de l'abbé Henri Grégoire le 4 février 1794. Malgré l'opposition des planteurs ou de la bourgeoisie de commerce des ports qui font valoir que la libération des esclaves ruinerait les colonies françaises, les conventionnels mettent en œuvre le principe révolutionnaire selon lequel « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Il s'agit également de gagner l'appui des esclaves haïtiens menés par Toussaint Louverture dans leur révolte contre les colons, devenus pro-britanniques, de Saint-Domingue, l'actuelle Haïti. Par la loi du 20 mai 1802, le Premier Consul Napoléon Bonaparte annule ces dispositions, autorisant à nouveau l'esclavage dans les territoires français d'outre-mer concernés par le traité d'Amiens. Si elle ne vise donc pas la Guadeloupe, la Guyane et Saint-Domingue, elle entraîne progressivement le rétablissement de l'esclavage dans l'ensemble des colonies françaises, à la Guadeloupe en 1802 et en Guyane en 1803[2]. La révolte reprend ainsi à la Guadeloupe et à Haïti qui parvient à arracher son indépendance. Napoléon, à son retour de l’île d’Elbe, supprimera la traite des noirs « sans restriction » ainsi que la vente des Noirs dans toutes les colonies françaises, par la loi du 29 mars 1815. Louis XVIII renouvela l’abolition sans réserve et pour toujours, par un article supplémentaire conclu avec l’Angleterre le 20 mars 1815, et par l’ordonnance royale du 8 janvier 1817, que vint confirmer la loi du 15 avril 1818. Cette dernière loi prononçait la confiscation des navires pris faisant la traite et l’interdiction de leurs capitaines.

L'interdiction de la traite

En 1807, le Royaume-Uni vote, après vingt années de débats, l'abolition de la traite des esclaves. Soucieux de ne pas être pénalisé face à ses concurrents français et espagnols, il négocie lors du Congrès de Vienne, au moment de la liquidation du contentieux créé par la Révolution et l'Empire, l'adoption par les nations européenne du principe de l'abolition de la traite. Une déclaration commune est signée le 8 février 1815 : elle laisse aux pays concernés toute latitude pour l'organisation de la répression d'un commerce désormais considéré comme « répugnant aux principes d'humanité et de morale universelle »[3]. Mal acceptée par les Français qui la considèrent comme « importée dans les fourgons de l'étranger »[réf. souhaitée], elle rencontre l'opposition des ports atlantiques (Bordeaux, Nantes) qui espèrent reprendre le fructueux négoce, interrompu, depuis 1793, par le blocus britannique. Si les lois, règlements et circulaires français interdisent officiellement la traite, le ministre de la Marine de 1819 à 1821, le comte Portal, ancien armateur bordelais, et de 1824 à 1827, le comte Villèle, premier ministre et parent de planteurs de l'Ile Bourbon (La Réunion) sont volontairement très laxistes dans l'application de la législation.

À partir de 1827, la Traite est considérée comme un crime et les négriers risquent la confiscation, une amende et le bannissement. Cependant de 1827 à 1830, cinquante navires quittent Nantes dans des conditions qui font suspecter la continuation du trafic. En 1831, le ministère Laffitte, où siègent de nombreux membres de la Société de morale chrétienne, une organisation d'oppositionnels libéraux engagés dans le combat contre la traite, fait adopter une loi qui vise à son abolition définitive : elle prévoit vingt à trente ans de travaux forcés pour les responsables, la réclusion pour l'équipage du navire et un engagement de sept ans dans les colonies pour les esclaves libérés lors de la prise du navire. La traite se poursuivra toutefois clandestinement, pour le compte d'autres pays, au-delà même du décret d'abolition de l'esclavage de 1848[4].

Cependant abolir la Traite n'est pas abolir l'esclavage. Là encore le Royaume-Uni montre l'exemple. En août 1833, une abolition progressive de l'esclavage est votée avec effet un an plus tard. Elle prévoit une période transitoire : l'esclave doit accomplir un « apprentissage » de cinq ans s'il est ouvrier agricole ou de sept ans s'il est domestique.

L'abolition repoussée sous la Monarchie de Juillet

Voir le contexte politique de la Monarchie de Juillet

Aménagement de la condition servile

Éludant la question de l'abolition (notamment à cause du montant de l'indemnisation qu'il faut payer aux colons en cas d'abolition), les gouvernement successifs de la Monarchie de Juillet entendent concentrer leur action sur l'amélioration progressive de la condition servile. Deux types d'argumentaire accompagnent l'évolution de la législation. Les partisans d'un maintien du système esclavagiste cherchent à substituer à l'abolition une amélioration des conditions matérielles des esclaves. Les modérés pensent que les esclaves doivent être « préparés à la liberté » avant de prétendre pouvoir en jouir pleinement : l'éducation et la conversion religieuse apparaissent comme des préludes à une abolition sans cesse repoussée. Après l'adoption des lois Mackau en 1845, le duc de Broglie estimait ainsi que « la loi actuelle est une loi de préparation à l'émancipation, loi qui arrivera un jour à améliorer la condition des noirs, à les rendre dignes de la liberté »[5].

La législation s'oriente dans trois directions :

  • l'amélioration des conditions de vie des esclaves, qui passe principalement par une limitation de la violence que le planteur peut légalement exercer sur ses esclaves.

Le 30 avril 1833, la mutilation et le marquage aux fers des esclaves fugitifs (dispositions du Code Noir de 1685) sont interdits.

  • l'assouplissement des règles d'affranchissement.

Le 1er mars et le 12 juillet 1831, est décidée la suppression de la taxe sur les affranchissements d'esclaves. Le 29 avril 1836, les affranchis amenés en France sont dotés d'un état-civil. Le 11 juin 1839, on décide des cas d'affranchissement de droit et un recensement régulier des esclaves est prévu.

  • l'incitation à l'éducation des esclaves.

Le 5 janvier 1840, il est décidé que les esclaves doivent recevoir une instruction primaire et religieuse sous le contrôle de magistrats qui doivent visiter les plantations.

Les lois Mackau

Article détaillé : Lois Mackau.

Les lois Mackau constituent la dernière vague législative avant l'abolition de 1848. Votées en juillet 1845, elles reprennent la logique des textes précédents, sans marquer de rupture vers l'abolition. Elles rendent obligatoire une durée minimale accordée à l'instruction des esclaves. Elles limitent à quinze le nombre de fouets que les propriétaires peuvent dispenser sans avoir à recourir à une autorisation judiciaire. Les esclaves mariés mais de maîtres différents obtiennent le droit de réunion.

En juillet 1846, le roi Louis-Philippe Ier abolit l'esclavage dans les domaines royaux de la Martinique et de la Guadeloupe et dans l'île de Mayotte qui vient d'être acquise par la France. Mais Guizot, principal ministre, n'entend pas aller plus loin.

Une application aléatoire

L'application de ses différentes mesures dans les colonies est très aléatoire comme ne manquent pas de le souligner les partisans de l'abolition. Ledru-Rollin et Agénor de Gasparin s'opposent ainsi au projet de loi Mackau lors des séances de la Chambre des députés en dénonçant l'inutilité de législations successives qui restent largement inappliquées[6]. Dans les colonies, l'ouverture de nouvelles écoles s'est par exemple assortie d'une sélection des élèves par les maires qui vise manifestement à en exclure les esclaves[7].

L'action de Victor Schoelcher

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Dès 1831, après un voyage à Cuba, il affirme dans La Revue de Paris, que les esclaves sont des hommes donc sont libres de droit. En 1833, dans De l'esclavage et de la législation coloniale, il propose une libération progressive évitant les vengeances raciales et permettant aux esclaves d'acquérir l'autonomie économique et intellectuelle. Puis en 1838, participant au concours littéraire organisé par la Société de morale chrétienne, il préconise une libération immédiate sans période transitoire. À la suite de son voyage aux Antilles, en 1840-1841, il dédicace aux planteurs son ouvrage Colonies françaises, abolition immédiate de l'esclavage et propose d'interdire le sucre de betterave pour le remplacer par le sucre de canne. En avril 1847, la campagne de pétitions de la Société de morale chrétienne, recueille 11 000 signatures (dont celles de trois évêques, dix-neuf vicaires généraux, plus de huit cent cinquante prêtres, près de quatre-vingt dix présidents de consistoire ou pasteurs, six mille négociants).

4 mars 1848, haut-relief en bronze de Léopold Morice, Monument à la République, Place de la République, Paris, 1883

À la fin de février 1848, pendant son voyage d'enquête au Sénégal, Schoelcher apprend la chute du roi Louis-Philippe. Il regagne paris, contacte François Arago, ministre de la Marine et des Colonies qui le nomme sous-secrétaire d'État chargé des colonies et des mesures relatives à l'esclavage. Le 4 mars 1848, le décret, qui nomme Schoelcher, Président de la Commission d'abolition de l'esclavage chargée de préparer l'émancipation, est signé par le gouvernement provisoire de la toute jeune République. Le 5 mars, la commission voit le jour ; elle est présidée par Schoelcher (elle comprend le directeur des colonies, un chef de bataillon d'artillerie de marine, un avocat à la Cour de Cassation, un ouvrier horloger). Elle tient sa première réunion le 6 mars, et le 27 avril, elle propose une série de douze décrets[8] qui émancipent les esclaves (un article leur octroie le statut de citoyen, ils sont désormais appelés « nouveaux citoyens » ou « nouveaux libres ») et organisent l'avenir dans les colonies. Des ateliers nationaux sont établis dans les colonies ; on crée des ateliers de discipline pour la répression de la mendicité ainsi qu'une caisse d'épargne ; un décret agence l'impôt personnel, les taxes sur les tafias, vins et spiritueux ; un autre institue une fête du Travail dans les colonies ; un décret organise les hypothèques ; les commissaires généraux de la République sont créés et envoyés dans les colonies pour y appliquer les décrets ; la liberté de la presse est étendue aux colonies ; un décret précise les modalités du recrutement militaire, de l'inscription maritime, de la garde nationale (extension des dispositions ayant cours en France) ; le sort des vieillards, des infirmes et des orphelins est pris en charge ; des jurys cantonaux sont créés.

Ainsi près de 248 500 esclaves sont libérés (plus de 87 000 en Guadeloupe, près de 74 450 en Martinique, 60 650 à La Réunion, 12 500 en Guyane, plus de 10 000 au Sénégal d'après les demandes d'indemnisation présentées par les propriétaires).

L'application des décrets

La nouvelle que la République abolit l'esclavage (décision du gouvernement provisoire du 4 mars) parvient quelques semaines plus tard dans les colonies américaines et y provoque une profonde émotion. Aussi quand les décrets du 24 avril y parviennent la situation est explosive. Les décrets prévoient deux mois de délai mais les évènements précipitent les décisions. Le 23 mai, en Martinique, à la suite de désordres liés à la connaissance des décisions parisiennes, les autorités de Saint-Pierre et Fort Royal, abolissent l'esclavage. Le 27 mai, alors que la situation est plus calme, le gouverneur de la Guadeloupe proclame l'abolition générale. Fin mai, l'île de la Réunion est enfin mise au courant, mais le gouverneur attend le 20 décembre pour appliquer les décrets. Ce n'est que le 10 juin que le gouverneur de la Guyane prend la même décision (avec effets au 10 août).

La situation est plus délicate en Algérie et au Sénégal, car une partie des esclaves appartiennent aux indigènes. En Algérie, le décret est mal appliqué dans les campagnes. Au Sénégal pour ne pas mécontenter les Maures qui sont esclavagistes, mais qui assurent le ravitaillement de la colonie, le gouverneur demande aux autorités locales de refouler les esclaves qui rechercheraient asile dans les colonies françaises.

Une loi votée le 30 avril 1849, indemnise les planteurs et les colons. Ceux-ci reçoivent environ six millions de francs pour dédommagement de la libération de près de leurs 248 500 esclaves.

De 1848 à 1870, les décrets d'abolition sont mal appliqués ou amendés : les cadres de l'esclavage sont reconstruits par les autorités locales qui proclament des arrêtés de « police du travail », imposant notamment des passeports intérieurs[9].

Un mouvement généralisé

À la même époque un grand nombre d'états pratiquant la traite et l'esclavage, décident de les abolir. Les États-Unis dans leur constitution de 1787, interdisent la traite, décision appliquée à partir de 1807, par contre l'esclavage est maintenu. Le Royaume-Uni est à la pointe du combat abolitionniste. Le 6 février 1807, une loi fixe la limite de la Traite pour le 1er janvier 1809. Le 15 août 1833, les Britanniques abolissent l'esclavage (avec effet au 1er août 1834). En 1835, au cours des troubles métropolitains qui suivent la mort de Ferdinand VII, le gouvernement libéral espagnol abolit la traite dans les colonies de la couronne. L'année suivant le Portugal en fait de même, mais l'application est peu suivie et le décret n'est même pas publié au Mozambique (qui fait partie de la zone où se pratique la traite en direction des pays de l'Océan indien et du golfe persique). Le 3 décembre 1837, par son bref pontifical In suprema apostolatus fastigio, le pape Grégoire XVI condamne la traite et l'esclavage. Le 28 juillet 1847, le Danemark, qui avait interdit la traite dès 1802, abolit l'esclavage dans ses colonies des Antilles mais prévoit un délai de 12 ans, cependant dès l'année suivante il accorde la liberté immédiate (3 juillet 1848). En 1850, le Brésil réprime la traite. À partir de 1854, le Portugal libère progressivement les esclaves de ses possessions. En 1856, ce sont ceux des municipalités, des établissements charitables de l'Ordre de la Miséricorde puis ceux des églises. Le 5 juillet 1856, les esclaves d'Angola sont libres et le 25, août 1856, ce sont ceux des Indes portugaises qui obtiennent leur liberté. Ce n'est que le 1er janvier 1860 que les Pays-Bas suppriment l'esclavage en Malaisie; par contre les Antilles et la Guyane néerlandaise devront attendre 1863. Le 1er janvier 1863, le président américain Abraham Lincoln signe le décret qui libère les esclaves des États du Sud des États-Unis, au milieu de la guerre de Sécession (1861-1865), mais la loi ne sera votée que le 8 avril 1864 à la Chambre des représentants, le 31 janvier 1865 par le Sénat et ce ne sera que le 18 décembre 1865, que les trois-quarts des états alors constitués l'ont ratifiée.

Articles connexes

Bibliographie

  • Les différents ouvrages de Victor Schoelcher.
  • Janine Alexandre-Debray, Victor Schoelcher. L'homme qui a fait abolir l'esclavage, Paris, Perrin, 2006.
  • Nelly Schmidt, L'abolition de l'esclavage. Cinq siècles de combats (XVIe siècle-XXe siècle), Paris, Fayard, 2005.
  • Nelly Schmidt, Abolitionnistes de l'esclavage et réformateurs des colonies. Analyse et documents, Paris, Karthala, 2000.
  • Laurence C. Jennings, French anti-slavery. The movement for the abolition of slavery in France, 1802-1848, Cambridge University Press, 2000.
  • Françoise Vergès, Abolir l'esclavage. Une utopie coloniale. Les ambiguïtés d'une politique humanitaire, Paris, Albin Michel, 2001.

Notes et références

  1. Site de l'assemblée nationale
  2. Nelly Schmidt, L'abolition de l'esclavage. Cinq siècles de combats, Fayard, 2005, p. 99.
  3. Voir « Déclaration des puissances sur l'abolition de la traite des Nègres », dans Karl von Martens , Ferdinand de Cornot Cussy, Recueil manuel et pratique de traités, conventions et autres actes diplomatiques, F.A. Brockhaus, 1846.
  4. Nelly Schmidt, op. cit., p. 126.
  5. Cité dans Nelly Schmidt, op. cit., p. 159.
  6. Nelly Schmidt, op. cit., p. 223.
  7. Ibid.
  8. Abolitionnistes de l'esclavage et réformateurs des colonies : 1820-1851 : analyse et documents / Nelly Schmidt - pages 330 et 331
  9. Oruno D. Lara, La liberté assassinée: Guadeloupe, Guyane, Martinique et la Réunion en 1848-1856, Éd. L'Harmattan, 2005

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