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« Aujourd’hui, j’ai découvert que le droit à la sûreté n’était pas garanti en France en 2018 »

Journal d'un avocat - Eolas, 5/05/2018

Aujourd’hui, j’accueille sur mon blog un confrère, BetterCallBen, qui a voulu exprimer par écrit son désarroi après avoir assisté en garde à vue un mineur interpellé lors de la manifestation du 1er mai dernier. Voici son récit, que je commenterai ensuite dans une postface. Bonne lecture.%%Eolas

Je suis avocat. D’aucuns diraient un jeune avocat puisque je n’exerce que depuis un peu plus de 3 ans. Je pratique essentiellement le droit des étrangers et le droit pénal, que j’enseigne par ailleurs à l’Université depuis plusieurs années. Au travers de ces enseignements, je distille modestement à mes étudiants un certain nombre de principes, dont certains me semblaient jusque-là immuables et inscrits dans le marbre de l’évidence : le principe de légalité, impliquant que nul ne peut être poursuivi ni condamné sans texte ; le principe d’interprétation stricte de la loi pénale, qui veut que celle-ci soit claire et intelligible pour que personne ne puisse être poursuivi ou condamné pour un comportement qui ne serait pas strictement prescrit ; ou encore le droit à la sûreté, entendu comme la garantie de ne pas être poursuivi, condamné ou détenu arbitrairement. En somme, le sceau de la confiance des citoyens en une réaction de l’État justifiée, nécessaire et proportionnée. Erigés au rang de droits de l’Homme en 1789, héritage de la pensée précurseure de Cesare Beccaria, je n’avais naïvement que peu de doute dans leur parfaite effectivité, tant ils relèvent aujourd’hui de l’évidence.

Or, sans doute tout aussi naïvement, j’ai pu récemment faire le constat de mon erreur en croisant le chemin de celui que l’on appellera Paul, un mineur de 15 ans, privé pendant plus de 50 heures de sa liberté pour avoir simplement décidé, un mardi 1er mai 2018, de se rendre à sa première manifestation.

Paul a 15 ans donc. Il vit dans un milieu social en apparence confortable, en banlieue parisienne. Précoce à la curiosité débordante et doté d’une maturité certaine pour son âge, Paul se passionne pour nombre de sujets qui croisent son quotidien, un jour la mécanique, un autre la photo, et ce jour ce fût les mouvements sociaux se cristallisant en cette grande messe annuelle qu’est le 1er mai. « Je veux y aller pour défendre tes droits » dira-t-il à sa mère. Il veut surtout y aller par goût de la curiosité, de la découverte du monde des adultes, l’envie de jouer les reporters en culotte courte et sans doute aussi par le caractère transgressif de la contestation sociale, fût-elle légalement orchestrée. Derrière son côté tête brûlée, Paul reste raisonnable et se renseigne sur Internet sur ce qu’implique la participation à une telle manifestation, sa première ! Il découvre les risques d’échauffourées, les groupuscules extrémistes sources de violences et de dégradations, et la réaction étatique au goût âcre et asphyxiant des lacrymos. Prudent, il décide donc de se munir d’un masque de ski et d’un masque de chantier pouvant filtrer l’air ambiant, celui que l’on trouve à la quincaillerie du coin de la rue, rudimentaire mais qui fait le job.

Et le voilà parti pour Paris, accompagné de son Sancho Pança, à la conquête de l’assouvissement de sa curiosité juvénile. Il se mêle à la foule, sous les banderoles de la CGT. Il filme la foule, en immersion avec sa Go Pro, se sentant l’âme d’un journaliste d’investigation. Quand soudain, son périple le conduit dans une masse plus sombre, plus enragée, plus vindicative. Et tout s’accélère. Il voit la masse se mettre à courir, s’en prendre au mobilier urbain, envahir et mettre à sac un fast-food, piller une concession automobile, tout ça au su et à la vue de tous. Mais où est passé l’Etat ? Notre Bernard de la Villardière en herbe constate les stigmates de ces invasions barbares au moment où les CRS interviennent enfin, exhortant les badauds présents à se réunir à distance des assaillants, entre deux rangées de l’unité d’intervention.

Ai-je croisé le chemin de Paul à l’occasion de cette manifestation, dans ce groupe de rescapés ? Non, je n’y étais pas. J’avoue que cela ne m’intéresse guère et pour en avoir vu le déroulement, je loue mon désintérêt. Puis, je ne l’aurais sans doute jamais remarqué. Ou bien si, et je l’aurais sans doute jugé du haut de son mètre soixante et à son air de poupon. Jugé sa présence à un tel évènement, sur fond d’une morale sans origine ni fondement, dictant qu’il serait trop jeune, qu’il n’aurait rien à faire, « mais que font ses parents ?! » Bref, une morale qui n’a finalement que peu lieu d’être, la sagesse n’attendant pas le nombre des années et, en tout état de cause, la loi n’interdisant pas une telle présence à un tel évènement. Non. J’ai croisé le chemin de Paul en garde à vue après avoir reçu un appel me désignant pour l’assister dans le cadre de cette procédure.

Car la prétendue oasis de protection formée par les unités d’intervention se mua progressivement, sans crier gare, sans violence ni d’un côté ni de l’autre, sans heurts, sans cris, en une nasse d’interpellation, arbitraire, indifférenciée, impartiale, conduisant tout ce beau monde en fourgons vers le SAIP (service d’accueil et d’investigation de proximité) compétent. Ils partirent 34.500 ; mais par un prompt renfort, ils se virent 102 à payer le prix fort. 102 placés en garde à vue. Taclé de toute part pour sa carence dans la gestion des violences et dégradations, l’exécutif a fait le coq en s’enorgueillissant de ce chiffre brandit comme une panacée. 102 parmi lesquelles Paul, 15 ans. Première manifestation, première garde à vue, grosse journée pour notre assoiffé de curiosité.

Motifs de la garde à vue ? Participation à un groupement en vue de commettre des violences et/ou dégradations, d’une part, alors qu’il n’était qu’un marcheur passif, qu’un témoin malgré lui ? et port d’arme catégorisée d’autre part. Comment ? une arme ? Ah oui, ce qui sera considéré comme un masque à gaz, soit ce qui s’analyse en une arme défensive (Catégorie A-2) suivant le procès d’intention aux termes duquel la détention d’un tel objet est la preuve d’une volonté de participer à un groupement dont les agissements sont de nature à entrainer la projection de gaz et donc susceptible de commettre des violences et/ou dégradations. CQFD, la boucle est bouclée, au trou le présumé forcené.

Et c’est donc là que j’interviens enfin, « dès le début de la garde à vue », suivant les prescriptions de l’article 63-3-1 du Code de procédure pénale ? Si seulement.

Car voyez-vous, le scénario n’est pas nouveau et se déroule de façon similaire à l’issue de chaque mouvement social, de chaque manifestation. Arrestations en masse, engorgement du commissariat compétent, nécessité d’un « dispatching » des gardés à vue dans d’autres commissariats de la capitale aux geôles vacantes et donc transport subséquent des susnommés pour qu’enfin l’effectivité des droits de la défense puisse pleinement s’exprimer. Si on n’est pas au milieu de la nuit et si on n’a pas d’autres chats à fouetter.

Bilan : un mineur de 15 ans (il n’est pas vain de le rappeler), placé en garde à vue vers 18h, dont l’avocat est prévenu vers 19h, et qui cherche en vain à joindre un service compétent et rencontrer son client, mineur, de 15 ans, jusqu’à ce qu’il apprenne la localisation de ce dernier 10h plus tard, soit à 4h du matin, tandis que l’audition matérialisant la substance même de la garde à vue ne se fera que 10 nouvelles heures plus tard, soit à 14h, donc 20h après le début de la garde à vue, par des services débordés et exsangues, également victimes de ces décisions d’arrestation massive et irréfléchie et contraint de multiplier la paperasse pour des dossiers vides de tout fondement infractionnel.

Et Paul subit cette mesure, dans l’incompréhension la plus totale, ses parents ayant été prévenus de façon sibylline quelques heures après le début de la mesure, les laissant dans la même ignorance et incompréhension, quand d’autres ne furent informés que par un message furtif laissé sur un répondeur sur les coups de 4h du matin, soit plus de 10h après le début de la mesure, 10h à ignorer où leurs progénitures étaient passées et se morfondre en conséquence.

Je découvre alors un garçon fluet, un esprit mature dans un corps d’enfant, un ado à la nature hyperactive qui, enfermé entre 4 murs depuis près de 20h, cherche des réponses à des questions qu’il ne connait pas et qu’il se doit d’inventer, se dessine des griefs pour donner un sens à une mesure qui n’en a pas, intellectualise l’inique pour ne pas perdre la raison. Et, alors que son audition touche à sa fin et que le glas des 24h teinte déjà au loin, l’évidence d’une libération s’impose tant cette garde à vue paulienne n’a de sens. Une querelle de clochers intra/extramuros se fait alors jour au sein du ministère public : à un ordre parisien de prolongation répond un ordre ultrapériphériquien de classement 21 (infraction insuffisamment caractérisée ; en d’autres termes, il n’y a pas d’infractions, pas de motifs, nada, peanut), battu en brèche du quasi tac au tac par un contrordre capital imposant la prolongation. Vous n’y comprenez rien ? Moi non plus. Du jamais vu. D’autant plus que la prolongation dans une garde à vue de mineur est un fait relativement rare, qui se doit d’être justifié par l’impérieuse nécessité de réaliser des actes d’enquêtes cruciaux pour la révélation de la vérité, souvent en réaction à la gravité ou la complexité des faits reprochés. Ici, le fait d’avoir manifesté et d’avoir pris les précautions nécessaires pour le faire. Crime de lèse-majesté.

Si le doute eut pu être permis jusque-là, il n’en est plus rien. L’opportunisme supplante la raison, le coup de filet se mue en coup de com’ numérique. Ils partirent 102, mais par un prompt renfort, ils se virent 43 à en subir le sort. 43 prolongations, quasi exclusivement des mineurs dans le commissariat dans lequel j’interviens tandis que la plupart des majeurs sortent. Mais 43 prolongations sur lesquelles on ne manquera pas de communiquer, de gloser, de pavaner comme une fierté du devoir étatique accompli.

En définitive, la garde à vue de Paul est levée au bout de 46 heures d’enfermement et de privation de liberté, après qu’une exploitation de ses appareils d’enregistrement aient révélé des photos de lui avec son chat, un cliché d’une blessure soignée par 5 points de suture après une chute à vélo qu’il conserve comme un trophée, et quelques photos et vidéos de la mobilisation en journaliste d’investigation du dimanche qu’il était, maigre butin qui le conduira à poser régulièrement la question « c’est grave d’avoir pris ces photos ? Je vais avoir des ennuis ? » se voyant déjà devant un juge, puis envoyé en foyer. Il psychote, il délire, on le rassure, on le tempère face à l’hérésie de ces hypothèses incongrues.

Pourtant, l’épilogue de ces 46 heures sonne comme un coup de théâtre. Du classement 21 envisagé avant la prolongation, on passe à un déferrement pour rappel à la loi qui se muera en réparation pénale, soit un stage de citoyenneté de 2 jours, mesure bénigne en apparence mais emprunte d’une symbolique nauséabonde, celle d’un ministère public s’arrogeant le monopole de la morale au-delà du droit, au-delà de la vacuité des faits reprochés. Rappel à la loi, mais quelle loi ? Réparation pénale, mais réparation de quoi ?

Si la pédagogie doit rester le leitmotiv de toute intervention de la justice répressive, cette pédagogie ne peut être effective sans que la sanction soit comprise et que donc que la procédure engagée à l’encontre d’un individu et les raisons sous-jacentes à celle-ci soient entendues et assimilée par ce dernier, qu’il y ait donc une cohérence et une proportionnalité entre les faits et la réponse. Comme j’ai pu le lire « il aura compris la leçon comme ça ». Oui mais quelle leçon ? Quelle est le contenu de cette leçon ? Ne participe pas à des manifestations publiques et légalement organisées ? Ne te retrouve pas au mauvais endroit au mauvais moment ? Cette leçon m’échappe tout autant qu’elle échappe au droit.

Si la mésaventure de Paul peut sembler anodine et si elle sera peut-être un jour le point de départ du récit quasi héroïque d’un militantisme naissant, ou restera une simple anecdote de vie, elle est reflet, espérons ponctuel et isolé, mais non moins alarmant, d’une justice instrumentalisée à des fins de communication politique que l’on fait peser sur les épaules d’un gamin de 15 ans, un axiome de la démonstration d’un exécutif omnipotent et répressif, et conduit à remettre en cause la confiance que chacun se devrait d’avoir dans la justesse de la réaction étatique, ce droit à la sûreté proclamé il y a près de 230 ans qui, force est de constater, ne relève toujours pas de l’évidence.


Merci à BetterCallBen pour ce témoignage. Quelques commentaires de ma part, pour anticiper d’éventuelles questions et remarques de mes lecteurs, on se connait bien depuis le temps.

Rappelons d’abord pour les mékéskidis que la garde à vue est l’état d’arrestation d’une personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit passible de prison. Sur le principe, nul ne conteste que la police judiciaire, chargée de rechercher les infractions, d’en réunir les preuves et d’identifier leurs auteurs, doit avoir les moyens légaux de s’assurer de la personne d’un suspect pendant un laps de temps nécessaire à sa mission. Le problème est ailleurs. Il est dans l’arbitraire dans lequel baigne cette mesure. J’y reviendrai.

La place de Paul était-elle à cette manif ? En tant que parent, j’opinerais que la place d’un mineur n’est en principe pas dans des endroits potentiellement dangereux, ce qu’est toujours une foule en colère. En tant que juriste, j’opinerai qu’aucun texte ne l’interdit, et que la manifestation publique au soutien d’une cause est une façon légale et légitime d’exprimer et soutenir cette cause, et qu’il serait absurde de vouloir qu’un mineur se mue en citoyen actif et éclairé le jour de ses 18 ans mais ne soit pas autorisé à exprimer une quelconque opinion avant cette date. Ainsi, le droit est du côté de Paul.

Le masque à gaz est-il une arme ? Oui, de catégorie A2, 17°, armes et matériel de guerre. Sa détention est punie de 5 ans de prison, autant qu’un fusil d’assaut. Mais il est douteux qu’un masque de peinture, dont le port est obligatoire sur les chantiers, soit qualifiable de matériel spécialement conçu pour l’usage militaire de protection contre les agents chimiques, sauf à faire des magasins de bricolage des dépôts d’arme. Mais lors pourquoi cette garde à vue ? Excellente question. J’y reviendrai.

Pourquoi la querelle de clocher entre deux parquets ? J’ai déjà connu une situation similaire en 2013, lors de la manif pour tous du mois de mai qui a dégénéré esplanade des Invalides. Beaucoup de manifestants interpellés (plus de 200), au point de saturer les commissariats parisiens, et du coup certains ont été envoyés en banlieue, donc dans des ressorts périphériques (Bobigny, Nanterre ou Créteil). Du coup leur parquet devenait compétent pour surveiller la mesure. Sauf que les déferrements (pour des rappels à la loi, seule fois de ma vie que j’ai vu cela) ont bien eu lieu à Paris. J’aime autant vous dire qu’une telle procédure devant un tribunal aurait eu une espérance de vie inférieure à celle d’un débat serein sur Twitter.

Ce que ce récit montre, une fois de plus dirai-je, est le problème fondamental de la garde à vue. Elle a une tare congénitale : elle a été conçue pour violer les droits de la défense. Elle est née d’une pratique apparue avec la loi de 1897 qui a fait entrer l’avocat dans le cabinet des juges d’instructions, qui à l’époque du code d’instruction criminelle instruisait quasiment toutes les affaires pénales, hormis les contraventions. C’était le juge de la mise en état du pénal, l’instruction pouvant se résumer à une audition, avec ordonnance de renvoi rendue dans la foulée. En 1897, après un siècle de tranquillité, les avocats arrivent dans les cabinets d’instruction. Fureur des juges d’instruction, qui perçoivent cette mesure comme dirigée contre eux, et y voient la fin de la répression et l’aube de l’ère du crime impuni (oui, la même ritournelle qu’en 2011 lors de l’arrivée de l’avocat en garde à vue, on a l’habitude d’être mal accueillis). Et pour contourner la loi, ils vont avoir une idée géniale. Le code d’instruction criminelle, comme le code de procédure qui lui a succédé désormais, prévoit que le mis en examen (l’inculpé, à l’époque) ne peut être interrogé que par le juge d’instruction, la police se contentant de recueillir les témoignages. Or le suspect, avant d’être coupable de son crime, en est forcément le témoin. Il peut donc être entendu comme témoin avant d’être inculpé et qu’un vilain avocat ne vienne déranger une si belle machine à punir. Voilà la naissance de la garde à vue. Qui, par retour de karma, va devenir la norme avec la généralisation de l’enquête préliminaire, et a fait que le juge d’instruction ne s’occupe plus que de 5% des procédures, et a rendu possible d’envisager sa suppression en 2008.

Cette tare congénitale a encore des effets sensibles aujourd’hui. La garde à vue est conçue comme le règne de l’arbitraire, pudiquement dissimulé sous des paillettes et des fanfreluches juridiques pour faire semblant que c’est rigoureusement encadré. Par exemple, en empilant des droits inutiles, qui alourdissent inutilement la tâche des enquêteurs (et du coup rallongent la garde à vue), comme l’obligation de recueillir les observations du gardé à vue sur une éventuelle prolongation. Vu qu’il est contraint de rester là, on se doute qu’il n’est pas d’accord, et qu’il le dise ne changera rien. À Paris, on lui notifie même les droits liés à une arrestation en haute mer. Oui, à Paris. (C’est sur le PV de notif, entre le droit de faire des observations et la remise du document prévu par l’article 803-6 qu’en fait on ne lui a pas remis mais on lui fait signer un papier qui dit que si). La jurisprudence veille à protéger cet arbitraire, même si la CEDH tente d’y mettre bon ordre, et y parviendra, quitte à ce que ça mette le temps. Ainsi, la cour de cassation fait de la décision de placement en garde à vue une décision souveraine, ce sont ses mots, de l’officier de police judiciaire. Pas de contrôle de nécessité ou de proportionnalité.

La garde à vue a lieu sous le contrôle du procureur de la République, sauf quand elle a lieu dans le cadre d’une instruction. Oui, le juge d’instruction, qui seul peut interroger les mis en examen, chapeaute leur audition par les services de police tant qu’ils ne sont pas mis en examen. La loi a consacré leur rébellion de 1897 et a fait de cette tartufferie la loi.

Ce contrôle suppose l’information immédiate du procureur. Qui à Paris se fait par… l’envoi d’un fax. Qui entre 19 heures et 9 heures arrivera dans un bureau vide. Mais la cour de cassation juge que cette information est suffisante. Le procureur a ensuite des compte-rendus téléphoniques avec l’OPJ. Il ne lit aucun PV (et certainement pas les observations de l’avocat). Ça ne lui est pas interdit, il n’a pas le temps. Il ne sait du dossier que ce que l’OPJ lui en dit. C’est là le seul contrôle que prévoit la loi. Il n’existe aucune action permettant de contester devant un juge une privation de liberté en cours pouvant aller jusqu’à 48 heures, et même dépasser cette durée, mais cette fois avec l’autorisation du juge des libertés et de la détention, devant qui le gardé à vue comparaît. Tout va bien alors ? Ahah. Devinez qui n’est pas invité ? L’avocat. Oui, le JLD rend une décision sur un maintien de privation de liberté sans que l’avocat ne soit entendu, ce même si le gardé à vue en a choisi un dès le début.

L’avocat, enfin, qui peut assister son client lors des auditions et confrontations, mais depuis 2011 seulement, les lecteurs de ce blog auront suivi ce combat en direct. Sa présence a été imposée par la CEDH. Mais le législateur a veillé à entraver au maximum sa tâche, en lui interdisant l’accès au dossier. Pourquoi ? La réponse figure aux débats parlementaires de l’époque, et se trouve dans la bouche du garde des Sceaux de l’époque : mais parce que le dossier n’existe pas en flagrance. D’où mon combat pour un usage plus répandu du droit de garder le silence : l’OPJ aura accès à mon client quand j’aurai accès à son dossier. Donnant donnant.

Enfin, cerise sur le gâteau : vous ne pouvez contester la légalité d’une garde à vue que devant la juridiction de jugement. Ce qui implique nécessairement une chose et en suppose une autre. Cela implique que la garde à vue est nécessairement terminée, donc aussi illégale fut-elle, elle sera allée à son terme sans que vous n’ayez rien pu y faire ; et cela suppose qu’un tribunal soit effectivement saisi, faute de quoi, vous n’avez aucun recours (mais hey vous dira-t-on, de quoi vous plaignez-vous, vous n’êtes pas poursuivi ?). C’est précisément le cas de Paul, qui au terme de sa garde à vue a semble-t-il accepté une alternative aux poursuites, c’est à dire accepté une sanction, donc reconnu sa faute, donc admis que sa garde à vue était justifiée, en échange de quoi cette mesure alternative, qui n’est pas une peine, n’est pas inscrite à son casier judiciaire. Aucun juge ne connaitra jamais de cette procédure.

Ceci est le mode normal de fonctionnement de la garde à vue, et, hormis les avocats, personne ne trouve à y redire,tant le “on a toujours fait comme ça” est un argument puissant dans le monde judiciaire. La loi prévoit que votre liberté peut être suspendue discrétionnairement, arbitrairement, sans recours, pendant 48 heures, sans que vous n’ayez aucun moyen de le contester.

Ceci, BetterCallBen a raison, viole le droit à la sûreté proclamé par les Révolutionnaires. Nous sommes indignes de leur héritage.


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