Charles Bonaventure Marie Toullier
- Wikipedia, 1/11/2011
Charles Bonaventure Marie Toullier, né à Dol-de-Bretagne le 21 janvier 1752[1] et mort à Rennes le 19 septembre 1835, est un jurisconsulte français.
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Biographie
Élevé par sa mère, il fit à Caen ses études de philosophie, puis il prit ses grades à la faculté de Rennes, qui comptait parmi ses membres MM. Loncle, Drouin, Loisel, Auguste-Marie Poullain-Duparc. Ce dernier devina les dispositions de son élève. À vingt-cinq ans, le 28 décembre1776, Touiller était docteur, grade qui exigeait alors de bien plus fortes études que de nos jours. Le 12 avril 1778, il obtenait, par la voie du concours, le titre de professeur agrégé à l'Université de Rennes. Un voyage en Angleterre lui permit de compléter ses études dans les universités d'Oxford et de Cambridge, où il puisa quelques idées de législation comparée, qu'il devait mettre plus tard à profit. Il occupa sa chaire jusqu'à la Révolution. Alors se trouvaient à Rennes plusieurs hommes devenus célèbres : Lanjuinais, professeur de droit-canon, Le Chapellier, Jean Victor Marie Moreau, simple étudiant en droit ; Bigot de Préameneu et de Fermon. Toullier fut pendant quelque temps administrateur de district. Il se démit bientôt de ses fonctions et rentra au barreau.
Patriote de 1789, il ne vit pas sans plaisir les commencements de la Révolution française. La plupart des légistes, formés à l'école de Montesquieu et de Voltaire, étaient engoués du système représentatif anglais et de ce qu'on a appelé depuis les grands principes de 1789. Toutefois, Toullier ne prit part à aucun excès ; il se montra même très dévoué à son frère, prêtre non assermenté, poursuivi par Carrier et traqué de retraite en retraite. Il acheta le manoir de Saint-Armel à Bruz. Après la Terreur, il devint juge du tribunal d'Ille-et-Vilaine, puis rentra au barreau et défendit devant les tribunaux et les conseils de guerre plusieurs victimes politiques. Son nom fut porté, en 1799, sur une liste d'otages réservés à l'exil et à la détention ; le 18 brumaire le sauva. De nombreuses contestations élevées entre l'État, comme représentant des émigrés, et les familles de ces émigrés, furent déférées à son arbitrage.
La conduite de Toullier dans ces circonstances fut en tout conforme aux devoirs de son ministère. Nommé professeur lors de la réorganisation des écoles, il désirait la chaire de droit romain, et il obtint celle de droit français. Cette déception nous a valu le remarquable ouvrage composé par lui, et dont ses cahiers, rédigés pour ses cours, contenaient le germe. Dès lors la vie de Toullier fut consacrée à ses devoirs de professeur et à l'achèvement de cet important travail. Elle ne fut troublée que par une mésaventure à laquelle il a consacré une préface assez vive placée en tête de son huitième volume.
En 1811 (il avait presque soixante ans), il commença la publication de son ouvrage, et il reçut sa nomination au décanat, avec une lettre flatteuse de Fontanes, alors grand maître de l'université. On sait que les opinions politiques ont toujours soulevé beaucoup d'orages en Bretagne, et notamment à Rennes.
En 1816, les élèves se servaient de tablettes de bois pour recueillir des notes, en suivant les cours. On trouva sur ces tablettes des espèces de rébus, des lettres initiales qu'on pouvait expliquer en plusieurs sens, dont l'un était infiniment criminel (c'est Toullier même qui le dit). La police en fut instruite plus tôt que les professeurs ; les tablettes furent saisies et l'on punit l'élève jugé coupable. Toullier rendit compte de ce fait à la commission de l'instruction publique, à laquelle le procès-verbal du commissaire de police fut envoyé. Le 31 décembre 1816, elle rendit un arrêté qui suspendait Toullier de ses fonctions de doyen, « vu le procès-verbal portant qu'il avait été trouvé dans les auditoires de la faculté de droit des inscriptions injurieuses au gouvernement légitime, et attendu que les élèves n'avaient pas été convenablement surveillés et qu'il ne leur avait pas été inspiré des sentiments tels que l'État avait droit de les attendre».
Une ordonnance du 5 février 1817 nomma une commission chargée d'informer contre les élèves coupables. Le roi se réservait de faire connaître sa volonté à l'égard des professeurs. Un inspecteur fut envoyé à Rennes ; des délations furent portées contre les professeurs. Un comité de quelques personnes fut consulté, et le tout fut terminé par un rapport dans lequel Toullier ne fut pas incriminé, mais Jean-Marie Emmanuel Legraverend fut destitué le 12 février 1817. Alors de Corbière, qui ensuite a été ministre de l'intérieur, fut présenté pour la chaire vacante. « Nous avions toujours désiré, dit Toullier, voir M. de Corbière parmi nous. C'est un élève de nos anciennes facultés ; j'avais été son examinateur lors de sa thèse de licence, le 3 avril 1788... Tous mes confrères partageaient mes sentiments pour lui. Il fut présenté... » Si Toullier désirait la nomination de M. de Corbière, il ne s'attendait pas à lui voir décerner le décanat, ce qui ne lui laissait que le titre de doyen d'âge et de services. Voici l'explication que Toullier donne de ce fait : « Les talents de M. de Corbière s'étaient développés à la tribune nationale, il était regardé comme l'un des chefs de l'opposition. Il avait énergi- giquement manifesté, à la tribune et dans ses rapports imprimés, des opinions contraires à l'université. Le président de la commission le connaissait beaucoup ; il désira peut-être gagner un adversaire aussi redoutable, car on s'attendait à voir attaquer fortement l'université. »
La préface de Toullier, où nous avons puisé ce récit, reconnaît que M. de Corbière pouvait être nommé doyen, les trois années de l'ancien décanat étant expirées. Toullier se plaint seulement d'avoir été accusé et condamné sans preuves. En outre, la nomination de M. de Corbière n'avait pas été précédée de la présentation de deux candidats, ainsi que le voulait l'ordonnance du 17 février 1818. Toullier ne manque pas de rappeler en note que, quelque temps auparavant, dans une circonstance semblable, les confrères de Proudhon à Dijon avaient refusé de le remplacer. Le décanat fut rendu à Toullier en 1830. Il mourut à Rennes le 19 septembre 1835. Il était bâtonnier de l'ordre des avocats de cette ville et membre de l'ordre de la Légion d'honneur.
En 1864, la rue Toullier dans le 5e arrondissement de Paris, proche de la Faculté de droit et de la Sorbonne, fut renommée en hommage.
Publications
Les huit premiers volumes de son ouvrage ont été publiés de 1811 à 1818 :
- Droit civil français suivant l'ordre du Code Napoléon, ouvrage dans lequel on a tâché de réunir la théorie à la pratique, Paris, 1811-1831, 14 vol. in-8° ;
- Supplément à la première édition des huit premiers volumes du Droit civil français, Paris, 1820, fort vol. in-8°. De 1821 à 1823 ont paru les tomes 9 à 11, avec une table générale à la fin du 11e volume. De 1826 à 1831, les tomes 12 à 14 (contrat de mariage), avec table. Le Journal de la librairie donne les indications suivantes pour les autres éditions : 2e édition, 1820, t. 1 à 3 et 6 ; 3e édit. nihil ; 4e édit., 1824, Paris, t. l à 4, 6 à 9, 10 exemplaires sur papier vélin ; les douze premiers volumes portent la date de mais M. Quérard suppose que les titres ont été réimprimés. Deux tables, l'une des matières et l'autre des articles du code traités dans l'ouvrage, sont dues à M. Morel, successeur de Toullier. 5e édit., Paris, J. Renouard. 1837, vol. in-8° ; t. 15, table des matières par M. Martin Jouaust, 1834, in-8°[2]. L'ouvrage de Toullier a été traduit en allemand, Francfort ; en italien, Naples ; il y a eu trois contrefaçons belges, 1829, 13 vol. in-8°, intitulés 3e édition ; vol. grand in-8°, 28 livraisons ; 1834, vol, in-8° ; éloge de Toullier, prononcé le 24 novembre 1836 à la reprise des conférences de l'ordre des avocats, par M. Paulmier, avocat (Observateur des tribunaux, journal des documents judiciaires, par Eugène Roch, t. 12).
L'ouvrage de Toullier a donné lieu aux publications suivantes :
- Dissertation sur l'art. 585 du code civil, et réfutation de la doctrine de M. Toullier sur une question née de cet article, par le Guével, Rennes, in-8°, 64 pages ;
- Annotations critiques sur la doctrine de Toullier dans son traité du droit civil français, suivant l'ordre du code, recueillies sur les cinq premiers volumes contenant la matière des premier et deuxième du troisième livre du code civil, par P.-J. Spinnael, avocat à la cour supérieure de justice, à Bruxelles, Gand et Lille, 1825, in-8° de v et 193 pages ;
- Annotations, etc., recueillies sur les volumes 6 à 11, contenant la matière du titre 3, 3e livre du code civil, par. le même, Gand, Debuscher et fils ; Lille, 1825, in-8° de v et 147 pages.
- Lettres adressées à M. Toullier, etc., sur quelques erreurs énoncées dans le titre 12 du cours du droit français, relatives à la communauté des époux, par M. le Guével, Paris, 1828, in-8° de pages ; une première lettre du même, 1827, in-8° de 16 pages. Ces lettres et des observations de M. Demanté, dans la Thémis, sur la doctrine de Toullier, quant au mariage, ont été réunies sous ce titre : Appendice au tome 12 du Droit civil français, par M. Toullier, Bruxelles, 1828, in-8°. Toullier et Merlin marquent la transition entre l'ancienne doctrine et la nouvelle. Le Répertoire de jurisprudence applique les principes aux espèces ; l'ouvrage de Toullier est théorique. Toullier se vantait avec raison d'avoir introduit la philosophie dans l'étude du droit ; de là le point de vue élevé auquel il se place toujours. Son style est clair, qualité bien importante chez un jurisconsulte, et s'il est quelquefois diffus, il
n'est pas dénué d'élégance. L'ouvrage manque de proportion : les commencements ne sont pas développés, mais le Traité sur la propriété et ses modifications annonce l'auteur du Traité des obligations. Dans son Traité des obligations, il a surpassé Pothier, dit M. Dupin (Lettres sur la profession d'avocat), qui l'appelle le Pothier moderne. C'est, ajoute-t-il, le plus parfait des ouvrages qui ont paru sur le code. » Suivant Merlin, l'ouvrage de Toullier est plus savant, plus fortement raisonné et mieux distribué que Pothier. Le Traité du contrat de mariage qui suit est loin de valoir le Traité des obligations ; il se ressent de la vieillesse de l'auteur.
« Toullier, dit un jurisconsulte célèbre, appartient par sa renommée à tous les barreaux de France. » (Discours d'ouverture à la cour de cassation, 1835[3])
Notes
- ↑ Et non pas à Rennes, vers 1761 comme le dit M. Quérard dans la France littéraire.
- ↑ Toullier n'a expliqué que la moitié à peu près du code. Troplong, le droit civil expliqué suivant l'ordre des articles du code, depuis et y compris le titre de la vente ; ouvrage qui fait suite à celui de Toullier ; 23 volumes in-8°, 1831-1852..- Toullier, droit civil français suivant l'ordre du code, ouvrage dans lequel on a tâché de réunir la théorie à la pratique, 6e édition, continuée et annotée par Jean-Baptiste Duvergier, 1846-1848, 14 vol. in-8° ; continuation de la 6e édition du droit civil, par Toullier, 6 vol. in-8°.
- ↑ On a encore de Toullier : Consultation de plusieurs anciens avocats de Rennes sur la validité des mariages contractés par les émigrés français avant leur retour, et le rétablissement dans leurs droits civils, ouvrage qui peut servir de supplément ou d'appendice à ce que dit le rédacteur sur la mort civile et sur le mariage, dans le premier volume de son ouvrage sur le code civil, dont il parut 7 volumes, Paris, 1817, in-8° de 58 pages. - Consultation signée de six avocats et rédigée par Toullier.
Source
« Charles Bonaventure Marie Toullier », dans Louis-Gabriel Michaud, Biographie universelle ancienne et moderne : histoire par ordre alphabétique de la vie publique et privée de tous les hommes avec la collaboration de plus de 300 savants et littérateurs français ou étrangers, 2e édition, 1843-1865 [détail de l’édition]