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Droit de cuissage

- Wikipedia, 18/12/2011

Vassili Polenov : Le droit du Seigneur (1874).

Le droit de cuissage, ou droit de jambage, est une coutume prétendue qui aurait permis à un seigneur d'avoir des relations sexuelles avec la femme d'un vassal ou d'un serf la première nuit de ses noces. Ce « droit » aurait été dérivé du droit de quitage, ayant réellement existé, qui obligeait un serf devant marier sa fille en dehors du fief de son seigneur à donner au dit seigneur trois sous en échange de son autorisation symbolique du mariage[1].

Ce droit de cuissage, avec le sens qu'on lui donne aujourd'hui, fut évoqué pour la première fois chez le jurisconsulte Jean Papon, qui aurait conféré aux seigneurs du Moyen Âge, soit le droit de passer une jambe nue dans le lit de la mariée, soit celui de consommer le mariage. Aux XVIIIe et XIXe siècles, des écrivains et historiens comme Voltaire dans son Essai sur les mœurs[2] ou Jules Michelet ont accrédité cette thèse. Ce dernier multiplie les détails à ce sujet dans La Sorcière :

« Le seigneur ecclésiastique, comme le seigneur laïque, a ce droit immonde. Dans une paroisse des environs de Bourges, le Curé, étant seigneur, réclamait expressément les prémices de la mariée, mais voulait bien en pratique vendre au mari, pour argent, la virginité de sa femme » et plus loin, parlant des seigneurs : « On voit d’ici la scène honteuse. Le jeune époux amenant au château son épousée. On imagine les rires des chevaliers, des valets, les espiègleries des pages autour de ces infortunés. — « La présence de la châtelaine les retiendra ? » Point du tout. La dame que les romans veulent faire croire si délicate, mais qui commandait aux hommes dans l’absence du mari, qui jugeait, qui châtiait, qui ordonnait des supplices, qui tenait le mari même par les fiefs qu’elle apportait, cette dame n’était guère tendre, pour une serve surtout qui peut-être était jolie. Ayant fort publiquement, selon l’usage d’alors, son chevalier et son page, elle n’était pas fâchée d’autoriser ses libertés par les libertés du mari[3]. »

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En réalité, nul n'a jamais retrouvé mention de cet usage dans le droit positif français, ni dans les coutumes de France, ni dans les archives publiques du contentieux civil ou fiscal[4]. Au contraire, on trouve des condamnations de seigneurs punis pour avoir abusé de leur position d'autorité pour commettre des abus sexuels[5].

Sommaire

Histoire

Voltaire, dans le Dictionnaire philosophique, à l'article « Cuissage ou Culage, droit de prélibation, de marquette, etc. », se montre lui-même sceptique et convient que des grands ont pu jadis imposer la coutume par la force, mais ajoute : « Remarquons bien que cet excès de tyrannie ne fut jamais approuvé par aucune loi publique. Si un seigneur ou un prélat avait assigné par-devant un tribunal réglé une fille fiancée à un de ses vassaux pour venir lui payer sa redevance, il eût perdu sans doute sa cause avec dépens[6]. ». La version libertine du « droit de cuissage » a été utilisée pour servir de thème à des œuvres littéraires galantes du XVIIIe siècle comme L’Innocence du premier âge en France ou histoire amoureuse de Pierre Le Long et de Blanche Bazu ; suivie de La Rose ou la fête de Salency, de Louis-Edme Billardon de Sauvigny, 1765. Elle est ensuite reprise dans un but idéologique afin de dénigrer l'Ancien Régime et son système féodal[7], par exemple dans le Mariage de Figaro de Beaumarchais. Ainsi est né le mythe du droit de cuissage.

Situation contemporaine

De nos jours, l'expression est largement utilisée, souvent de manière crédule, parfois en guise de métaphore. Ainsi dira-t-on qu'un supérieur s'est arrogé un droit de cuissage sur une employée quand il a abusé de sa position hiérarchique pour parvenir à assouvir une envie sexuelle. De tels abus sont maintenant considérés comme des délits graves puisqu'ils constituent des cas de harcèlement sexuel sur le lieu de travail (sollicitation de rapport sexuel au travail sous peine de sanction) ou de viol.

Bibliographie

Notes

  1. Quid.fr, 2007, Histoire de France / Féodalité.
  2. Chapitre 52,édition de Louis Moland, t. 11, p. 428. Consultable sur Wikisource
  3. La Sorcière publiée par l'Université du Québec à Chicoutimi, p. 43 et suiv.
  4. Alain Boureau, Le Droit de cuissage. La Fabrication d'un mythe, XIIIeXXe siècle, 1995, Editions Albin Michel, ISBN 2-226-07634-4,
  5. Voir par exemple "Mémoires sur les Grands jours d'Auvergne d' Esprit Fléchier, ou la biographie du Marquis de Sade
  6. Selon http://www.zetetique.ldh.org/cuissage.html, le droit de cullage n'avait rien à voir avec ce qu'on appelle aujourd'hui cuissage, mais était un contrôle du seigneur sur le mariage hors-seigneurie. Il serait associé au cuissage pour des raisons d'homonymie uniquement.
  7. Lire sur le Blog Dalloz, qui émane du grand éditeur juridique, Droit de cuissage et autres gaillardises. « La controverse a vraiment pris corps au XIXe siècle et on pourrait la résumer par l'affrontement opposant les libéraux et anticléricaux - tenants de l'existence du droit de cuissage, et donc ses pourfendeurs -, aux catholiques, pour certains royalistes, avides de réhabiliter l'honneur du système féodal. L'enjeu ? Politique évidemment, puisque dénigrer l'Ancien Régime en dénonçant ses abus, sa barbarie et son oppression revenait, implicitement, à louer la République. »

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